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Joseph Bahout est chercheur invité au Carnegie Endowment à Washington, spécialiste du Moyen-Orient.
Il est à la fois nécessaire de remettre cette conférence dans le contexte économique libanais et d’établir l’historique de ce genre de conférences, régulièrement organisées depuis une quinzaine ou une vingtaine d’années.
On se trouve aujourd’hui en face d’un pays en pleine crise économique et financière, qui a toujours été en déni depuis la fin de la guerre, et plus particulièrement depuis le début des années 2000. La situation est toutefois aujourd’hui plus dramatique encore : l’endettement s’amplifie de jour en jour, le PIB est principalement consacré au service de la dette et à des dépenses courantes (les salaires des fonctionnaires, etc.). Le Liban réalise très peu d’investissement et de croissance, notamment en raison du fait des intérêts des politiques monétaires de la banque centrale, qui ont un impact réel sur la croissance du pays. Enfin, on observe au Liban une déréliction totale des infrastructures, qui deviennent complètement inopérantes. L’électricité, particulièrement, est devenue un véritable scandale national, mais on observe aussi de graves déficiences au niveau des infrastructures routières, d’internet, et plus généralement des services de base. Le pays est ainsi laissé pratiquement sans aucune gouvernance économique depuis des années et la gestion des équilibres financiers et monétaires qui se font largement par le soutien de la banque centrale.
Aujourd’hui, tout le monde est conscient du désastre qui s’annonce. La situation inquiète particulièrement les Occidentaux, pour lesquels le maintien à flots du Liban est fondamental. Or, le pays, qui fait face aussi au problème des réfugiés, est aujourd’hui fragile, et les Occidentaux sont extrêmement soucieux de contenir ce brasier afin de ne pas ajouter le Liban au tableau des situations catastrophiques de la région. C’est ainsi qu’il a été décidé d’organiser, alors que le Liban a depuis peu des institutions qui fonctionnent à nouveau, un président élu et des élections législatives qui se préparent, une nouvelle réunion de soutien au Liban. Cela répond à certaines promesses de Macron et de certains États de l’Union.
Cela me conduit au rappel rapide de l’historique de ces conférences. CEDRE s’inscrit dans la continuité d’une série de conférences, baptisées Paris 1, Paris 2 et Paris 3. Elles avaient été initiées à l’époque par Jacques Chirac, qui était très proche de Rafic Hariri. Ces conférences étaient menées dans une optique positive, et avaient pour objectif de lever des fonds, pour permettre de nouveaux investissements au Liban, en vue de la reconstruction du pays.
CEDRE s’inscrit dans la continuité de ces rencontres. Toutefois, la décision de renommer la conférence avait pour objectif de marquer la différence dans la manière de procéder, c’est-à-dire permettre une levée de fonds plus importante pour le pays, mais imposer aussi une rigueur beaucoup plus importante dans la surveillance des dépenses, par la mise en place d’une série de mesure et d’une feuille de route à suivre, sans quoi l’argent ne tomberait pas.
Le changement de nom est ainsi finalement un changement largement cosmétique d’une part, puisqu’il s’inscrit bel et bien dans une pratique historiquement ancrée, mais il témoigne d’autre part malgré tout d’un changement d’état d’esprit, notamment de la partie française, principale artisan de ces rencontres et qui s’est avérée très soucieuse des engagements que doit prendre le Liban pour bénéficier de ces importantes sommes. En définitive, le Liban a obtenu une donation qui a dépassé 11 milliards de dollars - c’est plus que ce qu’il attendait. La question est aujourd’hui de savoir s’il sera capable de tenir ses engagements.
Cette feuille de route est consignée dans un document très long et complexe. On peut toutefois en résumer les grandes lignes.
On y trouve d’abord une partie concernant l’assainissement des finances publiques : surveiller le déficit, revoir le système de fiscalité et de redistribution des richesses, relancer certains fonds de soutiens qui avaient été mis de côté, etc. Ceci concerne la partie proprement économique.
Il y a également une partie concernant l’investissement, qui doit conduire au redressement des infrastructures immédiates - notamment dans le secteur de l’électricité, du réseau routier, qu’il faut améliorer afin de permettre aux gens de circuler et d’aller travailler, de relancer l’investissement dans les secteurs dans lesquels on peut retrouver aujourd’hui de la croissance au Liban, et assainir l’état désastreux du portefeuille. Ce n’est pas plus que cela ; toutefois, ce serait déjà un grand pas si le Liban parvenait à mettre fin à la corruption et aux dépenses vaines en frais de fonctionnement dans les secteurs hypertrophiés.
Les détails microéconomiques ne sont pas les plus importants. Ce qui est particulièrement attendu aujourd’hui, c’est que la classe politique libanaise se réveille et se rende compte qu’il est nécessaire désormais de réfléchir autrement : elle ne peut plus attendre de la communauté internationale un soutien financier dilettante comme elle en bénéficiait jusque-là.
Il y a d’abord un scepticisme général des Libanais : qu’est-ce qui garantit que les mêmes feront autre chose après les élections ?
La deuxième question est politique. Faire cette conférence en amont des élections signifiait d’une certaine façon donner une sorte de blanc-seing à la classe politique avant qu’elle ne soit renouvelée par les élections. Cette conférence est donc apparue pour certains comme un certificat de bonne conduite pour le gouvernement libanais. L’autre solution aurait été d’attendre la fin des élections, et de s’imposer avec des conditions très fermes.
Seulement, d’un autre côté, le président Macron avait déjà reporté sa visite à Beyrouth dans ce sens-là, afin de ne pas donner l’impression qu’il venait applaudir la classe politique et qu’il venait soutenir certains partis avant les élections. Reporter en plus cette conférence devenait difficile. Il s’agissait de soutenir les Libanais, en amont de nouvelles élections qui permettront une relance des institutions politiques : la rigueur attendue et exposée à CEDRE devait conduire à un sursaut, en tout cas un souci, de la part de la classe politique libanaise, sur les points qui ont été évoqués.
En soi, la question de la loi électorale n’a pas grand-chose à voir avec la conférence CEDRE. Cette loi est importante bien sûr, en premier lieu parce qu’elle permet à ces élections de se tenir ; elle a des aspects positifs intéressants mais demeure sur d’autres points assez ubuesque.
Elle a d’intéressant l’instauration d’une culture de la proportionnelle, qui met fin à cette culture de la majoritaire en vigueur jusque-là, qui conduisait à l’élection d’un député à seulement 25 ou 30% des voix. Ce choix d’un modèle proportionnel était censé forcer les forces politiques à se coaliser en termes de programme. Malheureusement, ce point est l’un des ratés de la loi. Les listes restent très incohérentes, et les alliances contre-nature.
L’important dans cette loi est qu’elle va permettre une stabilisation de la vie politique - ce qui est l’une des premières étapes et l’un des premiers objectifs de la conférence CEDRE. L’élection ne prépare pas de grande surprise : le Hezbollah va rester la force la plus stable et dominante, bien que d’autres forces vont peut-être, très relativement, s’affirmer, ce qui donnerait une faible impression de renouvellement. Toutefois, aucun bouleversement politique ni révolution culturelle n’est à attendre ; le principal bénéfice de ces élections est que les institutions vont fonctionner à nouveau et que le président ne pourra plus dire ce qu’il dit depuis qu’il est élu, c’est-à-dire qu’il ne peut commencer à travailler sans Parlement. Ce sont les premiers pas pour un redressement du pays. La classe politique libanaise n’a plus beaucoup d’alibis !
Lire également :
Entretien avec Joseph Bahout – Le point sur le Liban après le retour de Saad Hariri
Entretien avec Joseph Bahout – Quelle situation après la démission de Saad Hariri ?
Joseph Bahout
Joseph Bahout est professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et chercheur à l’Académie diplomatique internationale.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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