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Entretien avec Henry Laurens au salon du livre francophone de Beyrouth

Par Chloé Domat, Henry Laurens
Publié le 17/11/2011 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 3 minutes

Henry Laurens

Quelle est votre réaction face aux révolutions arabes ?

Je n’ai pas à dire si c’est positif ou négatif mais globalement c’est plutôt positif. C’était à la fois attendu et inattendu. Inattendu dans la mesure où personne ne pouvait prévoir la séquence d’événements qui a conduit au printemps arabe, le système de contagion ou même ces incidents qui ont mis le feu aux poudres. Dans le même temps, on pouvait voir depuis des années, en observant les données socio-économiques et culturelles de la région, qu’il y avait une discordance très nette entre le niveau de développement des sociétés et les régimes qui les dirigeaient. Les données démographiques étaient frappantes aussi et ont joué un grand rôle. En voyant cela, on pouvait en déduire que nécessairement, à un moment ou à un autre, il faudrait qu’un rééquilibrage se fasse mais personne ne pouvait savoir ni quand ni comment.
Ces mouvements arabes ont plusieurs conséquences : ils réintroduisent la politique pluraliste et ouvrent le jeu à toute une série de dynamiques dans des sociétés qui se sentaient figées.
Evidement, en Libye, on est dans le chaos mais c’est normal. La France de 1945 était une société bien plus structurée et organisée que la société libyenne mais cela n’a pas empêché qu’à la fin 1944, elle soit dans une situation complètement chaotique avec de nombreuses régions en proie aux règlements de compte.

Que peut faire l’Europe ?

On doit surtout aider ces pays à se démocratiser, non pas de façon paternaliste mais déjà simplement par une aide économique afin d’aider à la transition parce que les situations économiques de pays comme l’Egypte ou la Tunisie ne sont pas bonnes. Mais malheureusement, on a déjà beaucoup à faire en Europe avec la crise de l’euro.
Les révolutions se sont produites au nom de la liberté à un moment où une grosse vague d’islamophobie traversait l’Europe. Il y avait une grande dissonance entre cela et les appels à la liberté du monde arabe. Mais maintenant que l’on voit des tendances islamistes ressortir là où les régimes ont chuté, les islamophobes, qui étaient gênés un temps, triomphent de nouveau. Mais les jeux politiques sont ouverts.
Le gouvernement français, quant à lui, gère bien la situation depuis quelques mois. Après avoir fait des erreurs au début, notamment en Tunisie, on a nettement corrigé le tir avec, par exemple, l’intervention de prévention en Libye ou le vote récent à l’ONU sur la question de la Palestine.

Que représente justement l’adhésion récente de la Palestine à l’UNESCO ?

Cela représente tout d’abord beaucoup sur le plan symbolique. Ensuite, si une des grandes agences de l’ONU accepte de reconnaître cet Etat, les autres pourront potentiellement suivre : on pourrait voir toute la multitude des agences prendre le pas, l’OIT, la FAO… Les Américains pourraient se retrouver progressivement pris à leur propre piège parce qu’à force de vouloir faire obstruction, c’est eux qui vont sortir de ces agences et ils seront alors perdants.

Pourquoi les Etats-Unis agissent-ils ainsi ?

Ce n’est pas lié au président Obama, c’est au Congrès que cela se passe. Il s’agit de lois qui ont été passées à l’époque où la Palestine s’était déjà proclamée en Etat. Pour faire simple, les « amis d’Israël » sont très puissants au Congrès américain.

Un mot sur le travail de l’UNRWA ?

Cette agence réalise un travail admirable dans des conditions difficiles. La situation est différente dans les pays, que ce soit en Palestine, en Jordanie, en Syrie ou au Liban.
Au départ, l’agence était une institution de secours qui intervenait pour remplacer les premiers secours envoyés à titre temporaire. Ensuite, les Etats dans lesquels elle était abritée se sont défaussés d’une partie de leurs responsabilités sur l’agence. L’UNRWA a notamment fourni des services sociaux que les Etats ne fournissaient pas, étant donc un moyen de financement par l’extérieur.
Concernant les populations palestiniennes, une fraction seulement vit dans les camps, même pas la moitié en réalité, on est largement en-dessous (peut-être 22 ou 25 %). Au Liban et en Palestine, dans les Territoires occupés, l’agence reste la seule structure qui fournit à la population palestinienne des services sociaux élémentaires. Pour le reste, elle entretient la mémoire et le droit, puisque les refugiés sont justement des ayant-droit dans la discussion sur le retour et le droit à l’indemnisation. Les registres de l’UNRWA sont ceux qui feront preuve de droit le moment venu.

Après la parution récente du Tome 4 de La Question de la Palestine, allez-vous poursuivre votre travail sur ce thème ?

Il y aura un Tome 5 qui sera le dernier. Je pense m’arrêter à l’an 2000 avec le début de la seconde intifada pour laisser place à autre sujet. Je pense travailler sur l’Orient arabe au XXIème siècle.

Publié le 17/11/2011


Chloé Domat est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et habite actuellement à Beyrouth. Elle a collaboré avec différents médias dont iloubnan.info, France 24, Future TV.


Historien et professeur titulaire de la Chaire d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France, Henry Laurens est l’auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels La Question de la Palestine, Tome quatre, 1967-1982, Le rameau d’olivier et le fusil du combattant, Paris, Fayard, septembre 2011 ; Le rêve méditerranéen, Paris, CNRS Editions, 2010 ; avec Mireille Delmas-Marty, Coordination d’Hana Jaber, Terrorismes, Histoire et droit, Paris, CNRS Éditions, 2010.


 


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