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Professeur émérite de l’Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, historien et politologue spécialiste de l’Iran contemporain, Mohammad-Reza Djalili revient pour Les clés du Moyen-Orient sur les enjeux de la dernière élection présidentielle iranienne.
L’annonce le 15 juin 2013 de la victoire du candidat modéré Hassan Rohani aux élections présidentielle iraniennes laisse espérer un nouveau départ par l’Iran. Le Président élu porte l’espoir d’un changement attendu par la population lasse de huit années de décrochage économique et d’isolement international imputables à la gestion de Mahmoud Ahmadinejad et de son entourage. Dans leurs déclarations officielles, les responsables occidentaux font également montre de leur bonne volonté, se déclarant prêts à « travailler » avec le nouveau président iranien, qui dispose par ailleurs d’une expérience éprouvée des négociations internationales. Cependant, le régime politique iranien demeure sous la tutelle du Guide suprême. Si ce dernier pourrait se montrer enclin à amender quelque peu ses positions récentes du fait de la gravité de la situation actuelle, la latitude d’action de Hassan Rohani ne sera pas complète, notamment en matière de politique étrangère.
Hassan Rohani a 65 ans. C’est un membre du clergé chiite qui a complété ses études religieuses par des études de droit couronnées par l’obtention d’un doctorat à l’Université calédonienne de Glasgow, en Ecosse. Hassan Rohani avait une trentaine d’années au moment de la Révolution et a très tôt rejoint l’entourage de Rouhollah Khomeiny. Il a trouvé rapidement sa place, modeste au départ, au cœur d’un pouvoir dont il connaît tous les rouages. Avant d’être élu président de la République, il a présidé et est toujours membre du Conseil de sécurité nationale, il est également membre du Conseil du discernement. Sa position au sein du clergé est moyenne. il dispose du titre d’Hodjatoleslam (« preuve de l’Islam »), un rang inférieur à celui d’Ayatollah. A partir de 2003, sa stature politique et sa notoriété se sont cependant accrues grâce à sa participation aux premières négociations avec les pays européens sur le dossier nucléaire, négociations qui se sont soldées à l’époque par une suspension provisoire des activités d’enrichissement d’uranium. Hassan Rohani a pu alors révéler des qualités diplomatiques reconnues et appréciées par les responsables occidentaux. Le rôle qu’il a alors joué, allié au fait qu’il a vécu et étudié en Europe, le dote d’une ouverture sur le monde et d’une connaissance de l’Occident qui faisait nettement défaut à son prédécesseur, Mahmoud Ahmadinejad. En ce sens, son élection implique une rupture dans le style diplomatique et permettra peut-être à des relations d’une nature nouvelle de se développer entre l’Iran et la communauté internationale dont le pays s’est beaucoup isolé au cours du précédent mandat.
M. Rohani a toujours été très proche du Guide suprême, Ali Khamenei, qui est le personnage le plus puissant du régime et sans le soutien duquel il n’aurait pu occuper les fonctions qui étaient les siennes avant son élection, ni être candidat à la présidentielle. Par ailleurs, sa position au sein du Conseil du discernement lui assure aussi le soutien d’Hachemi Rafsandjani, ancien Président de la République et personnalité modérée influente, pourtant opposé au guide et qui a rallié M. Rohani lorsque sa propre candidature à l’élection présidentielle a été invalidée fin mai. Le Président Rohani bénéficie aussi du soutien de l’aile réformiste incarnée par l’ancien président Khatami qui a également appelé à voter pour lui. Il va donc pouvoir tâcher de travailler avec les trois pôles du système politique iranien, les conservateurs, les modérés et les réformateurs.
De toute façon le Guide mène le jeu. Cela étant, il n’est pas insensible à la situation économique et internationale désastreuse du pays. De manière générale, si le Guide veut sauvegarder sa position et le régime qu’il incarne, il doit mener une politique d’ouverture. L’héritage des huit années au cours desquels Mahmoud Ahmadinejad était au pouvoir est catastrophique. Le Guide en est en partie responsable et il en a, on l’espère, conscience. L’Ayatollah Khamenei est donc peut-être susceptible, dans le contexte actuel, de faire preuve de conciliation et de se montrer plus enclin qu’auparavant à amender ses choix politiques. Dans cette perspective, la légitimité électorale forte ainsi que l’espérance qu’investit en lui une société iranienne en crise pourra permettre à M. Rohani de jouer un rôle plus affirmé que d’autres présidents, et ce avec l’aval du guide. A cela s’ajoute le fait qu’au cours du mandat qui s’ouvre, le Guide et le Président seront tout deux issus du clergé. On peut attendre à cet égard qu’ils opèrent en bonne intelligence.
Hassan Rohani sera-t-il pour autant à la hauteur des espoirs qu’il a pu susciter auprès de la société iranienne ? Peut-on attendre un changement à court ou à moyen terme ?
C’est la grande question du moment et nul ne peut y répondre au lendemain de l’annonce des résultats. Si M. Rohani parvient à conquérir une liberté d’action importante, je le crois assez intelligent et assez averti de l’état de l’opinion publique iranienne pour tenter de faire évoluer la situation et ce en priorité sur le plan économique. La vie quotidienne de la majorité des Iraniens est en effet devenue insupportable. Alors que le pays jouit d’un bon niveau d’instruction et de ressources naturelles abondantes, la population est en voie de paupérisation depuis plusieurs années. Cette situation est certes imputable aux sanctions internationales mais elle est surtout le fruit de la gestion économique lamentable de l’équipe d’amateurs qui entouraient M. Ahmadinejad, au pouvoir depuis 2005. M. Rohani devra donc commencer par nommer des personnalités compétentes, reconnues pour leur expertise économique aux postes clés, faute de quoi aucun résultat ne peut être attendu au regard de la médiocrité des individus en place jusqu’à présent.
En revanche, le Président élu ne pourra pas lutter seul contre la corruption extrêmement développée qui gangrène l’économie iranienne, ni contre l’influence financière et économique des Gardiens de la révolution qui échappent au contrôle de l’Etat et ont considérablement affermi leurs positions au cours des huit dernières années. Son action reste aussi conditionnée aux obstacles que le camp conservateur pourra placer sur sa route. M. Rohani a certes gagné les élections de manière indiscutable avec un peu plus de 50% des voies dès le premier tour mais il ne faut pas oublier que 49% des suffrages exprimés sont allés au camp conservateur qui garde un poids important dans le système actuel et détient notamment la majorité au Parlement. De plus, près de 30% des électeurs se sont abstenus, ce qui représente le double du taux d’abstention enregistré en 2009.
Avec le passé de négociateur de M. Rohani et la souplesse relative dont pourra faire preuve le personnel modéré qui va sans doute entrer en fonction dans son sillage, on peut légitimement attendre une reprise des négociations sur le dossier nucléaire qui soit susceptible d’aboutir à terme à une solution qui satisfasse les différentes parties. Le Président ne dispose cependant d’aucune marge de manœuvre concernant la politique en Syrie et au Levant de manière générale. L’implication de l’Iran dans la région relève non pas du ministère des Affaires étrangères mais des Gardiens de la révolution et donc du domaine exclusif du Guide suprême. Rien ne peut être attendu de lui de ce côté là. L’annonce publiée, le 16 juin 2013, du déploiement de 4 000 Gardiens de la Révolution sur le territoire syrien en soutien au régime de Bachar el-Assad en atteste déjà.
Voir aussi :
Mohammad-Reza Djalili et Thierry Kellner, 100 questions sur l’Iran
Allan Kaval
Journaliste, Allan Kaval travaille sur les politiques intérieures et extérieures de la Turquie et de l’Iran ainsi que sur l’histoire du nationalisme et des identités minoritaires au Moyen-Orient.
Mohammad-Reza Djalili
Mohammad-Reza Djalili est professeur émérite de l’Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, historien et politologue spécialiste de l’Iran contemporain.
Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages, dont Histoire de l’Iran contemporain, (avec Thierry Kellner), Collection Repères, 2012 ; L’Iran et la Turquie face au « printemps arabe », vers une nouvelle rivalité stratégique au Moyen-Orient ? (avec Thierry Kellner), Les livres du GRIP, 2012 ; 100 questions sur l’Iran (avec Thierry Kellner), Editions La Boétie, 2013.
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