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Entretien avec Nicolas Dot-Pouillard – Le Mouvement national palestinien

Par Mathilde Rouxel, Nicolas Dot-Pouillard
Publié le 18/01/2017 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Nicolas Dot-Pouillard

Comment pourriez-vous définir le mouvement national aujourd’hui ?

Depuis 1993, quatre grands groupes s’imposent.
Le Fatah reste parmi les plus populaires face au Hamas, dans les Territoires occupés comme dans les diasporas. Le Fatah d’aujourd’hui n’est toutefois plus celui des années 1970. L’autorité nationale palestinienne, à laquelle il est lié, est devenue autocrate. Le Fatah a laissé de côté les idéaux tiers-mondistes ou révolutionnaires de l’époque au profit d’une forme de nationalisme conservateur, pour parler à un public majoritairement croyant. Le Fatah, malgré les idées reçues, n’est pas un parti laïc. Il ne propose pas d’inscrire la charia comme loi – en cela, ce n’est pas un parti islamiste – mais défend les valeurs de l’islam. C’est un parti conservateur.

Parmi les islamistes ou les islamo-nationalistes qui composent le deuxième groupe, on trouve des partis comme le Jihad islamique palestinien et le Hamas, qui se réclament tous deux de l’héritage de l’islam politique de type Frères musulmans (Hamas) ou de l’héritage de la révolution iranienne (Jihad islamique). Toutefois, s’ils se réclament de l’héritage islamique, l’idéal d’un État-nation palestinien prédomine toujours dans leurs programmes politiques et leurs convictions idéologiques. Ce sont des formations islamo-nationalistes. Le Hamas, d’ailleurs, est un parti bien davantage palestinien que panislamique : il est engagé dans des processus diplomatiques qui l’ont notamment incité à accepter l’invitation des Russes, en 2006, à se rendre à Moscou, alors même que ces derniers sévissaient en Tchétchénie. Partant d’une réflexion centrée sur les intérêts nationaux, il tente de tisser des liens diplomatiques avec tout le monde.

Le troisième groupe important est encore aujourd’hui la gauche palestinienne, qui, faiblissant, demeure malgré tout dans les élections la troisième force qui parvient à obtenir, par exemple, des sièges pour leurs députés : on parle ici du Front populaire, du Front démocratique, du Parti du Peuple (l’ancien Parti communiste) et de l’Initiative nationale palestinienne (al-Mubadara), dont le candidat, Mustapha Barghouti, a remporté 19% des voix en 2006 face à Mahmoud Abbas (Fatah). La gauche palestinienne ne présente pas un groupe uni (les différents partis se présentent indépendamment aux législatives). Elle se trouve principalement divisée sur ses options stratégiques : certains souhaitent un État sur les frontières de 1967, alors que d’autres se réclament de la Palestine de 1948, et des frontières mandataires. Mais cette gauche existe.

La quatrième force politique qui se distingue dans le mouvement palestinien est celle des partis nationalistes et nationalistes arabes proches de Damas. Il est important de souligner que ces partis ne sont pas que des créations ex nihilo de Damas. Certes, en Syrie, ils font office de supplétifs militaires du régime syrien. Mais ils peuvent avoir parfois une certaine assise populaire. Ils ont, par exemple, des ONG et une certaine base parmi les populations, particulièrement le Front Populaire-Commandement Général de Ahmed Gibril, que l’on retrouve en Syrie aux côtés du régime, ou d’autres forces palestiniennes pro-Assad comme les Comités populaires de Khaled Abdel Majid. Le Commandement général, au Liban, préserve une certaine implantation dans les camps de réfugiés, notamment à Bourj al-Brajneh, dans la banlieue de Beyrouth.

En dehors du mouvement national, on trouve également de nouveaux mouvements salafistes et jihadistes, qui s’opposent à ces forces en présence. L’État islamique avait lancé un communiqué contre le Hamas et n’hésite pas à poser des bombes contre le Hamas ou le Jihad islamique dans la bande de Gaza. Ils s’inscrivent en effet dans l’univers de pensée national et nationaliste auquel s’oppose l’idée de restauration du califat islamique.

Quelle est la position des réfugiés palestiniens vis-à-vis de ce mouvement national ?

Au Liban, les partis recrutent souvent sur des facteurs clientélistes. Les camps sont marqués par le chômage et la pauvreté, et l’absence totale de perspectives d’embauche pousse beaucoup d’entre eux à entrer dans les partis ou dans les ONG proches des partis, dans l’idée d’avoir un travail. Ce n’est certes pas la seule motivation, mais elle compte. L’entrée en politique apparaît comme une possibilité de survie. Une partie des jeunes Palestiniens au Liban souhaiterait émigrer. Ils entrent dans des partis parfois sans avoir la moindre affinité idéologique.

Dans les Territoires palestiniens, les choses se présentent un peu différemment. Les facteurs clientélistes existent, mais l’adhésion idéologique nationaliste est plus forte. En Jordanie, les Palestiniens n’ont plus le droit, depuis 1971, de participer à de vraies activités politiques. Ils en ont dans les faits, mais animées par des mouvements jordaniens qui sont partenaires des mouvements palestiniens. Ainsi par exemple, le Hamas travaille avec le Front d’Action Islamique, branche jordanienne des Frères musulmans, mais ne peut pas intervenir directement. Le FPLP travaille avec le parti de l’Unité populaire, un parti jordanien de gauche.

Quels sont aujourd’hui les principaux soutiens internationaux au Fatah, qui gouverne la Cisjordanie, et au Hamas, qui gouverne la bande de Gaza ?

Il existe historiquement deux lignes, qui sont le fruit des accords d’Oslo. Pour l’Autorité nationale palestinienne, ou pour la majorité du Fatah, qui a tenu son septième congrès fin novembre, il était important de faire appliquer, à partir de 1993, les accords d’Oslo. Cela obligeait et oblige encore l’Autorité palestinienne à travailler de concert, notamment sur le plan sécuritaire, avec les forces israéliennes, mais aussi avec les États-Unis, dans le cadre de la coopération sécuritaire. Face à cette option, le Front du Refus (ou Alliance des dix), rassemblé au cours des années 1990, est composé par une alliance de dix partis, parmi lesquels le Hamas, mais également le Jihad islamique, le Front populaire, le Commandement général, et le Front démocratique pour la libération de la Palestine. Ils refusent les accords d’Oslo. Cette division du mouvement national en deux blocs antagonistes a fortement impacté la société palestinienne. Le Hamas demeure, pendant très longtemps, un allié fidèle de Damas et de Téhéran, qui soutiennent cette Alliance des dix.

En 2011, la donne change. En février 2012, le Hamas rompt officiellement ses relations diplomatiques avec Damas et renforce ses rapports avec le Qatar, s’engage dans des discussions avec la Turquie. Ses liens avec le Hezbollah et l’Iran sont néanmoins restés pérennes.

De son côté, le Fatah est un parti très divisé, même en interne. Il a développé des liens avec les Russes ces dernières années, mais aussi avec le régime syrien ; il a célébré l’an dernier l’anniversaire de sa fondation à Damas, mais reste très proche, en même temps, de la France, des États-Unis ou de l’Arabie saoudite. Il a une politique en général très pragmatique, mais à courte vue, sans stratégie de long terme. Il est de toute façon confronté à des problèmes de politique interne liés à la conjoncture régionale - une carte régionale peu claire.

Depuis l’élection de Donald Trump aux États-Unis, les Palestiniens ne nourrissent pas d’espérances dans les principes du droit international, ni d’une quelconque relance des négociations. Mais cette crise de confiance dans la diplomatie américaine n’est pas nouvelle. Le Fatah et l’OLP ont en revanche salué l’initiative française pour la paix qui s’est tenue à Paris en juin 2016 (1). Il s’agit en effet de la seule initiative qui, ces dernières années, s’est interrogée sur les issues possibles d’un processus de paix au Proche-Orient. Elle fut critiquée par le Hamas et par la gauche palestinienne, notamment en raison du fait qu’elle n’a pas discuté le droit au retour des Palestiniens sur leurs terres. Bien que remarquable par son exclusivité, cette initiative est restée une initiative isolée. Aucun représentant de la Palestine ni d’Israël n’était présent à Paris. On constate également le silence de la communauté internationale devant la politique de droite radicale menée par Netanyahu que personne ne critique, alors même que les lois discriminatoires à l’égard des Palestiniens se multiplient ; on peut évoquer la récente loi qui demande à baisser le son des muezzins dans les mosquées, mais aussi par exemple celle qui sanctionne les ONG israéliennes qui aident les Palestiniens.

Les Palestiniens n’attendent de ce fait plus grand chose en termes de soutien international ou d’application du droit international. La priorité aujourd’hui est avant tout d’unifier le mouvement national, en s’appuyant sur les initiatives internes. Il s’agit désormais de réorganiser l’OLP et de dépasser les querelles intestines afin de pouvoir établir une stratégie commune. Les perspectives ne se construisent plus à partir des discussions sur la question d’un État unique ou de deux États ; la plupart des Palestiniens sont conscients que ce débat est loin. Depuis 2005, c’est d’abord la question de nouvelles élections de l’OLP qui prédomine stratégiquement, en vue de passer outre cette division entre le Fatah et le Hamas qui fragilise le mouvement national.

Note :

(1) “Initiative pour la paix au Proche-Orient (Paris, 3 juin 2016)” http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/israel-territoires-palestiniens/processus-de-paix/initiative-pour-la-paix-au-proche-orient/article/initiative-pour-la-paix-au-proche-orient-03-06-16

Publié le 18/01/2017


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


Nicolas Dot-Pouillard, docteur en Etudes politiques de l’EHESS, est chercheur MAEE à l’Ifpo de Beyrouth. Il est également Core-Researcher au sein du programme Wafaw (When Authoritarianism Fails in the Arab World), European Research Council (ERC) et membre du comité de rédaction de la revue Orient XXI.


 


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