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Entretien avec Eric Verdeil – Les problématiques énergétiques de la Jordanie

Par Eric Verdeil, Olivier de Trogoff
Publié le 05/12/2014 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 4 minutes

AMMAN, JORDAN - MARCH 26 : A general view of the city of Amman at night on March 26, 2013.

Photo by Adam Pretty/Getty Images / AFP

Quelles sont les ressources énergétiques de la Jordanie aujourd’hui ?

La Jordanie est énergiquement dépendante à 97% de l’extérieur. Face aux difficultés d’importation, le pays cherche aujourd’hui à diversifier ses sources d’approvisionnement, mais aussi à repenser la consommation énergétique nationale.

La situation a beaucoup évolué. Jusqu’en 2003, la Jordanie bénéficiait d’importations d’hydrocarbures à prix réduit de la part de l’Irak. Le pétrole irakien passait par la Jordanie et en contrepartie, l’Irak accordait au pays des prix très faibles. Cet accord a pris fin avec l’invasion américaine en Irak.

La politique énergétique jordanienne a dû alors évoluer. Les importations de pétrole se sont diversifiées : en plus de l’Irak, elles viennent d’Arabie saoudite et d’autres fournisseurs. De plus, elles sont désormais payées à un prix beaucoup plus élevé. Les Jordaniens se sont mis à importer du gaz naturel d’Egypte afin d’assurer leur production d’électricité, via un gazoduc à travers le désert du Sinaï pour alimenter la Jordanie en gaz naturel. Cette nouvelle source d’énergie va cependant se révéler insuffisante. En effet, à partir de 2007, les Egyptiens réduisent leurs exportations de gaz. Depuis 2011, le tube a subi de multiples attaques dans le désert du Sinaï, car il alimente aussi l’Etat d’Israël.

Depuis, la Jordanie doit trouver de nouvelles sources d’alimentation en énergie. De nouveaux oléoducs sont en discussion, en provenance d’Irak notamment. Un terminal de liquéfaction de gaz est actuellement en construction à Aqaba, afin d’accueillir du gaz qatarie. Parallèlement, les découvertes de gaz se sont multipliées en Méditerranée. Israël cherche donc de nouveaux clients en vue de futures exportations, et se tourne donc naturellement vers son voisin jordanien. La compagnie des phosphates jordanienne et le gouvernement jordanien sont donc en train de conclure des accords énergétiques avec Israël. L’émotion est forte en Jordanie, mais la mobilisation limitée. Le gouvernement justifie son rapprochement avec Israël en insistant sur la diminution des coûts de l’énergie qui pourrait résulter de l’opération.

Comment le gouvernement est-il parvenu à augmenter les prix de l’énergie pour faire face à ses difficultés ?

Le prix de l’énergie est effectivement un sujet sensible en Jordanie. Les Jordaniens se sont massivement mobilisés en 2012, face à la hausse des prix des carburants. Profitant du faible coût du pétrole irakien, l’Etat subventionnait massivement les carburants, les Jordaniens payaient ainsi un prix très inférieur au coût de revient. Ces subventions ont été supprimées en 2012, provoquant des mobilisations populaires massives. En contrepartie, et pour apaiser les contestations, un système de chèque de compensation en faveur des classes les plus démunies a été mis en place. Les 700 000 foyers les plus pauvres du pays bénéficient d’un chèque annuel, ce qui a permis de rendre l’augmentation du prix supportable. Une partie des sommes économisées grâce à la fin des subventions est donc reversée aux foyers les plus pauvres. Concernant le coût de l’électricité, le gouvernement a là encore du augmenter les prix. La Société nationale d’électricité connaît en effet un déficit considérable. Face à la contestation, qui a été forte, cette augmentation des prix a été rendue insensible pour une large partie de la population : 85% de la population n’est en effet pas concernée par la hausse des prix. Seuls les gros consommateurs et les entreprises ont vu leur facture augmenter. Cela aura cependant inévitablement des répercussions sur le coût de la vie en général, à moyen terme.

Quelles sont les demandes de la population en matière de transport ?

Les classes moyennes, non concernées par le chèque de compensation, ont donc dû réduire leur consommation de carburant. Elles sont davantage intéressées au développement d’un système de transports en commun, alors que depuis 2010, les projets en cours notamment de bus à haut niveau de service, étaient bloqués en raison d’une suspicion de corruption mais aussi d’une opposition de la classe motorisée qui subissaient les bouchons causés par les travaux. Aujourd’hui, les transports en commun sont en effet quasiment absents à Amman, cela posant notamment problème pour l’accès à l’université. Les transports en commun ont du mal à se mettre en place, faute de vraie volonté gouvernementale. L’essence et le transport automobile sont aisément taxables et constituent une base imposable. Le gouvernement est donc réticent à réduire cette source de revenus et préfère souvent encourager les transports individuels. Mais aujourd’hui, une vraie demande sociale en faveur des transports voit le jour. En outre, la Jordanie commence à vouloir réduire sa consommation de carburants. Plusieurs plans de transports en commun ont donc été récemment relancés à Amman par le gouvernement jordanien.
Au total, les contestations populaires portant sur l’énergie ont été importantes et le sujet reste sensible.

La Jordanie peut-elle atténuer cette dépendance énergétique forte vis-à-vis de ses voisins ?

La Jordanie a en effet dû revoir sa consommation en énergie. Ainsi, face aux difficultés d’approvisionnement en provenance d’Egypte, la production d’électricité se fait à partir du fuel lourd, ce qui augmente les coûts de revient de l’électricité. Cet argument est avancé pour justifier l’augmentation récente des prix. Par ailleurs, le projet lance aussi un projet de génération électrique à partir du pétrole de roche-mère (oil shale). Cela représentera 14% de l’approvisionnement électrique en 2020. En outre, un projet de centrale nucléaire est lancé depuis 2013 en collaboration avec les sociétés russes Rusatom Overseas et Atomstroyexport mais fait face à de nombreuses contestations de la part des acteurs locaux. Le site potentiel d’installation a en effet déjà été déplacé à deux reprises, sous la pression des pays voisins d’abord, et des tribus concernées par le projet ensuite. Les motivations de la contestation sont d’ordre écologique et économique. Mais l’argument sécuritaire entre aussi en ligne de compte. Effectivement, la situation politique actuelle dans la région multiplie les risques pour la future centrale, qui doit voir le jour en 2023. Le projet fait face à d’autres obstacles comme la difficulté d’approvisionnement en eau. Un projet de réutilisation des eaux usées de la ville d’Amman est donc actuellement à l’étude pour résoudre ce problème. Si la centrale voit le jour, elle permettrait de réduire de façon significative l’ultra-dépendance énergétique jordanienne. C’est le gros argument mis en avant par ses partisans.

A general view of the city of Amman at night on March 26, 2013 in Amman, Jordan. (Photo by Adam Pretty/Getty Images / AFP)

Publié le 05/12/2014


Olivier de Trogoff est étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon. Il a effectué plusieurs voyages dans le monde arabe.


Eric Verdeil, géographe spécialisé sur les questions urbaines dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, appartient au laboratoire CNRS Environnement Ville Société à Lyon.
Il s’intéresse aussi depuis quelques années aux transformations des politiques énergétiques et à leur impact sur les sociétés de la région.
Il a publié plusieurs articles sur le sujet qui sont accessibles via son carnet de recherche Rumor (http://rumor.hypotheses.org).


 


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