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Entretien avec Vincent Blanchard, commissaire de l’exposition « Royaumes oubliés. De l’empire hittite aux Araméens » au musée du Louvre

Par Claire Pilidjian
Publié le 25/06/2019 • modifié le 25/06/2019 • Durée de lecture : 4 minutes

Portrait du baron Max Von Oppenheim devant une sculpture de TellHalaf © Fondation Max Freiherr von Oppenheim Rheinisch-Westfälisches Wirtschaftsarchiv, Cologne.

Pourquoi cette exposition ?

Tout est parti d’un projet avec le Pergamonmuseum à Berlin d’exposer au Louvre la collection de Tell Halaf, restaurée entre 2001 et 2010. Ce premier projet n’avait finalement pas abouti. En 2013, lorsque je suis arrivé au Louvre, la directrice du département des Antiquités orientales m’a confié la reprise de ce projet. Toutefois, je souhaitais faire autre chose que ce qui avait été proposé au Pergamon et exposé à Berlin en 2011 et à Bohn en 2014. Spécialiste de la culture néo-hittite, j’ai choisi d’exposer la collection de Tell Halaf dans son contexte culturel et historique. En effet, Tell Halaf était la capitale d’un royaume araméen. Nous avons donc voulu retracer l’histoire de ces royaumes néo-hittites et araméens.

Pourquoi avoir intitulé l’exposition « Royaumes oubliés » ?

Il s’agit d’un pan de l’histoire du Proche-Orient que l’on ne connaît absolument pas. Les Hittites sont peut-être un peu plus connus ; quant aux Assyriens, la Mésopotamie, l’Égypte, on en entend davantage parler. Mais ces petits royaumes, qui se sont établis entre 1 100 et 700 av. J.-C., sont les grands oubliés de l’histoire du Proche-Orient antique. L’idée de l’exposition est de faire redécouvrir ces royaumes oubliés.

Fouille du site de Tell Halaf © Fondation Max Freiherr von Oppenheim, Rheinisch-Westfälisches Wirtschaftsarchiv, Cologne.
Fouille du site de Tell Halaf © Fondation Max Freiherr von Oppenheim, Rheinisch-Westfälisches Wirtschaftsarchiv, Cologne.

En quoi cette exposition a-t-elle particulièrement sa place au Louvre ?

Je voulais faire découvrir au public des choses qu’il ne connaît pas forcément, et notamment des royaumes qui ont laissé des vestiges incroyables : des statues monumentales, de grands décors sculptés, qui sont finalement méconnus alors qu’ils ont un grand intérêt, autant du point de vue artistique que de l’histoire des cultures du Proche-Orient. C’est bien la mission d’un musée comme le Louvre de faire découvrir au public d’autres civilisations que celles qu’il connaît déjà : l’histoire de l’Égypte, notamment, ou la grande culture assyrienne. C’est bien le rôle du musée du Louvre de porter à la lumière des collections du département des Antiquités orientales dont les recherches sont récentes et qui restent à défricher…

Comment les pièces ont-elles été réunies ? De quels principaux musées sont-elles issues ?

Le plus grand prêteur est le Louvre lui-même. En effet, sur les trois cents objets de l’exposition, cent vingt proviennent des collections du Louvre. Ces pièces sont issues de fouilles d’archéologues français, mais certains objets ont été achetés entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle.

Plusieurs musées internationaux nous ont fait l’honneur de prêt d’objets exceptionnels : les plus monumentaux, néanmoins, restent ceux du Pergamonmuseum de Berlin, avec soixante pièces. Viennent ensuite le British Museum de Londres, le Metropolitan Museum de New York. De manière plus inattendue sur cette exposition, on trouve le Musée National du Danemark à Copenhague ; les Danois ont fouillé un site araméen, la Hama, le long de l’Oronte, en Syrie. Une partie du matériel de recherche est demeurée en Syrie lors du partage de fouilles, et l’autre partie a été transportée au Danemark. C’est ainsi qu’ils nous ont prêtés une trentaine de pièces. Quelques musées américains ont aussi contribué : Boston, Baltimore, Cleveland ou encore Chicago. Enfin, on peut citer le Bible Land Museum de Jérusalem, l’Ashmolean Museum d’Oxford ainsi que le musée de Karlsruhe en Allemagne.

18-Tell Halaf, Pergamon museum © BPK
18-Tell Halaf, Pergamon museum © BPK

Aujourd’hui, des recherches archéologiques sont-elles menées dans la région pour trouver des vestiges ?

La plupart des sites évoqués dans l’exposition ont été fouillés entre la fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Mais sur beaucoup de ces sites, les fouilles ont repris à partir des années 2000. C’est le cas des sites de Karkemish ou de Tell Halaf. Des équipes internationales les fouillent actuellement. Évidemment, les équipes du Pergamonmuseum avaient refouillé sur le site de Tell Halaf jusqu’en 2011 ; mais comme ce site est localisé en Syrie, la fouille a été interrompue par l’éclatement de la guerre. En revanche, les sites localisés en Turquie – certes près de la frontière syrienne – sont fouillés actuellement.

Pensez-vous que le contexte politique de la région (une partie des ruines étant située au nord de la Syrie) a un impact sur les recherches ?

Cet impact est multiple. La guerre empêche la poursuite de l’activité scientifique sur les lieux. On a aussi relevé des pillages sur certains des sites – encore une fois dans la partie syrienne, la situation étant plutôt stable dans la partie turque. La guerre a également provoqué des destructions, comme sur le site d’Ayn Dara au début de l’année 2018.

Quelle est selon vous la pièce présentée la plus représentative de l’exposition ?

Il s’agirait plutôt d’un ensemble de pièces : les cinquante orthostates qui décoraient le mur sud du palais de Kapara. Il s’agit de cinquante dalles en calcaire ou en basalte aux décors fantastiques de génies, d’animaux, de divinités, de scènes de guerre ou de chasse découverts sur le palais ouest de Tell Halaf. Le tout cumulé forme un répertoire iconographique extrêmement riche qui synthétise la plupart des décors du Proche-Orient. Ces images fourmillent d’influences diverses : scènes de la vie quotidienne, représentations divines, scènes animalières, créatures fantastiques… C’est un répertoire très varié d’une très grande originalité.

22_Portrait du baron Max Von Oppenheim devant une sculpture de TellHalaf © Fondation Max Freiherr von Oppenheim Rheinisch-Westfälisches Wirtschaftsarchiv, Cologne.
22_Portrait du baron Max Von Oppenheim devant une sculpture de TellHalaf © Fondation Max Freiherr von Oppenheim Rheinisch-Westfälisches Wirtschaftsarchiv, Cologne.

Lire également :
Exposition « Royaumes oubliés » au musée du Louvre, jusqu’au 12 août 2019

Royaumes oubliés. De l’Empire hittite aux Araméens, jusqu’au 12 août 2019, au Musée du Louvre. Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 18 h.
Commissaire de l’exposition : Vincent Blanchard, conservateur au département des Antiquités orientales, musée du Louvre.

https://www.louvre.fr/expositions/royaumes-oubliesde-l-empire-hittite-aux-arameens

Publié le 25/06/2019


Claire Pilidjian est diplômée de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm en sciences sociales, de l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po en « Human Rights and Humanitarian Action » et de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales. Dans son mémoire de recherche, elle s’est intéressée aux enjeux politiques d’une controverse survenue en Jordanie après la diffusion de la première production de Netflix en langue arabe. 


 


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