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Entretien avec Leila Seurat – Le point sur le Hamas

Par Leila Seurat, Mathilde Rouxel
Publié le 18/08/2017 • modifié le 19/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Leila Seurat

Quelles sont les grandes évolutions des alliances régionales du Hamas ?

Le Hamas est fragilisé depuis le coup de force du maréchal Al-Sissi en Égypte contre le président Morsi, en 2013. Al-Sissi s’est immédiatement montré très dur à l’égard du Hamas, qu’il accusait de collusion avec les Frères musulmans. Il a aussi détruit les tunnels de contrebande qui reliaient l’Egypte à la bande de Gaza, qui lui permettaient de ne pas être dans une situation totale d’isolement. La fermeture de ces tunnels a donc mis le Hamas dans de grandes difficultés, auxquelles s’est ajouté l’enlisement de la guerre en Syrie et la diminution du soutien économique iranien. La volatilité du contexte régional né des printemps arabes a porté atteinte au Hamas en particulier à son pôle extérieur qui, contraint de quitter la Syrie, dépend constamment de l’hospitalité de pays hôtes. En 2012, les dirigeants de la direction du Hamas en exil se sont ainsi installés au Qatar pays qui, en dépit des dons offerts par l’émir pour la reconstruction de la bande de Gaza, n’apparaît pas comme un substitut en mesure de remplacer le soutien matériel iranien. D’autant plus que Doha se trouve aujourd’hui fragilisé, mise au ban par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Cette crise affaiblit le Hamas qui, au début du mois de juillet, a vu certains de ses dirigeants expulsés de l’émirat avec leurs familles. Si l’identité de ces derniers reste floue, il semblerait que Salah al-Arouri, l’homme qui avait revendiqué l’enlèvement et l’assassinat de trois Israéliens à la veille de la guerre de 2014, aurait été expulsé par Doha et aurait trouvé refuge au Liban. En expulsant ce proche des brigades al-Qassam, la branche armée du Hamas, le Qatar répond partiellement aux attentes des Saoudiens et des Emiriens qui accusent le Mouvement de la Résistance Islamique de terroriste. Face à la fragilité du pôle extérieur et la nécessité de trouver de nouveaux soutiens, le Hamas rédige un nouveau document politique qui détermine clairement sa ligne politique, loin des préconisations de sa charte de 1988.

Cette situation de grandes difficultés que connaît le Hamas peut toutefois être nuancée. L’expulsion de l’ensemble des membres du mouvement ne figure pas sur la liste des treize demandes adressées par le CCG au Qatar, liste sur laquelle figuraient de nombreuses requêtes jugées irréalistes par Doha, dont la fermeture d’Al-Jazeera ou la rupture des liens entretenus avec le Hezbollah ; mais nulle mention n’était faite du Hamas. Par ailleurs, les relations avec la République islamique sont en passe de s’améliorer d’autant que Khaled Mechaal, qui avait émis de virulentes critiques à l’égard des Iraniens et du Hezbollah depuis Doha, a quitté la présidence du mouvement. Enfin, le blocus de la bande de Gaza pourrait s’assouplir côté égyptien notamment grâce à la médiation de Mohamed Dahlan. Ennemi historique du Hamas, celui-ci se rapproche aujourd’hui de son ancien adversaire dont le soutien à Gaza pourrait lui permettre de réaliser ses ambitions politiques en Palestine.

Qu’est-ce qui a poussé le Hamas à accepter un État palestinien sur les frontières de 1967 ?

La reconnaissance des frontières de 1967 n’est pas nouvelle. Dès le début des années 1990, le cheikh Ahmad Yassine préconisait cette solution intermédiaire d’acceptation d’un État dans des frontières réduites, sans abandonner pour autant l’idée d’une Palestine de la mer au fleuve. Par ailleurs, l’acceptation de ces frontières est une position défendue par le Hamas dans l’ensemble des accords de réconciliation inter-palestinienne que celui-ci a signé depuis 2005. On peut notamment évoquer le document des prisonniers de juin 2006. La date de 2005 constitue une rupture importante pour le Mouvement de la Résistance Islamique qui, en acceptant d’entrer dans le jeu électoral et de participer aux élections législatives, infléchissait nécessairement son discours politique. Ayant remporté ces élections en janvier 2006, la victoire ne pouvait que conforter ces évolution, désormais seul gestionnaire de l’Autorité palestinienne entre 2006 et 2007. Khaled Mechaal, au cours d’un entretien que nous avons réalisé avec lui au Qatar, inscrit ce nouveau document politique dans la continuité de l’ensemble de ces accords signés avec le Fatah (accords du Caire en mars 2005, document des prisonniers ou d’entente nationale en juin 2006, accords de La Mecque en février 2007, accords du Caire en mars 2011, accords de Doha en février 2012, accords d’al-Shati en mai 2014).

L’unique différence réside dans le fait que cette position sur les frontières de 1967 est désormais présente dans un document propre au Hamas. Elle n’est plus uniquement le reflet d’accords de réconciliation entre Palestiniens qui pourrait faire dire aux sceptiques qu’il ne s’agit pas d’une position officiellement défendue par le mouvement mais uniquement d’une concession conjoncturelle octroyée au Fatah. Sans abroger la charte de 1988, ce nouveau document politique a pour objectif de permettre la reconnaissance à terme, par les acteurs régionaux comme par les acteurs internationaux, du Hamas comme interlocuteur alternatif à l’OLP.

Très récemment, Le Caire a livré 1,2 millions de litres de fuel à Gaza. Quel est l’enjeu de cette collaboration ?

La bande de Gaza est alimentée en électricité par trois sources. Elle dispose d’une centrale, endommagée par les opérations israéliennes successives, et reçoit du carburant de l’Égypte d’une part et d’Israël d’autre part, payé par l’Autorité palestinienne. C’est l’arrêt de cette dernière source qui a provoqué la nouvelle crise : jusqu’à l’intervention de l’Égypte, Gaza s’est retrouvé avec moins de deux heures d’électricité par jour. Cette pénurie eut de dangereuses conséquences, impactant notamment les infrastructures de soin et les hôpitaux.

La crise énergétique et sa résolution enchevêtre plusieurs sujets et implique plusieurs types d’acteurs. Elle concerne les relations entre le Hamas et l’Autorité palestinienne de Ramallah, les relations entre le Hamas et l’Égypte, mais implique aussi les pays du Golfe.
Cette dernière crise est avant tout la conséquence du conflit inter-palestinien, puisqu’elle est due à l’annonce de Mahmoud Abbas qu’il ne paierait plus la facture d’électricité aux Israéliens, qui ont alors stoppé la livraison de fioul. Cette décision est donc le reflet de la volonté de Mahmoud Abbas. Elle s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de ce qu’il fait depuis plusieurs mois : il annonçait déjà, à la veille de la visite de Donald Trump à Bethléem en mai dernier, sa volonté d’amener par la force le Hamas au compromis.

Le 21 juin, Le Caire annonce la livraison de 1,2 million de litres de carburant. Ce geste peut tout d’abord être interprété dans sa temporalité symbolique. Intervenu à la veille de l’Aid, jour de la fin du Ramadan, les autorités égyptiennes ne pouvaient laisser la situation se dégrader davantage. Les Égyptiens souhaitent avant toute chose éviter une crise humanitaire à Gaza, dont ils partagent les frontières. Ainsi, même s’ils participent au blocus (passage fermé, tunnels comblés), et que l’on connait la position d’hostilité de l’axe Le Caire-Ryad-Abou Dhabi vis-à-vis du Hamas, ils ne peuvent participer à l’aggravement de la crise. Il apparaît rapidement qu’un Hamas domestiqué est pour Le Caire plus avantageux qu’un Hamas violent envers l’Égypte. On voit ainsi les limites de cet axe Le Caire-Ryad-Abou Dhabi : du fait de sa frontière avec Gaza, Le Caire a son propre agenda. Il doit sécuriser cette zone et cela passe nécessairement par une forme de dialogue avec le Hamas.

Il faut enfin examiner le rôle de Mohamed Dahlan. En 2006, quand le Hamas remporte les élections, Dahlan s’engage dans une lutte sanglante de quelques jours pour récupérer le pouvoir. Ce putsch raté réduit à néant le Fatah de Gaza et Mohamed Dahlan est contraint par Abbas à l’exil. Son installation aux Émirats arabes unis lui a permis de développer d’excellentes relations avec ce pays et avec d’autres monarchies du Golfe. En Égypte, il réalise un véritable travail de lobbying auprès des autorités égyptiennes pour qu’elles assouplissent leurs positions vis-à-vis du Hamas à Gaza. Sa proximité avec le chef du Hamas à Gaza Yahia al-Sinwar, scolarisés dans la même école durant leur enfance à Khan Younès, est également une donnée importante pour comprendre le succès de sa médiation entre l’Égypte et le Mouvement de la Résistance Islamique.

Quelles relations entretiennent aujourd’hui le Hamas et l’Autorité palestinienne ?

La crise énergétique montre que les relations entre le Hamas et l’Autorité palestinienne sont au plus bas. La présidence de Mahmoud Abbas a durci plus que jamais toute possibilité d’entente, poussant le Hamas soit à céder le pouvoir, soit à déclarer la guerre sans prendre en considération l’impact d’une telle politique sur les populations civiles. D’ailleurs, le nouveau document du Hamas exprime davantage sa volonté de se positionner comme interlocuteur alternatif à l’OLP qu’à présenter un programme politique destiné à candidater pour entrer dans l’OLP. La réconciliation inter-palestinienne apparait aujourd’hui comme totalement chimérique, elle a d’ailleurs été longtemps un affichage consensuel de la part des deux parties plutôt qu’un engagement politique sincère.

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Entretien avec Leila Seurat – Le Hamas aujourd’hui

Publié le 18/08/2017


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


Leila Seurat est docteur en science politique (Sciences Po Paris) et chercheur associée au CERI (Centre de Recherches Internationales).
Elle est notamment l’auteure de Le Hamas et le monde, paru en 2015 aux éditions du CNRS.


 


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