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Entretien avec Michel Makinsky – Liban : Israël ouvre la boite de Pandore

Par Michel Makinsky
Publié le 02/10/2024 • modifié le 03/10/2024 • Durée de lecture : 17 minutes

Michel Makinsky

Ceci constitue la seconde phase d’un plan d’anéantissement de ce dernier. Dans la première phase, tout aussi spectaculaire, Israël déclenche le 17 septembre l’explosion à distance de plusieurs milliers de bipeurs qui avaient été livrés au Hezbollah via une opération complexe de fabrication d’appareils contrefaits et piégés. Le 18 septembre, ce sont des milliers de talkies-walkies qui explosent à leur tour. Un choc majeur qui révèle à quel point l’organisation est infiltrée, et les failles critiques de sa sécurité, en particulier celle de ses moyens de communication. Un coup redoutable porté aux capacités opérationnelles du Hezbollah. Le bilan cumulé de ces deux journées est lourd : 42 décès, dont 12 civils, et plus de 3458 blessés [3]. La ‘résistance’ est sévèrement touchée : 19 Gardiens de la Révolution (iraniens) tués, 150 blessés. Quant au Hezbollah, 1500 de ses membres auraient été blessés et mis hors de combat. L’ambassadeur d’Iran à Bagdad, Motjaba Amani, est également blessé. N’oublions pas que le 20 septembre, Ibrahim Aqil, commandant la force spéciale du Hezbollah Radwan, avait été liquidé, précédé en juillet par Fuad Shukr, chef militaire de la milice chiite. L’armée israélienne a révélé plus tard qu’Ibrahim Muhammad Qubaisi (alias Hajji Abu Musa), important commandant du Hezbollah, en charge des tirs de roquettes, avait été mortellement touché lors des frappes. Selon des sources israéliennes, Abu Ali Rida, commandant de la division régionale Bader, serait un des seuls chefs militaires du Hezbollah à avoir survécu aux frappes [4]. Le Hezbollah a reconnu cette perte ainsi que celle d’un autre officier Hussein Hani Ezz el-Din, alias Hajj Fares [5].
Cet état des lieux nous inspire quelques questions immédiates.

Au vu de ce bilan, quelle peut-être la riposte du Hezbollah ?

Le Hezbollah est hors d’état (ses principales structures de commandement étant décapitées ou affaiblies) de déclencher une riposte structurée à très court terme. Il doit d’abord procéder au remplacement des morts et de ceux qui sont hors de combat. Pour remplacer Nasrallah, deux candidats potentiels ont souvent été mis en avant : Hashim Safi Al Din (Hashem Safieddine) [6], commandant en second du Hezbollah et cousin du leader éliminé, ainsi que Naïm Qassem, n°2 du mouvement. Ce dernier a déclaré dans un discours le 30 septembre que le processus de sélection du futur secrétaire général serait lancé prochainement (sans plus de détails). La tâche sera plus longue et compliquée pour les autres responsables. Selon l’Institute for the Study of War [7], chaque échelon de commandement est normalement doté d’un successeur programmé en cas de décès. Mais il faut du temps, de l’espace, de la coordination pour qu’ils deviennent opérationnels. Bien plus, les échelons supérieurs (les commandements de région) doivent planifier les opérations que la direction du mouvement aura déterminées dans ses choix de riposte. En neutralisant un segment important du système de communication du mouvement, Israël complique considérablement la préparation de toute opération, qu’il s’agisse de tirs de missiles, de drones, de roquettes. En sus, rappelons que des frappes israéliennes ont également détruit des dépôts d’armement, et, semble-t-il des unités de fabrications ou d’assemblage.
Au-delà du matériel, le moral a été atteint. Il n’est pas inutile de signaler qu’une partie de la population libanaise soutiendra toute réaction du Hezbollah visant à ‘punir l’ennemi sioniste’ mais qu’une autre, meurtrie, n’aspire, impuissante, qu’à un cessez-le-feu et commence à reprocher au mouvement chiite d’être partiellement responsable de la dévastation du Liban.

Une fois quelque peu réorganisé, quelles ripostes le mouvement peut-il envisager ? A dire vrai, tant qu’Israël poursuit son offensive, que ce soit au Nord face à Tsahal, ou ailleurs, le Hezbollah n’a guère de terrain libre. Naïm Qassem a indiqué dans son discours précité que le Hezbollah est prêt à résister à toute invasion terrestre. Pour ce qui est de sa vengeance, on ne peut exclure quelques actions limitées et symboliques, et le cas échéant hors du Liban, mais il est probable que le Hezbollah va se tourner vers ses alliés de la ‘résistance’, à savoir l’Iran et les Houthis yéménites. Les milices chiites irakiennes seront sollicitées (l’inquiétude du Premier ministre irakien est spectaculairement visible) mais sans nul doute, c’est la posture de l’Iran qui est déterminante. La République islamique fait face à des choix redoutables.

Les frappes d’Israël contre le Hezbollah et surtout la mort de Hassan Nasrallah et d’une partie des cadres de l’organisation pourraient-elles provoquer une riposte iranienne contre Israël ?

Un défi frontal est lancé contre Téhéran. La crédibilité de sa dissuasion est directement en cause alors qu’un maillon essentiel de cette dernière est écrasé sans que l’on sache quand et comment il se redressera. La première réaction de l’Iran a été de déplacer le Guide Suprême dans un lieu sécurisé, et entouré de personnels de sécurité sûrs. N’oublions pas que l’Iran a compris sa très grande vulnérabilité quand Israël a riposté à une salve iranienne frappant l’état hébreu le 13 avril en détruisant le 19 avril le radar d’un système antimissile iranien près d’un site nucléaire. Aussi, le Guide s’est contenté d’abord de condamner l’attaque sur Beyrouth et a demandé que le Conseil de Sécurité des Nations unies se saisisse de cette crise. Il a présidé une réunion de crise du Conseil Suprême de la Sécurité Nationale. L’Iran avait clairement fait comprendre lors de la liquidation de Haniyeh, le leader du Hamas, qu’il n’entendait pas tomber dans le piège de Netanyahu qui espère une intervention vigoureuse de l’Iran pour déclencher des frappes sur ce dernier, non seulement sur des sites nucléaires, mais surtout sur des infrastructures critiques (raffineries, etc) en vue de mettre le pays à genoux, voire faire tomber le régime. Cette prudence incarnait jusqu’ici la ‘doctrine Shamkhani’ (du nom de l’ancien secrétaire du Conseil Suprême de la Sécurité Nationale, concepteur de la ligne de ‘riposte graduée, calibrée’ sous couvert de ‘patience stratégique’ [8]).

De même que l’Iran avait coordonné l’attaque du Hamas le 7 octobre, sans intervenir directement, on imagine mal Téhéran déployer des troupes comme l’y incitent certains durs du régime : l’ayatollah Mohammad Hassan Ashkari, cité dans la presse occidentale, prétend que l’envoi de troupes est à l’étude [9].
Le ministère iranien des Affaires étrangères a indiqué clairement que l’Iran n’entend pas envoyer de troupes au Liban [10]. On pouvait donc penser que, fidèle à sa ligne de ‘patience stratégique’, Téhéran se contenterait d’agir via ses alliés de la « résistance », dont les Houthis, et les milices chiites irakiennes. On peut imaginer que Téhéran pourrait aussi viser des cibles ou intérêts israéliens ailleurs. Malgré tout, quand on constate que Biden s’est félicité de l’élimination de Nasrallah tout en affirmant que Washington y est étranger, voire n’a pas été prévenu, les Iraniens pourraient également ‘punir’ l’Amérique d’une façon ou d’une autre. On a vu récemment que le risque d’un attentat contre Trump a été évoqué et dans un passé encore récent, John Bolton était sous la menace d’un attentat. A notre sens, en Iran, l’heure est plutôt à la réflexion et à la recherche de la protection du territoire.

Deux facteurs essentiels encourageaient Téhéran à la plus grande retenue outre la conscience aigue de sa vulnérabilité. D’abord le président iranien Pezeshkian, avec l’accord du Guide, est engagé dans une démarche diplomatique vers les Occidentaux en vue d’obtenir un allègement des sanctions, comme il l’a confirmé dans son discours du 24 septembre à l’Assemblée Générale des Nations unies. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, l’a répété à plusieurs reprises [11]. Le dossier nucléaire va être réouvert et R. Grossi, directeur général de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, doit visiter Téhéran bientôt [12]. Un autre facteur, tout aussi important, est la politique de détente en cours entre l’Iran et l’Arabie saoudite. L’accord du 10 mars 2023 signé (sous la pression de Pékin) entre les deux rivaux est un tournant stratégique dont la portée est négligée par maints observateurs au vu de ses résultats matériels modestes. Si le volet sécuritaire de l’accord n’a pas produit de changement spectaculaire dans le comportement régional iranien [13], en revanche le volet économique est une priorité pour les deux parties. Du coup, elles veillent soigneusement à apaiser leurs relations et à poser des jalons de coopération économique. Téhéran sait qu’une riposte militaire massive à la liquidation de Nasrallah contrarierait Riyad dont l’Iran a besoin pour faire pression sur Israël et pour son économie. C’est un facteur qui importe pour interpréter l’attitude iranienne mais est-il plus déterminant que d’autres ?

L’Iran a d’abord procédé à une rapide évaluation du nouveau paysage stratégique tout en s’abstenant de lancer immédiatement des actions spectaculaires de ‘vengeance’ même si au sein des Gardiens et des durs du régime, des voix promettaient un châtiment. Le Guide ne s’y est pas engagé, et Zarif, le conseiller stratégique de Pezeshkian, a classiquement indiqué que la riposte interviendrait… en temps voulu [14].

Or, le 1er octobre, l’Iran tire quelque 180 ou 200 missiles balistiques depuis son territoire en direction de localités israéliennes, notamment dans la région de Tel-Aviv. Une action d’une ampleur majeure confirmée des deux côtés [15]. Téhéran affirme que les missiles (présentés comme hypersoniques) ont atteint la plupart des objectifs (militaires) tandis qu’Israël annonce que la grande majorité d’entre eux a été interceptée. L’armée israélienne a promis de répliquer de façon adéquate, Netanyahu annonce que Téhéran a commis une erreur stratégique et sera puni sévèrement, tandis que l’Iran a menacé Israël d’une réponse dévastatrice en cas de riposte israélienne [16]. Washington revendiquant avoir participé à l’interception des missiles iraniens, avertit que cette attaque ne sera pas sans conséquences et se tient prêt à défendre son allié. Les deux protagonistes rivalisent en propos lourds de menaces. Tous les ingrédients de l’escalade sont réunis car on imagine mal l’Etat hébreu ne pas infliger un choc redoutable à son adversaire. Alors que Téhéran donnait l’impression, au vu des risques encourus, de rester fidèle à sa doctrine de ‘patience stratégique’, pourquoi la République islamique a-t-elle choisi de s’en écarter, du moins en apparence, dans une nouvelle phase ? La première raison est l’urgence de restaurer sa dissuasion conventionnelle gravement endommagée. Les responsables militaires ont dû peser de tout leur poids pour une action rapide et forte. Comme elle tranche sur la ligne suivie jusqu’ici, ils ont aussi joué sur l’effet de surprise. Washington a cependant prévenu Israël de l’imminence de cette attaque. Selon le quotidien israélien Haaretz du 1er octobre, un haut responsable du Pentagone aurait déclaré sur Sky News Arabic que l’Iran a prévenu certains ‘acteurs’ étrangers du moment et de l’étendue de l’attaque plusieurs heures à l’avance. D’après Reuters, Téhéran aurait informé la Russie avant la salve de missiles. Si cet écho est exact, ceci est un important signal qui indique une volonté iranienne de minimiser les pertes humaines, conforme à la ligne que l’on a déjà observée dans le passé, notamment lors des tirs sur une base américaine en Irak après l’élimination de Soleimani. De la sorte, Téhéran introduit un élément de ‘calibration’ destiné à montrer que sa riposte est limitée conformément à sa doctrine classique. Ceci aura-t-il un effet sur l’ampleur de la réplique israélienne ? La seconde (paradoxale) est que restaurer la dissuasion conventionnelle est un moyen d’éviter de lancer la fabrication d’un arsenal atomique. Téhéran a aussi besoin de rassurer ses alliés. Ce faisant, les dirigeants iraniens ont pris un gros risque : celui d’affaiblir considérablement leur offensive de charme en cours à l’ONU, et de fragiliser leurs rapports avec Riyad. On peut aussi se demander si ceci ne reflète pas une manoeuvre des durs du régime pour contrer la politique de détente de Pezeshkian et de son cabinet et miner son poids politique à l’intérieur.

Après cet épisode, quels sont les prochains objectifs d’Israël ?

Cette question est cruciale mais y répondre est malaisé. La priorité pour l’Etat hébreu est de permettre le retour des habitants du Nord d’Israël dans leurs maisons [17] qu’ils ont dû évacuer du fait des tirs du Hezbollah. Il s’agit de repousser le Hezbollah. Jusqu’où ? Là est la question. Il avait été question d’obtenir du Hezbollah qu’il se retire au-delà de la rivière Litani après la résolution 1701 du Conseil de Sécurité des Nations unies [18]. Les médiations diverses ont échoué à convaincre la milice chiite de se retirer. Elle y voit un moyen de pression pour contraindre Israël à un cessez-le-feu à Gaza [19]. Visiblement, c’est une erreur de calcul. Symétriquement, l’Etat hébreu veut obliger le Hezbollah à renoncer à exiger un cessez-le-feu à Gaza comme condition de son retrait. La 98ème division de l’armée israélienne avait pris position dans cette zone, prête à intervenir. Des raids de reconnaissance ont eu lieu. C’est donc sans surprise que dans la nuit du 1er octobre, les troupes israéliennes ont commencé leur opération au sol [20]. Selon le site Axios (bien informé), le cabinet israélien conçoit ces actions comme « ciblées et limitées dans le temps et l’espace, et ne visent pas à occuper le sud du Liban » [21]. Les mêmes analystes rapportent que Washington, qui redoutait une opération de grande ampleur, estime avoir réussi à convaincre Tel Aviv de ne procéder qu’à la destruction des infrastructures du Hezbollah dans la zone frontalière du Sud-Liban, et de repousser les forces de la milice chiite, ce qui (selon un responsable militaire israélien) était le plan initial de Tsahal. On perçoit que les échanges qui ont eu lieu entre l’administration américaine et ses interlocuteurs israéliens pendant 48 heures ont été ‘intenses’, Washington indiquant à ces derniers ses vives craintes qu’une opération initialement ‘limitée’ ne se prolonge dans le temps et dans l’espace.

De fait, Israël se contentera-t-il d’une opération ‘localisée’ dans le nord ?

Un certain nombre d’éléments permettent d’envisager une réponse négative. C’est une guerre totale qui est engagée contre le Hezbollah. On vient de le constater avec les frappes qui ont touché le centre de Beyrouth le 29 septembre, une première. Trois responsables du FPLP (mouvement palestinien allié du Hezbollah) ont été tués [22] ainsi que Fateh Sherif Abu el-Amin, représentant du Hamas au Liban. Pour Netanyahu, une fenêtre d’opportunité exceptionnelle se présente : le Hezbollah est désorganisé, Washington ne peut pas empêcher Israël de lancer des opérations, qu’elles soient terrestres ou aériennes. La paralysie de l’exécutif s’explique largement par le poids de l’électorat juif en vue des présidentielles américaines du mois de novembre. Netanyahu ne risque pas grand chose de ce côté car il sait (et constate) que Washington n’utilisera pas le seul moyen de pression efficace : la coupure de l’assistance militaire et financière. Il souhaite ardemment l’élection de Trump qui l’a déjà encouragé à ‘finir le job’ à Gaza par une victoire rapide. L’armée israélienne estime d’ailleurs avoir pratiquement gagné contre le Hamas [23].

Mais s’agissant du Liban, l’affaire n’est pas close. Le général Gallant a prévenu ses troupes qu’elles devaient poursuivre le travail de réduction du Hezbollah. Toute la question est de savoir jusqu’où et comment. Les responsables israéliens indiquent qu’ils n’entendent pas occuper le Liban. Cette affirmation est crédible dans la mesure où il est clair que Tsahal n’a pas les moyens en hommes et en matériel d’occuper autre chose qu’une bande de territoire. Au-delà ce n’est pas tenable. Par contre, les frappes sur un large espace libanais se poursuivent et vont se poursuivre pour compléter l’anéantissement du Hezbollah. Nous ignorons si d’autres moyens autres qu’aériens (avions, missiles, drones) seront utilisés, en particulier la marine israélienne. Nous constatons un élargissement du champ de guerre par celui des cibles visées. Israël poursuit ses frappes sur des sites en Syrie (tenus par le Hezbollah et/ou des Gardiens), notamment dans le Golan. Ceci signifie une volonté d’éliminer radicalement un ensemble de menaces pesant sur Israël. Joshua Zarda, ambassadeur d’Israël en France, estime qu’une partie de la tâche est à présent accomplie après avoir détruit « entre 60% et 80% de ses capacités militaires ». Pour notre part, nous considérons que ceci laisse entière la question de la nature et de l’ampleur des capacités de riposte d’un Hezbollah très affaibli. Mais, plus intéressant, le diplomate précité déclare qu’avec la perte du Hezbollah, l’Iran a perdu son principal moyen de dissuasion vis-à-vis d’Israël. » Il poursuit avec un aveu significatif : « L’Iran est notre principal problème » [24] et indique qu’il faut passer par une ‘période de guerre’ contre les proxis. Ils sont connus : le Hezbollah, les milices chiites pro-Iran en Irak, les Houthis yéménites [25]… Mais quid de l’Iran qui, selon l’ambassadeur précité, « représente le cœur du problème » ? Les tirs iraniens du 1er octobre accroissent l’acuité de cette interrogation.

L’Iran, prochaine cible ?

Ceci nous oblige à nous demander si Netanyahu ne va pas franchir l’ultime étape, à savoir une confrontation directe avec l’Iran ? Netanyahu y a déjà songé dans le passé. Il s’était vu opposer un veto ferme sous l’administration Obama. Or le 4 mai 2023, Jake Sullivan indique que Washington « reconnaît à Israël sa liberté d’action » [26]. Une rupture de la doctrine américaine passée inaperçue. Au cours de l’année 2023, plusieurs exercices conjoints simulant des frappes sur l’Iran ont été menés avec la participation d’avions ravitailleurs américains. Certes, l’administration Biden a multiplié les tentatives en vue d’obtenir un cessez-le-feu à Gaza et au Liban. La dernière initiative américaine avec la France, le 25 septembre, rejointe par l’Union européenne, le Canada, l’Australie, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Qatar, appelle à un cessez-le-feu de 21 jours pour mettre en œuvre la résolution 1701 pour le Liban et la résolution 2735 du Conseil de Sécurité pour un cessez-le-feu à Gaza [27]. Cet appel a été rejeté par Netanyahu qui estime que la guerre n’est pas finie. Il est permis de penser que s’il avait consenti à cette trêve, les ministres extrémistes de son gouvernement auraient fait exploser sa coalition, mettant un terme à sa carrière politique et l’exposant à son incarcération pour corruption. On connaît la suite. Les plaidoyers américains pour des solutions diplomatiques à Gaza et au Liban sont automatiquement assortis de proclamations d’appui inconditionnel à Israël, et à son « droit à se défendre », comme dans le communiqué célébrant l’élimination de Nasrallah qualifiée de « mesure de justice ». Une contradiction qui vide ce texte de toute portée pratique [28].

La tentation existe chez Netanyahu de ‘terminer le job’ en Iran comme à Gaza. L’allusion à l’érosion de la dissuasion (conventionnelle) de la République islamique est un signe. Mais le Premier ministre israélien sait qu’il prend alors un risque d’une autre ampleur s’il tente de frapper un Iran affaibli. Les coûts seront de plusieurs natures (pas que militaires). Notamment politiques et stratégiques. Déjà l’Arabie saoudite est contrariée par le trouble causé par l’activisme israélien. Sans doute, d’autres Etats de la région le sont aussi. Les Emirats arabes unis, bien que signataires des Accords d’Abraham, sont également perturbés par la déstabilisation régionale, comme le Qatar. L’Irak est agité par les soubresauts des milices chiites pro-iraniennes. Quant à la Turquie, en quête de leadership, elle tonne contre ce qu’elle considère comme une action criminelle. Il y réfléchit donc à deux fois.

Une victoire tactique évidente pour Israël mais les germes d’erreurs stratégiques chez les deux ennemis ?

Cette question mérite déjà d’être posée face à une situation très volatile dont l’évolution est imprévisible. Si la fluidité du conflit en cours nous oblige à la plus grande prudence, il est permis de soulever cette interrogation. Une boite de Pandore a été imprudemment ouverte. Assurément Israël a réussi à rétablir la crédibilité de sa dissuasion écornée le 7 octobre 2023 et à fracturer celle de ses adversaires. Dont acte. Mais, au-delà, une vision plus panoramique s’impose sur ce nouveau paysage. Pour ce qui est de l’Iran, le fait de riposter par des tirs directs de missiles plus difficiles à intercepter sur le territoire israélien est une décision extrêmement périlleuse susceptible d’entraîner une escalade hors de contrôle, surtout quand on connaît les menaces proférées par Israël en pareil cas. Dans une parfaite symétrie, Téhéran a menacé Israël de redoutables châtiments si Israël réplique en frappant son territoire. Notons que ni la Russie ni la Chine ne sont venues massivement au secours de la République islamique malgré la perspective d’un partenariat stratégique (pas encore signé) avec Moscou, et l’accord de 25 ans avec Pékin. Du côté israélien, Netanyahu a pris un risque (calculé) en défiant ouvertement l’administration Biden (qu’il ne ménage pas depuis longtemps), tablant visiblement sur l’élection de Donald Trump. Les jeux ne sont pas joués mais le candidat républicain a lourdement enjoint Netanyahu d’engranger une victoire « rapidement », pour mettre un terme aux affrontements armés [29]. Ce détail a son importance.

Mais à notre sens, il faut accorder beaucoup plus d’attention à la posture saoudienne. L’habile réaction de Riyad, d’une extrême prudence, atteste son insatisfaction. Le royaume, comme d’autres, appelle au respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté du Liban [30], ce qui implique la cessation des affrontements armés et le retour de la diplomatie. MBS, rappelons-le, a opéré un virage stratégique avec l’accord signé avec l’Iran et recherche une détente régionale nécessaire à son Plan Vision 2030 de développement économique qui nécessite de développer la connectivité du Golfe avec les régions voisines. L’Arabie saoudite avait durci le ton à l’égard d’Israël en déclarant qu’elle ne pourrait ouvrir des relations diplomatiques avec l’Etat hébreu en l’absence de création d’un Etat palestinien [31]. Les pressions de tous ordres (notamment du côté du roi) ont contraint MBS à cette fermeté (verbale). En frappant le Hezbollah, Israël dévaste et déstabilise le Liban déjà exsangue, ce qui nuit aux intérêts saoudiens. La perspective de relations diplomatiques s’éloigne d’autant. Le trouble apporté par l’offensive israélienne gêne les Emirats et pourrait fragiliser la coopération active avec l’état hébreu. Seront-ils obligés de mettre en sourdine l’accord d’Abraham ? Enfin, si l’escalade iranienne suivant la décapitation du Hezbollah n’est pas freinée, il y a un risque évident d’embrasement généralisé en fonction, notamment, des réactions israéliennes et américaines. Comment la diplomatie peut-elle ramener les protagonistes à la raison ? Peut-on envisager que l’Arabie saoudite, qui jouit d’un certain leadership du fait de sa prudence, fasse pression sur les acteurs en présence pour retrouver le chemin de la diplomatie ? Moscou et Pékin, certainement soucieux de mettre un terme aux affrontements, devraient également peser en ce sens. Washington, d’un côté, freiné dans ses initiatives par la proximité des élections présidentielles, dispose sur zone d’un outil militaire extrêmement puissant, comme on l’a vu, mais au service d’une stratégie héritée du combat contre ‘l’axe du mal’ dont la pertinence et l’efficacité sont douteuses. De l’autre, l’Amérique, par des choix malheureux et pas toujours cohérents, a perdu de sa crédibilité diplomatique. Elle n’est pas la seule.

Publié le 02/10/2024


Outre une carrière juridique de 30 ans dans l’industrie, Michel Makinsky est chercheur associé à l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe (IPSE), et à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA), collaborateur scientifique auprès de l’université de Liège (Belgique) et directeur général de la société AGEROMYS international (société de conseils sur l’Iran et le Moyen-Orient). Il conduit depuis plus de 20 ans des recherches sur l’Iran (politique, économie, stratégie) et sa région, après avoir étudié pendant 10 ans la stratégie soviétique. Il a publié de nombreux articles et études dans des revues françaises et étrangères. Il a dirigé deux ouvrages collectifs : « L’Iran et les Grands Acteurs Régionaux et Globaux », (L’Harmattan, 2012) et « L’Economie réelle de l’Iran » (L’Harmattan, 2014) et a rédigé des chapitres d’ouvrages collectifs sur l’Iran, la rente pétrolière, la politique française à l’égard de l’Iran, les entreprises et les sanctions. Membre du groupe d’experts sur le Moyen-Orient Gulf 2000 (Université de Columbia), il est consulté par les entreprises comme par les administrations françaises sur l’Iran et son environnement régional, les sanctions, les mécanismes d’échanges commerciaux et financiers avec l’Iran et sa région. Il intervient régulièrement dans les media écrits et audio visuels (L’Opinion, Le Figaro, la Tribune, France 24….).


 


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