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Tewfic Aclimandos est politologue et historien égyptien. Docteur d’Etat de l’IEP de Paris, (thèse sur les officiers activistes de l’armée égyptienne : 1936/54). Chercheur ou chercheur associé au CEDEJ de septembre 1984 à août 2009, il est au collège de France depuis octobre 2009. Ses travaux portent sur l’histoire de l’Egypte depuis le traité de 1936, notamment sur le mouvement des Officiers libres, Nasser (biographie en préparation), l’armée égyptienne, les Frères musulmans et la politique étrangère de l’Egypte.
La situation est assez délicate, mais le régime n’est pas en danger. L’Egypte a un problème « de terrorisme », au Nord du Sinaï, un autre avec les frontières libyenne et soudanaise, et bien sûr un problème dans la vallée. Au Nord du Sinaï, la mouvance jihadiste essuie de très sérieuses pertes, mais demeure capable de diversifier ses actions (snipers, explosifs improvisés, assassinat de Coptes et de bédouins ralliés au régime, opérations militaires coup de poing contre des check points ou des établissements, mobilisant des dizaines de jihadistes) et surtout de renouveler ses effectifs, qui sont essentiellement originaires de la péninsule. Le recrutement ne s’effectue plus sur des bases idéologiques : un frère vient venger son frère tué, rejoint l’organisation, et devient jihadiste.
La mouvance tente périodiquement d’élargir le front, d’intervenir ailleurs que dans le triangle Rafah-al Arish-Shaykh Zuwayd. L’armée, elle, sait mieux réagir quand elle est attaquée, multiplie les opérations réussies pour détruire les caches d’armes, les bases de repli, etc. Ses tentatives de « gagner les cœurs » afin de priver les jihadistes d’un éventuel appui local sont efficaces dans des régions du Sinaï, et pas du tout dans d’autres. Le pouvoir multiplie les carottes et les bâtons à l’égard du Hamas, afin que Gaza cesse d’être une base de repli des jihadistes et un centre d’approvisionnement en armes. Pour le moment, les résultats ne sont pas là : la « saignée », les pertes d’hommes et de matériel, sont quasi quotidiennes. La menace est moins grave, mais elle s’est pour ainsi dire « installée ». Le problème de collecte d’informations est moins aigu qu’auparavant, mais il n’a pas été réglé, malgré quelques succès partiels et la capture de militants.
Dans la vallée, les attentats mortels sont nettement moins fréquents mais ils sont néanmoins réguliers. Là les groupes qui les commettent sont souvent affiliés aux Frères musulmans, mais certains sont jihadistes ou mixtes. Ils ciblent policiers et Eglises. Mais ils sont, en un sens, contre productifs, car l’hostilité de la majorité de la population, déjà très forte, s’accroît.
Certains des groupes ayant monté des attentats provenaient de Libye, mais dans l’ensemble la frontière occidentale du pays semble plus sûre et mieux contrôlée. L’armée détruit régulièrement des jeeps et autre quatre-quatre transportant des jihadistes, et les attentats sont rares (mais non inexistants).
Un nombre important d’armes est entré dans le pays en provenance de Libye et du Soudan.
L’Egypte a récemment vu trois pays du Golfe, l’Arabie, les Emirats, le Bahreïn, adopter officiellement son diagnostic sur le rôle du Qatar dans le financement, l’hébergement et l’appui médiatique à la mouvance.
Ils sont une des cibles privilégiés des islamistes, qui leur attribuent, d’une manière assez obsessionnelle et fantaisiste, le renversement du président Morsi. Plusieurs attentats ont ciblé des églises et fait des dizaines de morts. Les incidents confessionnels, avec une « populace » emmenée par des salafistes s’en prenant à eux, sous divers prétextes futiles (relatifs à des lieux de culte « non autorisés ») sont fréquents (moins qu’en 2011 toutefois) et ils accusent souvent la police de ne pas les protéger et de ne pas faire son travail (les choses sont plus compliquées). La hiérarchie de l’Eglise n’aime pas le fait que le régime s’appuie sur des islamo conservateurs et, sur quelques dossiers, sur des salafistes. Mais il convient de noter qu’une seule région - le gouvernorat de Minia, en Haute Egypte - est le théâtre d’au moins un tiers, et plus probablement de la moitié voire plus des incidents recensés. La situation, dans le pays, n’est pas uniforme.
Dans l’ensemble, la communauté copte sait qu’elle peut compter sur le président, et continue à l’appuyer, et est peut être, avec « la ménagère de plus de cinquante ans », son soutien le plus fiable – et le président le sait. Toutefois, malgré des gestes de sympathie sans précédents et très appréciés, ce dernier n’a pas réussi grand-chose sur ce dossier. Mais il n’est pas dans le déni, reconnaît l’injustice de la situation, et c’est déjà beaucoup. Le nombre de couches sociales « sensibilisées » à la question et outrée par le comportement des islamistes est sans précédent. On peut, distinguer, dans l’opinion musulmane, trois courants : un, minoritaire, mais en nette progression, qui souhaite l’égalité citoyenne quelle que soit l’origine et la confession ; un autre, majoritaire, qui est mal à l’aise avec l’idée, qui est pour une égalité mais pas dans tous les domaines, mais qui est scandalisé par les avanies infligées par les islamistes, et ces derniers. Par contre, enfin, les hommes de religion des deux confessions véhiculent souvent des discours très hostiles à l’autre communauté.
Les réformes économiques étaient nécessaires, ont été adoptées très tard, mais mieux vaut tard que jamais. Les instances internationales délivrent des satisfecit. L’Egypte a reconstitué ses réserves en devises, réduit ses déficits, abrogé certaines subventions, dévalué sa monnaie, et a promulgué une loi sur l’investissement, avec beaucoup de retard dû à des querelles entre diverses administrations. La croissance est revenue, même si les taux sont très inférieurs à ceux réalisés lors des dernières années Moubarak. L’exploitation du gaz naturel devrait atténuer les difficultés. Mais les défis demeurent formidables, du fait d’une progression démographique rendant nécessaire la création annuelle de plus d’un million d’emplois, d’une bureaucratie de plus en plus incompétente et corrompue, du manque de qualification de la main d’œuvre (qui est par contre très peu coûteuse), d’une justice peu fiable, et du nombre de mécanismes faussant le jeu de la concurrence. Les choix économiques du pouvoir n’ont pas toujours été très heureux, sa politique de « grands travaux » et de « projets pharaoniques » est très contestée.
Les autorités semblent vouloir « dégraisser certains mammouths », cherchent des moyens de régulariser la vaste économie informelle, de collecter plus efficacement les taxes, d’attirer les investisseurs, et de plus ou moins combattre la corruption, elles fournissent des efforts considérables en matière de formation de nouveaux cadres, mais les résultats ne sont pas encore là. La population, classes moyennes et défavorisées, souffre énormément, et le président est devenu extrêmement impopulaire. L’absence de manifestations est due à la fatigue, à la crainte de faire le jeu des islamistes, et à une prise de conscience du fait que les réformes étaient nécessaires. Mais la communication du régime, très maladroite, le dessert, et surtout, nombreuses sont les familles qui ne pourront plus « tenir très longtemps » : celles qui ont deux enfants et n’ont pas l’aide d’un parent expatrié ne peuvent plus subvenir à leurs besoins.
Un exemple illustrera la complexité de la situation : les autorités ont entrepris récemment de recouvrer les terres et terrains en possession d’individus n’ayant pas de titres de propriétés et en situation « irrégulière ». Cela semble louable. Mais ce faisant, elles se sont aliénées un nombre impressionnant d’électeurs, notamment en Haute Egypte. Nombreux sont les paysans ou petits propriétaires qui construisent des maisons hors du village, au bord du désert, sur des terres appartenant donc à l’Etat. Beaucoup n’avaient pas régularisé leur situation ou n’avaient pas de titres, tout simplement parce que cette régularisation permettait aux fonctionnaires des administrations d’organiser un ou des rackets. Si vous ajoutez à cela le fait que nombreux sont les membres de classes moyennes bureaucratiques dont les possessions n’ont pas été attaquées, et vous avez les ingrédients d’une situation très explosive.
Tewfic Aclimandos
Tewfic Aclimandos est politologue et historien égyptien. Docteur d’Etat de l’IEP de Paris, (thèse sur les officiers activistes de l’armée égyptienne : 1936/54). Chercheur ou chercheur associé au CEDEJ de septembre 1984 à août 2009, il est au collège de France depuis octobre 2009. Ses travaux portent sur l’histoire de l’Egypte depuis le traité de 1936, notamment sur le mouvement des Officiers libres, Nasser (biographie en préparation), l’armée égyptienne, les Frères musulmans et la politique étrangère de l’Egypte.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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