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Michel Setboun nait à Bône en Algérie en 1952. Etudiant en architecture à Paris, il préfère passer ses vacances universitaires à aller sur le terrain pour immortaliser avec son appareil photo les guerres civiles qui ébranlent alors le monde. Il a une conviction forte qui le guide dans son action : « les images peuvent changer le cours de l’histoire, offrir un regard héroïque et humaniste aux événements ». Après s’être rendu au Liban en 1975 et en Angola en 1976, il décide d’aller en Iran en 1978, pressentant une montée des périls après les premiers troubles annonciateurs d’un changement de paradigme politique proche. Entré au service du Shah, Michel Setboun sera aux premières loges et l’un des photographes les plus prolifiques de la Révolution de 1979, dont les photos circuleront de New York aux quartiers Sud de Téhéran.
A l’occasion des quarante ans de la Révolution, il publie un ouvrage, Iran Révolution, qu’il définit comme un « témoignage visuel », un regard porté sur l’histoire sans aucun jugement.
A la fin des années 1970, filmer une vidéo était contraignant et nécessitait une large équipe. Il faut s’adapter à la technique pour être mobile lors des manifestations, ce qui favorisait le choix de la photographie. Etre photographe permet d’avoir une grande liberté professionnelle sur le terrain, sans structure, on est comme un « entrepreneur » auto-proclamé.
Lors de la guerre du Vietnam, des images emblématiques prises par des photographes isolés, ont permis de sensibiliser beaucoup de gens sur la réalité du conflit qui s’y déroulait. Ma démarche en Iran s’inscrivait dans un tel cadre de pensée.
Aujourd’hui, à l’ère du flux d’images permanent, il faut renouveler son travail car la technique a beaucoup évolué. L’image fixe en noir et banc est obsolète, même si elle suscite une certaine nostalgie. Le livre Iran Révolution me permet de revisiter mes clichés de la Révolution iranienne à travers une approche artistique proche de l’univers de la BD.
11 février 1979, la fameuse caserne Eshrat Abad, symbole du pouvoir en place, tombe aux mains des insurgés
Des jeunes Iraniens à Téhéran pendant les manifestations
En 1978 j’étais en Iran dès le début des troubles, pressentant une montée des périls. Si l’Ayatollah Khomeiny était déjà une figure majeure de l’opposition au Shah, il n’existait aucune photographie récente de lui en Iran, pays dont il avait été exilé en 1963. Cet état de fait lui conférait une aura messianique au regard d’une certaine partie de la population iranienne. En effet, dans la religion chiite, le Mahdi, douzième et dernier imam, est caché et reviendra un jour lors de la fin des temps pour rendre Justice aux croyants.
La première fois que j’ai rencontré Khomeiny, j’avais 26 ans. Je fus convié par Bani Sadr (premier président de la République islamique) à prendre le thé avec lui à Neauphle le château, en banlieue parisienne. Il se montra alors chaleureux et m’exhorta à retourner en Iran pour être témoin de la souffrance du peuple. Revenu à Téhéran, je fus très surpris de voir que mes photos de la Révolution utilisées pour la Une de grands journaux occidentaux étaient brandies lors des manifestations. Certains au sein du bazar voulaient m’acheter les photos du Guide, je refusais par éthique.
En janvier 1979, le fraichement nommé Premier ministre Shapour Bakhtiar invite Khomeiny à rejoindre Téhéran suite au départ du Shah. Soupçonnant l’armée de vouloir l’abattre en vol, Khomeiny convie une centaine de journalistes occidentaux pour l’accompagner dans l’avion, j’en suis. Ayant développé une proximité avec l’entourage de l’Ayatollah, surement grâce à mon jeune âge, je fus invité à prendre une photo de lui au moment où l’avion pénétra dans l’espace aérien iranien, à 4 heures du matin.
Décembre 1978 Hôpital Pahlavi
15 janvier 1979 manifestation dans la grande mosquée du Bazaar. Les manifestants écoutent Karim Sandjabi, opposant kurde, qui les exhorte à se soulever contre le pouvoir en place
Lors des répressions armées face aux manifestations, je me sentais comme faisant partie de la population, comme un poisson dans l’eau. Lorsque la police tirait, les Iraniens me protégeaient des tirs en me faisant monter dans les étages des immeubles avoisinants, ce qui ne m’a pourtant pas épargné quelques passages à tabac.
Il n’y avait pas de service d’ordre spécifique et entrainé contre les manifestants, comme les CRS aujourd’hui en France. C’est donc l’armée qui était en charge de contenir la foule. Les manifestants iraniens résistaient pacifiquement en entonnant le fameux slogan : « Soldat mon frère ne tue pas sur ton frère ». Cette erreur stratégique du Shah se retournera contre lui lorsque de nombreux régiments, en contact avec des populations pauvres, choisirent de rejoindre la révolte.
Si le clergé était très présent lors des manifestations, le fer de lance de la résistance violente première fut les partis communistes et libéraux, héritiers de Mossadegh. Le moment qui m’a le plus marqué lors de la Révolution fut le retour de l’Ayatollah Khomeiny en Iran, un Mahdi accueilli par 4 millions d’Iraniens à l’aéroport. On a alors le sentiment de vivre quelque chose d’inexorable, d’être entrainé dans une dynamique historique implacable.
1er février 1979 aéroport de Merabad, L’ayatollah Khomeiny est de retour à Téhéran après 16 ans d’exil.
11 décembre 1978 à Téhéran, manifestation pour le jour de célébration du deuil de Tassua
Lire également :
Les représentations de la Révolution iranienne de 1979, le tableau surréaliste du photographe Michel Setboun
Gabriel Malek
Gabriel Malek est étudiant en master d’histoire transnationale entre l’ENS et l’ENC, et au sein du master d’Affaires Publiques de Sciences Po. Son mémoire d’histoire porte sur : « Comment se construit l’image de despote oriental de Nader Shah au sein des représentations européennes du XVIIIème siècle ? ».
Il est également iranisant.
Michel Setboun
Michel Setboun nait à Bône en Algérie en 1952. Etudiant en architecture à Paris, il préfère passer ses vacances universitaires à aller sur le terrain pour immortaliser avec son appareil photo les guerres civiles qui ébranlent alors le monde. Il a une conviction forte qui le guide dans son action : « les images peuvent changer le cours de l’histoire, offrir un regard héroïque et humaniste aux événements ». Après s’être rendu au Liban en 1975 et en Angola en 1976, il décide d’aller en Iran en 1978, pressentant une montée des périls après les premiers troubles annonciateurs d’un changement de paradigme politique proche. Entré au service du Shah, Michel Setboun sera aux premières loges et l’un des photographes les plus prolifiques de la Révolution de 1979, dont les photos circuleront de New York aux quartiers Sud de Téhéran.
A l’occasion des quarante ans de la Révolution, il publie un ouvrage, Iran Révolution, qu’il définit comme un « témoignage visuel », un regard porté sur l’histoire sans aucun jugement.
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