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Elena Aoun a effectué un doctorat en Sciences politiques à Sciences-Po Paris et un post-doctorat à l’Institut d’études européennes des Universités de Montréal et McGill. Elle a enseigné à l’Université Libre de Bruxelles et à l’Université de Namur avant de passer à l’Université Catholique de Louvain.
Ses recherches portent sur la politique étrangère de l’Europe au Moyen-Orient, notamment sur le conflit israélo-palestinien, les différentes crises du Moyen-Orient et le maintien de la paix. Elle est aussi membre du Centre d’étude des crises et conflits internationaux (CECRI), du Réseau de recherche francophone sur les opérations de paix (Université de Montréal), de l’International Studies Association et collaboratrice au centre de Recherche et Enseignement en Politique internationale (REPI – ULB).
La Communauté européenne, devenue Union européenne (UE) en 1993, s’est intéressée à ce conflit relativement tôt pour deux raisons : d’une part, les Etats européens se sentaient une responsabilité particulière à l’égard d’Israël, pays né de l’histoire européenne et où nombre de survivants de la Shoah avaient fui ; d’autre part, la guerre des Six Jours en 1967 a fait prendre conscience du véritable rapport de forces entre Israël et ses voisins, notamment les Palestiniens. En tout cas, ce dossier lui a permis, ainsi que celui de l’Europe de l’Est, de faire ses premières armes en matière de politique étrangère. Au travers de mes études, j’ai pu distinguer deux ou trois grandes périodes.
Jusqu’en 1967, les Européens sont d’une grande bienveillance à l’égard d’Israël qui se sent menacé dans son existence même par ses voisins arabes qui lui sont hostiles. La guerre des Six Jours modifie la perspective. En France par exemple, ce tournant est perceptible au travers de la conférence de presse organisée par Charles de Gaulle le 27 novembre 1967, soit six mois après le conflit. A la question d’un journaliste qui lui demande son avis sur la situation proche-orientale, il condamne la guerre préemptive israélienne en présentant le peuple juif comme un « un peuple d’élite, sûr de lui et dominateur », suscitant l’émoi et la controverse en France et à l’étranger.
En règle générale cependant, le renversement de perspective en Europe s’est fait graduellement tout au long des années 1970, période riche en bouleversements. Tout d’abord, la guerre du Kippour en 1973 et l’embargo pétrolier qui a suivi ont eu des effets psychologiques importants. Cette concomitance entre le conflit et la hausse du prix du pétrole, dont ont besoin les Occidentaux, a fait prendre conscience aux Européens qu’il leur fallait désormais composer avec les intérêts de pays qu’ils avaient précédemment dominé. De là est né le Dialogue euro-arabe. Par ailleurs, à l’occasion de la guerre de 1973, les Européens font leur première déclaration commune et publique sur le conflit. Parce qu’elle se calait sur le droit international et reconnaissait la réalité palestinienne, cette déclaration a provoqué la colère des Américains et des Israéliens.
Plus tard, cette évolution dans la position européenne a été confortée d’une part par le basculement à droite d’Israël dès 1977 et l’exacerbation de la politique israélienne de colonisation dans les territoires palestiniens en violation de la IVème Convention de Genève, d’autre part par une « socialisation » de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) qui s’est progressivement détournée dans les années 1980 de l’action terroriste et s’est ouverte au dialogue. L’accession à la Communauté européenne de la Grèce puis de l’Espagne, toutes deux traditionnellement proches de la cause palestinienne, va également dans ce même sens d’une plus grande attention à la problématique palestinienne. Malgré cette évolution, les Européens demeurent d’une extrême prudence dans leurs propos et dans leurs rares initiatives, ne voulant pas risquer de s’aliéner durablement Israël et les Etats-Unis.
Les accords d’Oslo en 1993 ont encore une fois changé la donne. Le début d’un processus négocié entre Israéliens et Palestiniens a été très bien accueilli en Europe. Sollicitée par les différents acteurs, l’UE s’engagea alors à soutenir la construction des institutions palestiniennes d’une part, et se lança, en acompte aux futurs dividendes de la paix, dans une coopération tous azimuts avec Israël d’autre part. Depuis, et malgré les ruptures du processus de paix, les relations euro-israéliennes n’ont fait que s’améliorer en dehors de quelques périodes de tension, notamment lors du premier mandat de Benjamin Netanyahou (1996-1999) qui avait contribué à faire échouer le processus de paix, mais aussi lors de la seconde intifada quand les Européens ont condamné le recours à la force disproportionnée de la part des Israéliens. Par contre, si elle continue de soutenir financièrement la perspective d’un Etat palestinien, l’UE s’est considérablement désengagée des dimensions politiques du processus de paix depuis au moins les années 2002/2003 et ceci en dépit de l’impasse quasi-totale de ce processus et de l’érosion des perspectives d’un Etat palestinien viable.
Avant l’élargissement de 2004, les quinze pays membres avaient réussi à construire progressivement une position commune à partir d’approches à l’origine très différentes.
Mais à partir de 2004, la donne a changé. Beaucoup parmi les nouveaux membres n’ont pas suivi l’évolution qui avait précédemment permis aux Quinze de présenter une ligne plus ou moins commune sur le dossier. Premièrement, les pays d’Europe de l’est n’ont pas forcément le même vécu avec les différents acteurs du conflit et leur sympathie tend à aller à Israël. De plus, ils sont assez perméables au lobbying israélien car, moins développés et plus dépendants notamment d’un point de vue sécuritaire, ils préfèrent ménager Israël et les Etats-Unis qui sont des partenaires de poids tant au niveau économique que celui de la sécurité – pensez par exemple à la place des Etats-Unis dans l’OTAN. Ainsi, l’UE renonce dans les faits à assumer un vrai rôle politique dans le processus de paix israélo-palestinien. Elle n’a d’ailleurs pas eu la moindre initiative depuis près d’une décennie, la dernière en date étant la fameuse Feuille de route du Quartet – composé des USA, de la Russie, de l’ONU et de l’UE – qui aurait dû aboutir à un Etat palestinien en 2005.
Sur le plan humanitaire, la CEE est devenue un bailleur de fonds régulier de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) dès les années 1970.
Au-delà de l’aspect purement humanitaire, et à partir des années 1980 et de la prise de conscience accrue de la réalité palestinienne, les Européens ont cherché à contribuer au développement des Territoires palestiniens au travers de l’établissement de relations commerciales et de coopération. Mais, ce n’est qu’à partir des accords d’Oslo que cette politique a pu véritablement prendre de la substance, l’UE pouvant désormais coopérer avec un interlocuteur reconnu par Israël et légitime aux yeux des Palestiniens : l’OLP. Dans le cadre du processus de Barcelone lancé en 1995 en soutien notamment au processus de paix, l’UE a négocié un accord d’association avec l’OLP au profit de l’Autorité palestinienne.
Mais au fur et à mesure que le processus de paix s’est enlisé, l’UE s’est vue obligée d’injecter toujours plus d’argent pour des « quick impact projects », soit des initiatives de court terme, à petite échelle, conçus pour avoir un impact immédiat supposé contribuer à la stabilisation d’une situation rendue par ailleurs explosive par les mille maux du processus de paix et de sa mise en application de part et d’autre.
Mais plus de vingt ans après Oslo, les initiatives et l’aide de l’UE n’ont que peu d’impact car le véritable problème est de savoir ce qu’il est utile de faire au profit des Palestiniens. Il s’agit d’une population qui est de facto sous occupation depuis plus de 40 ans et cette situation la rend dépendante d’Israël et de ses politiques sécuritaires. L’entité palestinienne reste marginalisée, sous-développée, très peu industrialisée, ne maîtrisant ni l’usage de ses ressources, ni ses relations avec le reste du monde. La possibilité de l’UE de coopérer utilement avec les Palestiniens est donc fondamentalement et structurellement limitée. Sans parler des biais induits par la coopération tous azimuts avec Israël. Un rapport récent établi par une vingtaine d’ONG européennes (intitulé « La paix au rabais ») a d’ailleurs montré que l’UE commerce quinze fois plus avec les colonies israéliennes en territoire palestinien qu’avec les Palestiniens (et ceci sans compter le commerce euro-israélien lié à Israël dans ses frontières de 1967).
Aujourd’hui, l’Europe se trouve ainsi dans une position très ambiguë. D’un côté, elle fait du state-building dans une Palestine réduite à la Cisjordanie et à la souveraineté virtuelle, en soutenant financièrement l’OLP ; de l’autre, elle est enfermée dans une logique purement humanitaire avec Gaza, soumis à un embargo quasi-total depuis plus de six ans, car elle n’entend toujours pas traiter avec le Hamas, pourtant arrivé au pouvoir par la voie des urnes. Au total, l’UE participe à la mise sous perfusion d’une population pour qui cette aide est vitale en l’absence d’un vrai processus de paix. C’est pour cette raison notamment que l’on a pu accuser l’UE de financer implicitement l’occupation israélienne. D’autant que les statistiques montrent que pour chaque euro dépensé par l’UE au profit des Palestiniens, une part significative retombe dans l’économie israélienne, les Israéliens étant les intermédiaires obligés pour toute une série d’opérations comme faire acheminer du matériel, obtenir des autorisations, transférer de l’argent, voire engager du personnel.
En théorie, l’UE pourrait faire énormément pour aider les Palestiniens, alors qu’en pratique le régime d’occupation réduit significativement sa marge de manœuvre. Pour donner un exemple, l’UE a deux missions PESD en Palestine : l’une à la frontière entre Gaza et l’Egypte ; l’autre pour assister les policiers palestiniens en Cisjordanie. La première a été mise sur pied en 2006. Nous sommes en 2013 ; or cette force n’a jamais été effective puisque sa mise en place coïncide quasiment avec le blocus de Gaza peu après l’accession au pouvoir du Hamas en 2006. Les Européens sont présents nominalement sans que leurs gardes-frontières aient la chance de jouer un rôle, sinon celui d’indirectement cautionner l’enfermement des Palestiniens. En Cisjordanie, les représentants de l’UE sur le terrain sont quant à eux accusés de fermer les yeux sur toutes les violations des droits de l’homme perpétrés par les forces de l’ordre palestiniennes dans leur lutte contre la dissidence.
J’ai toujours tendance à dire que la colonisation israélienne en Palestine est le dernier avatar du colonialisme européen. Avant même que les Britanniques aient obtenu un mandat sur la future Palestine mandataire, ils avaient décidé d’en offrir une partie à la population juive européenne. Il s’agit de la déclaration Balfour de 1917 concernant l’établissement d’un "foyer national juif". Dans une certaine mesure, Israël est donc historiquement issu d’un acte colonial, et sa politique de colonisation des territoires occupés en 1967 l’est aussi. L’occupation de terres par un groupe dominant n’est pas une nouveauté dans l’histoire de la région, bien au contraire, mais à partir de la 2ème moitié du XXe siècle, le droit international est censé interdire ces pratiques. Or, alors que les Européens sont engagés dans un processus de décolonisation généralisé après la Seconde Guerre mondiale, Israël prend le chemin inverse en s’engageant dans un processus tardif de colonisation de type proprement occidental. Aujourd’hui, l’occupation se poursuit au quotidien avec l’établissement de nouveaux colons israéliens dans les Territoires palestiniens. D’année en année, on observe ainsi le rétrécissement des territoires palestiniens, qui sont littéralement « phagocytés » par les colonies israéliennes.
Non, elle reste complètement en marge. Elle n’a pas été vraiment consultée et elle ne revendique d’ailleurs pas de l’être. Pourtant, elle était jadis très impliquée sur le dossier. Elle a été le premier acteur « légitime » sur la scène internationale à avoir reconnu le droit des Palestiniens à l’autodétermination. Ce sont les Européens qui ont également promu la solution des deux Etats retenue aujourd’hui par la communauté internationale et a priori l’ensemble des protagonistes. Mais ils ont depuis démissionné de ce rôle proactif comme nous l’avons vu. Un intermédiaire neutre aurait pourtant favorisé un processus de paix effectif, les Américains n’étant pas en mesure de jouer ce rôle en raison de leur proximité avec Israël.
Aujourd’hui, l’UE se contente de déclarations un peu véhémentes vis-à-vis d’Israël en menaçant, par exemple, encore récemment, de ne pas faire bénéficier les colonies israéliennes, même indirectement, de certaines coopérations. Quand on y regarde de plus près, c’est en réalité une menace un peu creuse. Le décalage est permanent entre la norme défendue et la réalité de l’investissement sur le terrain, aboutissant à une position relativement schizophrène avec d’un côté une politique de principe, conforme aux valeurs prônées par l’UE et qui sont fondées sur le droit international ; de l’autre une pratique qui ne fait que conforter à long terme la colonisation. En d’autres termes, on pourrait dire qu’auparavant elle n’avait pas beaucoup de moyens mais des convictions, mais qu’aujourd’hui c’est un peu l’inverse.
C’est un jeu auquel s’adonnent les Européens et les Israéliens depuis les années 1980. Les accords portant sur le commerce entre l’UE et ses partenaires tiers doivent normalement respecter la règle d’origine. Dans le cas israélien, au regard du droit international et du texte des accords euro-israéliens, quand un produit a été produit en Israël, il peut rentrer sur le marché européen en bénéficiant des avantages prévus par l’accord bilatéral. S’il a été produit dans une colonie israélienne, il ne tombe pas sous le coup de ce dernier. Mais, depuis les années 1980, ce qui est produit dans les colonies tend à être labellisé comme étant israélien et donc bénéficie des mêmes facilités tarifaires. Ce problème a été porté à l’attention des institutions européennes de multiples fois. En 2010, la Cour européenne a même émis un jugement allant dans ce sens. Mais, il n’en reste pas moins que, à ce jour, les règles ne sont pas systématiquement respectées aux douanes de l’UE. Donc les Européens peuvent faire autant de déclarations ou d’accords qu’ils le souhaitent, mais si derrière il n’y a pas de véritable volonté politique, ni les unes ni les autres ne permettront de régler une fois pour toutes un problème qu’Israël contourne depuis des décennies. Il faut avoir conscience du fait que l’intérêt de l’UE est de maintenir les relations économiques, excellentes à tous les niveaux, avec Israël. Sans exagération, Israël est aujourd’hui le pays le plus proche de l’UE dans le monde, plus encore que les Etats-Unis par exemple. C’est quasiment un Etat membre mais sans l’appartenance institutionnelle formelle (everything but institutions). De fait, le pays est associé à tous les grands projets de recherche européens, aux marchés publics, etc.
L’UE a été prise au dépourvu par les printemps arabes. La seule initiative vraiment intéressante ces derniers temps fut la proposition de Catherine Ashton, haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité depuis 2009, de se présenter non pas comme négociatrice mais comme facilitatrice dans la crise égyptienne.
La politique extérieure de l’Union se réduit souvent à des déclarations de principe qui n’aboutissent à rien de concret. Et ce n’est pas propre à la région proche-orientale. Elle n’est pas beaucoup plus active en Afrique. C’est la France qui est intervenue au Mali, et non l’UE. Ses plus belles réussites diplomatiques résident finalement dans ses élargissements successifs et dans sa politique visant à favoriser les convergences et le développement des pays d’Europe de l’est.
C’est extrêmement variable d’un pays à l’autre. Elle est souvent perçue comme un bailleur de fonds, au Liban ou en Israël par exemple. Les populations proche-orientales ne l’identifient pas vraiment comme une entité disposant d’une autonomie politique et qui se distingue de ses Etats membres. En règle générale, les Moyen-orientaux n’ont pas vraiment conscience de ce qu’est l’UE ou en ont une perception assez négative. Les Palestiniens notamment la considèrent comme complice de la colonisation israélienne en raison de son inaction face aux politiques des gouvernements israéliens et parce qu’elle n’est pas fidèle aux normes prônées. Ainsi, après avoir encouragé la mise en place d’élections législatives libres et transparentes en 2006, elle a refusé de dialoguer avec le Hamas, qui avait remporté en toute transparence la majorité absolue au Conseil législatif palestinien. L’Europe a donc un bilan mitigé dans la région, et sa position actuellement floue et son inaptitude à agir sur le terrain ne vont probablement pas arranger les choses.
Mélodie Le Hay
Mélodie Le Hay est diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris où elle a obtenu un Master recherche en Histoire et en Relations Internationales. Elle a suivi plusieurs cours sur le monde arabe, notamment ceux dispensés par Stéphane Lacroix et Joseph Bahout. Passionnée par la culture orientale, elle s’est rendue à plusieurs reprises au Moyen-Orient, notamment à l’occasion de séjours d’études en Israël, puis en Cisjordanie.
Elena Aoun
Elena Aoun a effectué un doctorat en Sciences politiques à Sciences-Po Paris et un post-doctorat à l’Institut d’études européennes des Universités de Montréal et McGill.
Elle a enseigné à l’Université Libre de Bruxelles et à l’Université de Namur avant de passer à l’Université Catholique de Louvain.
Ses recherches portent sur la politique étrangère de l’Europe au Moyen-Orient, notamment sur le conflit israélo-palestinien, les différentes crises du Moyen-Orient et le maintien de la paix.
Elle est aussi membre du Centre d’étude des crises et conflits internationaux (CECRI), du Réseau de recherche francophone sur les opérations de paix (Université de Montréal), de l’International Studies Association et collaboratrice au centre de Recherche et Enseignement en Politique internationale (REPI – ULB).
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