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Hamit Bozarslan est directeur d’études à l’EHESS.
Titulaire d’un doctorat en histoire (EHESS) et en sciences politiques (IEP de Paris), il a fait porté ses travaux sur la sociologie politique au Moyen-Orient et en Turquie. Il a notamment publié La question kurde : Etats et minorités au Moyen-Orient (1997), Une histoire de la violence au Moyen-Orient. De la fin de l’Empire ottoman à al-Qaida (2008), Sociologie politique du Moyen-Orient (2011), ainsi que Histoire de la Turquie. De l’Empire à nos jours (2013).
Ce résultat électoral s’explique aussi bien par des facteurs structurels que conjoncturels. Il faut, avant tout, se souvenir que, sauf deux exceptions historiques des années 1979, l’électorat turc-sunnite vote pour un parti conservateur ou un autre, le total du vote conservateur se situant entre 60 et 65%. En deuxième lieu, le « bloc hégémonique » d’AKP est encore solide : il a le soutien d’une bourgeoisie puritaine (en réalité de moins en moins puritaine) à qui l’Etat transfert des fonds publics considérables notamment dans le secteur de la construction. Il peut également compter sur le soutien des couches défavorisées : en mettant en place une politique de redistribution des produits et services de première nécessité, il peut en effet les convaincre que la pauvreté n’est pas une question politique, mais de charité. Il a, enfin, le soutien d’une vaste partie de l’Anatolie ultraconservatrice, qui craint l’insécurité. Il faut enfin mentionner la stratégie de la peur et de la tension que l’AKP ou plutôt le président Erdogan, qui a une vision vindicative de la politique, a mise en place : la répression qui fit des centaines de morts, ainsi que les attentats de l’Etat islamique ont dissuadé nombre d’électeurs d’aller voter au Kurdistan. Ailleurs, la mort dans l’âme, nombre d’électeurs ont privilégié la stabilité à l’incertitude.
Aucune. Depuis maintenant plusieurs années, le pays donne l’impression d’un bateau ivre, et souffre d’une réelle désinstitutionalisation. L’AKP, qui a obtenu près de 50% des votes est lui-même en train de se transformer en une coquille vide. La légitimité est transférée des institutions, étatiques mais aussi partisanes, vers Erdogan, qui prend l’essentiel des décisions, lesquelles ne s’inscrivent dans aucune vision d’avenir, si ce n’est celle qui dicte les trois dates lointaines : 2023, 100ème anniversaire de la République de Turquie ; 2053, 600ème anniversaire de la prise de Constantinople/Istanbul ; et 2071, millénaire de l’arrivée des Turcs en Anatolie. Ces trois dates sont censées marquer la « refondation » (mais on ne sait pas de quoi), et l’ancrage dans l’éternité d’Erdoganisme. Mais la gestion quotidienne du pays se fait au coup par coup, du sécuritaire à l’économique dans l’ensemble des domaines.
On ne sait pas exactement ce qui s’est passé, mais cette destruction montre que les mécanismes internes d’équilibre et du contrôle, ainsi que toute rationalité propre au fait même d’être un « Etat » ont disparu. Le bilan de cet acte mais surtout de la gestion de la crise, est désastreux en termes économiques (la Russie a pris des mesures draconiennes), mais sans doute aussi militaires, surtout si l’on pense à l’alliance renforcée de la Russie avec l’Iran, ennemi « chiite » quasi-déclarée de la Turquie ou à la probabilité d’un rapprochement entre le PKK, Téhéran et Moscou. Depuis plusieurs années, la Turquie passe ainsi par des crises successives qui découlent de la personnalisation des processus de prise de décision avec des prix sans cesse plus lourds.
La crise avec Moscou ne se réduit pas à cela, mais il est vrai que la Turquie a eu une politique particulièrement complaisante avec l’Etat islamique qui a désespéré plus d’un de ses alliés. La première raison de cette politique réside dans les faits que le projet de constituer une hégémonie régionale en s’appuyant sur les partis conservateurs issus de l’islamisme a échoué : le PJD au Maroc ne dépasse pas les bornes que lui fixe la monarchie et n’a certainement pas envie de se soumettre aux ordres de l’AKP, les Frères musulmans ont été renversés par un coup d’Etat sanglant en Egypte et ont perdu toute influence en Libye en pleine guerre civile, Ennahda a perdu les élections en Tunisie. La Syrie reste donc le seul espace où Ankara peut avoir encore quelques marges de manœuvre. En deuxième lieu, la Turquie est, ensemble avec l’Iran et l’Arabie saoudite, engagée dans une guerre confessionnelle et a par conséquent confessionnalisé ses politiques domestiques et étrangères, soutenant tout acteur sunnite. Il y a, enfin, le facteur kurde : le soutien à l’EI s’explique par la peur de la Turquie de l’autonomisation du Kurdistan syrien, qui refuse de se mettre à son ordre.
Dans les faits, à rien, ou à une déclaration de principe qui a rehaussé - très provisoirement - le prestige de l’AKP, mais qui ne sera suivie de nul effet : l’Europe s’engage à accorder à la Turquie une aide de 3 milliards d’Euros alors qu’elle n’en dispose que 500 millions, s’engage à autoriser la circulation des ressortissants turcs dans l’espace Shengen, alors que le système européen de Libre circulation est lui-même menacé, et ouvre un nouveau chapitre dans les négociations, qui sont au point mort depuis une décennie !
Lire sur Les clés du Moyen-Orient :
Entretien avec Hamit Bozarslan – Le nouvel autoritarisme turc et ses répercussions sur la scène politique internationale
Entretien avec Hamit Bozarslan - La notion de Moyen-Orient
Entretien avec Hamit Bozarslan - Nouveaux acteurs, échec des Etats, repli identitaire : le Moyen-Orient après les révolutions
Hamit Bozarslan
Docteur en histoire et en science politique, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Hamit Bozarslan est, entre autres domaines de recherche, spécialiste de l’histoire de la violence au Moyen-Orient.
Il est notamment l’auteur de Sociologie politique du Moyen-Orient, Paris, La découverte, 2011 ; Conflit kurde, Le brasier oublié du Moyen-Orient, Paris, Autrement, 2009 ; Une histoire de la violence au Moyen-Orient, De la fin de l’Empire ottoman à al-Qaida, Paris, La Découverte, 2008.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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