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La guerre Israël-Hamas est dévastatrice pour l’économie palestinienne en Cisjordanie. Le chômage a explosé et l’Autorité palestinienne risque la banqueroute. Le chercheur Ismat Quzmar, économiste auprès du Palestine Economic Policy Research Institute (MAS), analyse la crise qui frappe la Cisjordanie.
Avant tout, il est impossible de comparer les économies israélienne et palestinienne, car l’économie palestinienne opère sous le contrôle de l’Etat d’Israël qui contrôle les frontières, a la main sur les déplacements en Cisjordanie mais aussi sur le marché du travail palestinien.
Pour expliquer pourquoi l’économie palestinienne est si affectée, plusieurs facteurs entrent en compte :
– D’abord, depuis le 7 octobre, Israël n’a pas renouvelé les permis de travail pour environ 170 000 Palestiniens de Cisjordanie qui travaillaient en Israël et dans les colonies avant la guerre. Seuls quelques milliers de Palestiniens, dans des domaines spécifiques, notamment le secteur sanitaire, ont pu renouveler leur permis.
Ceci a des conséquences désastreuses pour de nombreuses familles en Cisjordanie, car les revenus de ces travailleurs contribuaient à l’économie palestinienne à hauteur de 24% du PIB avant le 7 octobre.
Par ailleurs, même pour les rares Palestiniens qui ont renouvelé leur permis, les restrictions se sont renforcées. Ils doivent maintenant passer par une procédure de contrôle plus longue quand ils se rendent en Israël.
– Ensuite, Israël a bloqué le versement des taxes douanières à l’Autorité palestinienne (AP). Depuis le 7 octobre, il n’a versé que 20% des recettes douanières qui devaient être destinées à l’AP. Étant donné que les Israéliens contrôlent l’ensemble des frontières, ils sont chargés de collecter les taxes des produits entrant en Territoires palestiniens pour ensuite les reverser à l’Autorité palestinienne selon des accords passés en 1994.
Déjà, à partir de 2019, Israël avait commencé à déduire des recettes de ces taxes douanières un montant égal au total des transferts effectués par l’AP aux familles des martyrs et des prisonniers. Après le 7 octobre, pendant quelques mois, Israël n’a transféré aucune somme à l’Autorité palestinienne. Puis, fin janvier 2024, l’Etat israélien a annoncé qu’il allait transférer les recettes des taxes à un tiers, la Norvège, après avoir déduit la part destinée à Gaza et celle destinée aux prisonniers et aux martyrs dans les dépenses mensuelles. Le ministre israélien des Finances Bezalel Smotrich a annoncé avoir approuvé le versement de 530 millions de shekels vers l’Autorité palestinienne pour le mois de juin (soit 131 millions d’euros). Cela fait suite au transfert de 435 millions de shekels (soit 107 millions d’euros) versés pour avril et mai. Ces décisions ont été prises après que les États-Unis et d’autres acteurs internationaux ont exercé une forte pression sur le gouvernement israélien.
L’AP doit encore obtenir six milliards de shekels (soit 1,4 milliard d’euros) toujours détenus par Israël. C’est un manque à gagner considérable pour le budget de l’Autorité palestinienne, qui s’élevait à 14 milliards d’euros en 2023. Les autorités palestiniennes ne peuvent plus verser l’ensemble des salaires aux employés de la fonction publique. Depuis plusieurs mois, les fonctionnaires palestiniens ne reçoivent que la moitié de leur salaire, et cela pourrait encore baisser dans les mois à venir. Les conséquences sont graves, les Palestiniens s’enfoncent dans la pauvreté car l’AP est le premier employeur en Cisjordanie.
– Par ailleurs, le tourisme dans les Territoires palestiniens s’est effondré depuis le 7 octobre. Le ministère palestinien du Tourisme et des Antiquités a indiqué que le nombre de visiteurs en Cisjordanie incluant Jérusalem-Est atteignait le nombre de 2,5 millions de janvier à début octobre 2023, soit environ 278 000 visiteurs par mois. Mais après le déclenchement de la guerre, il a chuté à moins de 1 % de ce chiffre. Les villes palestiniennes perdent ainsi environ 2,5 millions de dollars par jour, 60 % de ces pertes affectent Bethléem.
– La multiplication des restrictions de mouvements en Cisjordanie a aussi affecté durablement le commerce palestinien. Les Palestiniens d’Israël (Palestiniens de citoyenneté israélienne) étaient habitués à consommer dans les villes palestiniennes de Cisjordanie, où les prix sont plus bas qu’en Israël. Avec les difficultés pour entrer et sortir de Cisjordanie en direction des grandes villes palestiniennes, ils y limitent maintenant leurs déplacements.
– Les raids de l’armée israélienne portent aussi un coût à l’économie locale. Dans certaines villes palestiniennes, en particulier dans le nord de la Cisjordanie, à Tulkarem et Jénine, du fait des incursions de l’armée israélienne, l’économie est asphyxiée.
– Enfin, il faut aussi mentionner les difficultés auxquelles font face les agriculteurs palestiniens, du fait des attaques des colons israéliens et des restrictions de l’armée israélienne. La saison 2023 a été dévastatrice pour les fermiers qui n’ont pas pu faire la récolte de leurs olives.
Dans ce contexte, les Palestiniens limitent leurs dépenses, ce qui contribue à ralentir un peu plus l’économie palestinienne en Cisjordanie.
Effectivement, l’AP ne peut pas faire grand chose, à part alerter les Etats occidentaux sur la situation car elle est effectivement au bord de la faillite.
Les ministres israéliens d’extrême droite Itamar Ben Gvir (ministre de la Sécurité nationale) et surtout Bezalel Smotrich (ministre des Finances) refusent fermement de reverser les taxes douanières. Une partie de l’appareil sécuritaire israélien est en désaccord avec ces ministres, craignant un effondrement de l’AP qui conduirait à une dégradation de la situation sécuritaire en Cisjordanie. Face aux pressions des responsables sécuritaires, Bezalel Smotrich a récemment reporté sa décision de couper les liens entre les banques israéliennes et palestiniennes, et il pourrait accepter de reverser une partie supplémentaire des taxes douanières. Mais la situation est incertaine.
Après le 7 octobre, Israël a opéré un changement de stratégie vis-à-vis des Palestiniens en matière économique. Ces dix dernières années, il y avait davantage de discussions sur l’assouplissement des restrictions visant l’économie palestinienne, avec pour objectif de permettre aux Palestiniens de développer l’économie locale et de permettre à plus de travailleurs palestiniens de venir en Israël. Le développement économique palestinien devait mener à l’amélioration de la situation économique et apporter la paix et la prospérité. Néanmoins, avec la guerre, Israël est entré dans une nouvelle phase. La pression économique est maintenant un outil de pression politique et de contrôle sécuritaire.
C’est vrai, l’UE doit depuis de nombreuses années payer les conséquences de la colonisation israélienne en Cisjordanie. Pour la période 2021-2024, une enveloppe financière pluriannuelle de 1,117 milliard d’euros est prévue par l’UE pour l’aide au développement palestinien, à laquelle s’ajoutent d’autres aides financières diverses. L’UE est le premier pourvoyeur de fonds aux Palestiniens. Et pourtant, il n’y a pas de pression européenne majeure sur Israël depuis le début de la guerre.
Les Européens ont pourtant des leviers de pression avec la mise en place de sanctions politique ou économique, dans la mesure où l’UE est le premier partenaire commercial de l’Etat d’Israël. Mais jusqu’à maintenant, les dirigeants européens font des déclarations sans réels effets, que ce soit sur la politique israélienne à Gaza ou en Cisjordanie.
Les appels au boycott des produits israéliens ne sont pas nouveaux. Durant la première intifada (1987-1993), les Palestiniens avaient appelé au boycott des produits israéliens et au boycott du travail en Israël, tout en poussant à produire localement. Ce mouvement avait connu un certain succès. Les Palestiniens plantaient leurs propres légumes, ils élevaient des animaux pour leur propre consommation.
Mais cette recherche d’autonomie économique avait été attaquée par Israël. Le documentaire Wanted 18 sur le cas de Beit Sahour le montre bien. Israël refuse que les Palestiniens acquièrent une souveraineté alimentaire.
Durant la seconde intifada (2000-2005), un comité national pour le boycott s’est également formé. Par la suite, à chaque offensive israélienne sur Gaza depuis 2008, les appels au boycott se sont multipliés avec un fort écho sur la scène internationale. Mais paradoxalement, les Palestiniens ont plus de difficultés à boycotter les produits israéliens que n’importe quel autre pays.
En effet, les Palestiniens peinent aujourd’hui à trouver des alternatives locales. Depuis 1967, la production palestinienne en matière agricole et industrielle a baissé un peu plus chaque année. Dès les années 1980, les Palestiniens ont commencé à être extrêmement dépendants de l’économie israélienne, notamment pour les produits de première nécessité comme l’eau, l’électricité, la nourriture. 70% des importations à destination de l’économie palestinienne en Cisjordanie proviennent d’Israël.
Le secteur agricole palestinien a été particulièrement affecté par ces évolutions. Avant 1967, l’agriculture générait 30% du PIB palestinien. Aujourd’hui, elle ne génère que 9% du PIB. Ceci s’explique notamment par le contrôle israélien sur la Cisjordanie. Depuis les accords d’Oslo, celle-ci est divisée en trois zones, A, B et C, et les autorités israéliennes ont un contrôle direct sur la zone C qui représente 60% de la Cisjordanie et où sont concentrées la plupart des terres agricoles palestiniennes. C’est sur la zone C que des terres sont saisies pour construire des colonies. Cela a pour conséquence de réduire les surfaces disponibles pour l’agriculture palestinienne. Sur le long terme, Israël est parvenu à transformer les fermiers palestiniens en travailleurs employés dans l’économie israélienne. D’autre part, les autorités israéliennes ont le contrôle sur l’eau. Elles limitent les réserves d’eau destinées à l’irrigation palestinienne à l’aide de quotas. En Cisjordanie, la compagnie des eaux israélienne Mekorot exploite les ressources en eau. Elle distribue l’eau aux Israéliens et aux Palestiniens selon les directives de l’Etat d’Israël. Les Palestiniens consomment en moyenne 82,4 litres d’eau par jour et par personne, ce qui est inférieur au minimum quotidien de 100 litres recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans de nombreuses communautés de bergers en Cisjordanie, la consommation d’eau de milliers de Palestiniens est de 20 litres par personne et par jour, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA). En revanche, un Israélien moyen consomme environ 247 litres d’eau par jour.
L’industrie palestinienne est aussi affectée par la politique israélienne. La part de l’industrie dans l’économie des Territoires palestiniens est relativement faible, elle s’élève à 11% du PIB palestinien. L’ouverture du marché palestinien aux produits israéliens a eu des effets négatifs sur l’industrie palestinienne, car cette industrie est caractérisée par la domination de petits ateliers familiaux (actuellement, 90 % des 14 000 entreprises du secteur industriel palestinien emploient moins de 10 travailleurs). Les industries palestiniennes ne peuvent pas rivaliser avec le secteur industriel israélien plus avancé, qui bénéficie d’« économies d’échelle », c’est-à-dire que les grandes entreprises ont des coûts de production moyens inférieurs. Par ailleurs, les autorités israéliennes imposent d’importantes restrictions au commerce international palestinien par l’augmentation du coût de l’importation des matières premières et par l’interdiction d’importation de plusieurs matières premières qui pourraient être nécessaires au développement de la production, au motif qu’il s’agit de matières à « double usage ». Elles imposent également des restrictions et des difficultés à l’exportation des produits palestiniens. Au total, 90 % des exportations palestiniennes sont destinées à Israël. De plus, les points de contrôle, les routes de contournement pour les colons, et les colonies elles-mêmes jouent un rôle dans la fragmentation de la société palestinienne, contribuant à augmenter le coût du transport. La séparation de Gaza de la Cisjordanie et l’isolement de Jérusalem-Est ont participé au ralentissement de l’économie palestinienne. Les restrictions pour l’accès à la terre et aux ressources naturelles ont aussi un impact sur l’industrie palestinienne : dans la zone C (60% de la Cisjordanie), tout investissement ou activité économique (du creusement d’un puits d’eau à la construction de tout type de bâtiment) nécessite une licence de l’administration civile israélienne (COGAT) gérée par l’armée. Or, le COGAT accorde rarement des licences aux activités palestiniennes dans cette zone. La question du financement des investissements industriels est également cruciale, l’un des premiers ordres militaires après 1967 ayant été de fermer toutes les banques palestiniennes. Pendant des décennies, l’économie palestinienne a fonctionné avec un système bancaire incapable de financer les investissements industriels. Enfin, l’incertitude politique générale dans les Territoires palestiniens met à mal le développement d’une industrie locale. Ainsi, même les Palestiniens qui avaient les moyens d’investir ont naturellement orienté leurs investissements vers d’autres secteurs plus sûrs, tels que les services.
Aujourd’hui, c’est le secteur des services avec le tourisme et la construction qui contribue le plus à l’économie palestinienne en Cisjordanie, il contribue à hauteur de 83% du PIB palestinien. Les Palestiniens multiplient les initiatives locales pour éviter de consommer des produits israéliens. Les premiers mois de la guerre, une campagne locale a été lancée dans les villes palestiniennes de Cisjordanie appelée "Par nous, pour nous", pour inciter à la consommation de produits palestiniens. Certains magasins, à Ramallah, ne proposent plus de produits israéliens. Néanmoins, les Palestiniens ne sont pas assez autonomes sur le plan agricole et industriel pour se passer d’Israël en matière économique.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
Ismat Quzmar
Ismat Quzmar est économiste auprès du Palestine Economic Policy Research Institute (MAS).
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