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Entretien avec Mireille Grubert, directeur du Département de la formation - École de Chaillot, architecte et urbaniste en chef de l’Etat

Par Lisa Romeo, Mireille Grubert
Publié le 29/09/2011 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Mireille Grubert

Crédit photo : Lisa Romeo

Qu’est-ce-que l’Ecole de Chaillot ? Quand a-t-elle été créée ? Quelle est sa mission ? Qui forme-t-elle ?

On fait généralement remonter l’origine de l’Ecole de Chaillot à la création d’une chaire d’Histoire de l’architecture française, en 1887, dans le cadre du Musée de sculpture comparée qui existait au Palais du Trocadéro (actuel Palais de Chaillot à Paris). Cette chaire s’est constituée à une époque où le gouvernement fondait un service des monuments historiques destiné à protéger les édifices. Il a donc rapidement eu besoin de pouvoir disposer d’architectes experts en restauration. La chaire d’Histoire de l’architecture française a alors assuré leur formation. Son enseignement a depuis beaucoup évolué et s’est diversifié. L’Ecole de Chaillot repose donc sur une très forte tradition.

Son enseignement s’adresse à des professionnels qui sont déjà diplômés en tant qu’architectes mais qui souhaitent se spécialiser. Nos élèves sont donc des adultes qui continuent leur activité professionnelle. C’est d’ailleurs pourquoi l’enseignement, qui s’échelonne sur deux années, est organisé en deux journées tous les quinze jours.

Parlez nous de vos partenariats avec l’étranger, en particulier de ceux avec le Moyen-Orient.

Il y a une vingtaine d’années, l’Ecole a commencé à organiser des ateliers croisés avec des collègues de Roumanie. Dix de nos élèves et deux de nos professeurs allaient alors travailler avec des collègues roumains sur un site qu’ils étudiaient dans tous ses détails. Ces ateliers croisés à l’étranger se sont ensuite étendus à d’autres pays.

Nous avons aussi développé des formations de longue durée en coopération avec des universités internationales. D’abord en Bulgarie, puis en Tunisie, au Maroc, en Syrie et au Cambodge pour les professionnels cambodgiens, laotiens et vietnamiens. Nous avons également de nombreuses coopérations qui commencent à être de longue durée avec l’Université de Tongji à Shanghai. Plus récemment, nous avons mis en place des échanges avec des pays européens et des écoles qui sont au même niveau que la notre dans les universités européennes, à savoir à Athènes et à Rome.

En ce qui concerne la Tunisie, nous avons participé à un programme dans la durée jusqu’en 2004. Il a été interrompu à ce moment là. Nous sommes à l’heure actuelle demandés par le nouveau ministère de la Culture pour envisager la reprise d’un tel cours de formation au patrimoine pour les professionnels.

Dans tous ces cours à l’étranger, les professeurs français assurent à peu près la moitié de l’enseignement. Le cours dure pendant deux années, à raison de deux jours de cours tous les quinze jours, comme c’est le cas pour notre diplôme en France.

Visitez-vous avec les étudiants des sites archéologiques et historiques du Moyen-Orient ? Quel en est le but ?

Les élèves sur place, avec les professeurs locaux et français, visitent bien sur des sites. Mais ce qui nous fait surtout voyager dans le pays, ce sont les projets de fin d’étude des élèves. Dans ces pays, la scolarité se termine toujours par un projet personnel de fin d’étude, un mémoire, sur un édifice ou une zone urbaine à caractère patrimonial fort que l’élève connait particulièrement parce qu’elle fait partie de sa région d’origine ou parce qu’il a un tropisme vers ce type de patrimoine. Les mémoires de fin d’étude de nos élèves en Syrie, par exemple, correspondent à du bâti patrimonial qui peut être de l’habitat, des équipements publics tels que des hammams, des mosquées, des caravansérails ou du patrimoine que l’on qualifierait d’industriel avec des manufactures, des moulins, des roues à eau. Je participe moi-même en général au jury de fin d’année et je visite vraiment le pays au travers des mémoires de fin d’étude.

Parlez-nous des études réalisées par les étudiants de l’Ecole de Chaillot, par exemple, l’étude en Egypte sur les relevés sur les villes du canal de Suez. Pouvez-vous nous en citer d’autres ? Quelle est l’utilisation finale de ces études ?

Les études auxquelles nos élèves de la formation des Architectes et Urbanistes de l’Etat ont participé en Egypte sur les villes de Port-Saïd, Ismaïlia et Suez ont donné lieu à publication. Ces travaux ont été effectués il y a déjà un moment puisque les derniers doivent dater de 2007-2008. Ils ont été effectués avec des chercheurs archéologues, des historiens de l’architecture et des spécialistes locaux. Ces études ont débouché à la fois sur un inventaire et une connaissance du patrimoine architectural de ces villes ainsi que sur des propositions de restauration et de réutilisation de certains éléments du bâti (le bâti étant à la fois un bâti traditionnel, de la période coloniale et de la période moderne puisqu’il y a des éléments de l’architecture du XXe siècle très intéressants dans ces villes) et bien sûr leur rapport avec le canal et l’eau qui leur donnent des caractéristiques tout à fait particulières. Par exemple, je me souviens d’une étude sur l’Hôtel national à Port-Saïd où les élèves ont découvert qu’il s’agissait de l’équivalent d’un ancien caravansérail et ont fait des propositions de remise en eau de sa cour intérieure.

Recevez-vous le soutien du ministère des Affaires étrangères ? Travaillez-vous avec d’autres instituts dans la région tel que l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) ?

Lorsque nous travaillons en Syrie, nous travaillons étroitement avec l’Ifpo qui met à notre disposition certains de ses chercheurs qui emmènent nos élèves syriens en visite sur les sites qu’ils sont, eux, en train d’étudier. Notre école dépend du ministère de la Culture. Le ministère des Affaires étrangères est partie prenante de pratiquement l’ensemble de nos coopérations. Il nous aide en moyens, soit directement comme au Cambodge où nos cours bénéficient d’un fond de solidarité prioritaire qui s’applique à la fois à notre formation mais aussi à la restauration d’éléments majeurs du patrimoine angkorien. Le nouveau fond de solidarité prioritaire qui a été mis au point il y a quelques mois, nous permettra de former des formateurs et de nous appuyer sur de nouveaux chantiers que la France va assurer au Cambodge avec la restauration du temple du Mebon dans le Baray occidental qui est un bassin à l’ouest du grand site d’Angkor.

Peut-on parler d’un engouement pour les études architecturales dans le monde arabe ?

Je n’utiliserai pas forcement le terme d’engouement qui semble correspondre à quelque chose de soudain. Dans la mesure où nous sommes appelés à aller en Tunisie, en Syrie et au Maroc depuis un moment, je dirais que c’est une conscience qui va croissante aussi bien chez les autorités locales que chez les professionnels et, bien sur, dans les établissements d’enseignement qui nous appellent pour collaborer avec eux. En ce qui concerne la Tunisie, qui est un cas tout à fait passionnant, la préoccupation du ministre de la Culture actuel est d’œuvrer avec ses collègues du gouvernement afin de diminuer le chômage des jeunes professionnels diplômés. Parmi les outils qui lui paraissent adaptés pour cela, il y a la formation des architectes à une expertise plus pointue sur la restauration du patrimoine.

Quelles sont les conséquences du Printemps arabe sur les partenariats ? 

Je vous ai dit déjà un petit mot sur la Tunisie qui en est une conséquence directe. En fait, le nouveau ministre de la Culture tunisien Monsieur Ezzeddine Beschaouch est quelqu’un que nous avons connu et apprécié sous d’autres cieux puisqu’il est le secrétaire de la commission de coordination du grand site d’Angkor au Cambodge pour l’Unesco. Lorsqu’il a été nommé ministre de la Culture après la révolution, il a fait appel au ministère français de la Culture et à l’Ecole de Chaillot pour mettre sur pied des coopérations pour le développement culturel et patrimonial de son pays.

En ce qui concerne la Syrie, nous avons été malheureusement obligés de mettre fin à nos missions de coopération puisque le ministère français des Affaires étrangères a donné la consigne aux professionnels de ne plus aller en Syrie en ce moment. Nous faisons donc notre possible pour terminer au mieux la session qui est en cours. Le diplôme de nos étudiants n’est pas vraiment en suspens. Ils continuent à travailler et échangent par mails ou par la valise diplomatique avec nos professeurs. Nous sommes en train d’envisager des solutions pour que le jury de fin de session puisse quand même avoir lieu, peut être pas en Syrie. Nous sommes en train de chercher de l’argent pour éventuellement les faire venir à Paris.

Publié le 29/09/2011


Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.


Mireille Grubert est directeur du département de la formation - École de Chaillot, architecte et urbaniste en chef de l’Etat.
Lauréate d’une bourse de l’AFAA d’un an pour les Etats-Unis, elle a effectué une carrière dans le corps des architectes des bâtiments de France, où elle a exercé des responsabilités syndicales et associatives. Elle est expert national détachée à la Commission européenne à Bruxelles, enseignante en Ecole d’architecture, auteur d’une vingtaine d’articles sur le patrimoine, ainsi que sur les politiques régionales et urbaines européennes.


 


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