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Entretien avec David Rigoulet-Roze – Comment l’Etat islamique est en train de modifier la géostratégie et de bouleverser les alliances au Moyen-Orient

Par David Rigoulet-Roze
Publié le 03/09/2014 • modifié le 21/07/2020 • Durée de lecture : 13 minutes

David Rigoulet-Roze

Depuis juin 2014 (prise de Mossoul et proclamation du califat), comment l’Administration américaine a-t-elle réagi face à l’Etat islamique (EI) ?

De la part de l’Administration Obama, il y a eu une sous-évaluation du danger que représente l’EI selon nombre d’analystes des services de renseignement américains pas nécessairement « partisans » au sens politique américain du terme. Il n’est que de rappeler la réponse donnée par le président Barack Obama à une question formulée par un téléspectateur américain dans le cadre de l’émission de grande écoute Good Morning America, sur la chaine ABC, le 27 juin 2014, et ce alors même que Mossoul, la deuxième ville d’Irak à de nombreux égards, venait de tomber aux mains de l’« Etat islamique » le 10 juin précédent. « Je pense que avons fait face à des menaces sérieuses pendant toute ma présidence », avait manifestement cherché à minimiser le président Obama. « Et nous avons fait face à des menaces sérieuses antérieures au 11 septembre [2001] de la part de ceux qui épousent cette idéologie ». Il avait toutefois reconnu que l’« Etat islamique » montait en puissance après avoir mis la main sur de nombreux stocks d’armes, y compris des armes lourdes et de matériels comme des blindés saisis dans les casernes abandonnées par une armée régulière irakienne en déroute. S’ajoutaient à cela les importantes liquidités provenant notamment du hold-up effectué sur la banque centrale de Mossoul qui permettent à l’« Etat islamique » de faire figure selon The International Business Times d’« organisation terroriste la plus riche du monde », laquelle ramènerait presque Al-Qaïda au rang de simple succursale du terrorisme globalisé.

Après moult hésitations, le président Obama s’était retrouvé quasiment contraint, début août 2014, de décider de lancer les premières frappes aériennes pour freiner l’expansion de l’« Etat islamique », et plus spécialement pour protéger le Kurdistan irakien directement menacé par l’avancée des djihadistes dans l’Est de l’Irak. En décidant de l’envoi de plusieurs centaines de conseillers militaires et la présence opérationnelle de troupes spéciales dont le nombre demeure par définition secret, c’était déjà revenir sur la posture minimaliste initiale dictée par une sous-estimation de la situation qui dégénérait rapidement. Cette sous-estimation de la menace représentée par l’« Etat islamique » a fait depuis l’objet de critiques de plus en plus ouvertes. Le 16 août 2014, dans le cadre d’un débat organisé par The New American Foundation, un Think Tank certes proche des Républicains, réunissant d’anciens acteurs de premier plan en Irak, le colonel de l’US Army Dereck Harvey - désormais à la retraite après avoir été un des principaux conseillers de l’emblématique général David Petraeus en Irak -, avait mis en exergue le danger actuel de la situation qui ne serait que le résultat d’un manque de vision du président Obama dans le domaine de la politique étrangère. Selon Dereck Harvey : « Le Moyen-Orient est devenu un théâtre de rivalités entre les djihadistes d’Al-Qaïda et ceux de l’Etat islamique. Mais Obama a sous-évalué le risque de cette organisation, qui s’est largement implantée, en Syrie et en Irak. Les réseaux sociaux ont, activement, contribué à l’extension de cette organisation. Cette dernière dispose, dans le seul Moyen-Orient, de plus de 10 000 combattants ; mais elle a des membres occidentaux, sur qui elle compte, pour commettre des attaques, aux Etats-Unis et en Europe ».

Pour prendre toute la mesure du problème, il faut comprendre que cette sous-évaluation initiale renvoie probablement à la doctrine Obama dite de light footprint (« l’empreinte légère ») inhérente à une stratégie de small low cost innovative approches. Dans ce cadre, l’usage élargi des drones notamment contre les Talibans dans les territoires tribaux pakistanais, lesquels drones permettent d’éviter l’envoi de G.I’s au sol, constitue sans doute la technologie phare et le marqueur stratégique de sa présidence. Barack Obama a toujours dit qu’il avait été élu - et c’était effectivement l’expression d’un réflexe isolationniste de l’opinion américaine touchée par une war fatigue (« lassitude ») de ces guerres lointaines et souvent mal comprises – précisément pour arrêter ces guerres initiées par l’Administration Bush (retrait d’Irak achevé fin 2011 et celui d’Afghanistan programmé pour fin 2014), et ne pas en commencer une autre : « J’ai été élu pour terminer les guerres pas les commencer », a-t-il coutume de dire à ses détracteurs - souvent Républicains - qui lui reprochent d’avoir orchestré un repli stratégique de l’Amérique à l’étranger. En fait de repli stratégique général, ce serait plutôt d’ailleurs de repli du Moyen-Orient qu’il regarde comme un véritable « bazar » et dont la prise en charge, pour lui qui prône un swing stratégique vers l’Asie (le « pivot »), fait figure de « corvée ». On peut faire référence à une interview accordée le 26 octobre 2013 dans le New York Times, par sa conseillère à la sécurité nationale, Susan E. Rice, interview dans laquelle elle expliquait pour justifier la doctrine de l’« empreinte légère » : « Nous ne pouvons pas nous concentrer 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sur la région du Moyen-Orient. Le temps est venu pour que nous prenions notre distance de cette région et révisions notre approche envers elle ». Une velléité de prise de distance sans doute favorisée par l’horizon d’une prochaine indépendance énergétique des Etats-Unis grâce à l’exploitation des pétroles et gaz de schistes. Elle ajoutait : « Un autre monde existe en dehors du Moyen-Orient et nous avons des intérêts [à défendre, NDA] et des opportunités [à saisir, NDA] dans cet autre Monde ».

Mais le principe de réalité a rattrapé les Etats-Unis. La nature ayant horreur du vide - en géopolitique comme ailleurs - un retrait de la superpuissance américaine même en déclin relatif n’est tout simplement pas possible compte tenu des enjeux en termes de sécurité mondiale induits par le développement du « cancer » de l’« Etat islamique » selon les propres termes du président Obama employés le 20 aout 2014. A l’occasion d’un discours prononcé le 28 mai devant les cadets de West Point, il avait déclaré non sans raison : « Ce n’est pas parce qu’on a le meilleur marteau qu’on doit voir chaque problème comme un clou ». Le problème réside dans le fait que l’« Etat islamique » n’est pas n’importe quel « clou » et que l’on ne peut vraisemblablement pas s’en tenir, pour reprendre des termes empruntés à ceux de la « Guerre froide » même s’il s’agit avec l’expansionnisme djihadiste d’un phénomène très différent, à la seule logique d’un containement (« endiguement ») mais d’envisager aussi un roll back (« refoulement »).

Dans la lutte contre l’EI, quelle est la position de l’Administration américaine par rapport à la Syrie de Bachar al-Assad ?

La situation dans laquelle se trouve Barack Obama est néanmoins loin d’être simple. Au lendemain de la déclaration présidentielle, dans une conférence de presse du Pentagone faite le 21 août 2014, le chef d’Etat-Major interarmes américain, le pourtant prudent général Martin Dempsey, aux côtés du secrétaire à la défense américain, Chuck Hagel, s’était interrogé à haute voix : « L’Etat islamique peut-il être défait sans prendre en compte la part de cette organisation qui opère en Syrie ? La réponse est non ». L’auditoire en avait été stupéfait de la conclusion qu’il en tirait : « Pour en venir à bout, les Etats-Unis doivent aussi s’y attaquer en Syrie ». Cette posture résolue avait été confirmée le lendemain, lors d’une conférence de presse donnée à Martha’s Vineyard (Massachussets), par Ben Rhodes, le conseiller adjoint à la sécurité nationale du président Obama. Interrogé sur d’éventuelles frappes aériennes sur la Syrie, il n’avait pas exclu cette possibilité : « Nous ferons ce qui est nécessaire pour protéger les Américains et pour que justice soit faite après le meurtre barbare de James Foley. Nous examinons activement ce qui sera nécessaire pour répondre à cette menace et nous ne serons pas limités par des frontières [y compris celles de la Syrie, NDA] », lesquelles « frontières », issues des « accords Sykes-Picot », ont d’ores et déjà été « effacées » selon le sénateur républicain John Mc Cain, détracteur de la politique attentiste d’Obama. La difficulté pour les Etats-Unis réside dans le fait que, contrairement à l’Irak, pays qu’ils connaissent bien pour l’avoir occupé et pour lequel ils disposent de nombreux renseignements qui leur permettent de déterminer des cibles de l’« Etat islamique » à frapper, ils sont très largement « aveugles » en Syrie faute de contact direct avec le régime de Damas, lequel - non sans ironie - avait failli faire l’objet de frappes américaines en septembre 2013 et qui s’offre aujourd’hui le luxe de proposer ses services de coopération anti-terroriste aux Etats-Unis.

Les autorités syriennes ont en effet affirmé le 25 août 2014 qu’elles étaient prêtes à coopérer avec la communauté internationale, y compris les Etats-Unis et le Royaume-Uni, pour lutter contre les djihadistes, en soulignant néanmoins que toute frappe éventuelle en Syrie devait se faire en coopération avec elles. « La Syrie est prête à une coopération et à une coordination sur le plan régional, international et bilatéral pour lutter contre le terrorisme dans le cadre de la résolution 2170 du Conseil de sécurité de l’ONU », avait ainsi déclaré lors d’une conférence de presse le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Mouallem. « Y compris avec les États-Unis et la Grande-Bretagne ? » lui avait demandé un journaliste. « Ils sont les bienvenus », avait-il ajouté. Interrogé sur la possibilité que la défense antiaérienne tire sur des appareils américains venant frapper en Syrie, il avait répondu : « Ceci pourrait arriver s’il n’y a pas de coopération préalable ». « Toute violation de notre souveraineté sera considérée comme un acte d’agression », avait-il souligné en précisant qu’il n’y avait pas « jusqu’à présent de coopération avec les Etats-Unis ».

Un rapprochement avec Damas constitue le dilemme d’Obama qui, tout en ayant donné l’autorisation de faire survoler par des drones de reconnaissance le territoire syrien, et notamment la région de Raqqa et de Deir Ezzor afin de planifier d’éventuelles frappes contre des cibles de l’« Etat islamique », a officiellement exclu, le lendemain 26 août 2014 de cette malicieuse « main tendue », toute coordination avec le régime de Bachar al-Assad dans ce domaine. Cette posture renvoie comme le souligne Laurent Fabius dans un entretien accordé à France 24 le 29 août 2014 à la doctrine selon laquelle Bachar al-Assad est « une partie du problème mais pas de la solution ». Et ce, dans la mesure où il a largement favorisé la montée en puissance de l’« Etat islamique » - anciennement EIIL (« Etat islamique en Irak et au Levant ») - afin de fragmenter l’opposition armée qui prenait forme avec l’ASL en libérant de prison, à l’automne 2011, nombre d’activistes qui ont par la suite intégré les rangs de l’« Etat islamique », voire de laisser prospérer à dessein le « poison djihadiste » pour mieux déconsidérer la rébellion et faire ainsi valider sa grille de lecture d’une lutte légitime du régime contre le « terrorisme djihadiste » qui serait le résultat d’un complot extérieur fomenté par les pétro-monarchies du Golfe. Cette stratégie machiavélique a réussi sans doute au-delà des espérances du régime syrien, mais elle a presque trop bien réussi puisque ce même régime se retrouve aujourd’hui contraint de le combattre réellement en faisant bombarder des cibles de l’« Etat islamique » qu’il avait jusque-là très largement épargné contrairement au reste de l’opposition armée. Cela explique peut-être aussi son offre de coopération, pour l’heure officiellement déclinée.

Mais le fait est que, par-delà toutes les dénégations de rapprochement - même contraint - avec le régime syrien, les choses sont surement plus complexes. Pour faire acte de bonne volonté, il semblerait, d’après le quotidien libanais As-Safir en date du 28 août 2014, que la DCA syrienne aurait ainsi reçu l’ordre de ne pas interdire le survol du territoire syrien par les drones et/ou avions militaires américains chargés d’effectuer la collecte de renseignements afin de planifier d’éventuelles frappes contre l’« Etat islamique » qui ne pourraient aujourd’hui que convenir au régime de Damas qui se retrouve d’une certaine manière pris à son propre piège face à l’expansion incontrôlable de l’« Etat islamique ».

L’EI constitue-t-il une menace de déstabilisation pour les Etats du Golfe et pour l’Arabie saoudite ?

Dans le fonctionnement des pétromonarchies du Golfe, il y a une forme de schizophrénie. Dans un premier temps, l’EILL (« Etat islamique en Irak et au Levant ») devenue depuis l’« Etat islamique », a probablement bénéficié d’une certaine complaisance parce qu’il représentait un potentiel de déstabilisation contre le régime alaouite - une secte dérivée du chiisme - du président Bachar al-Assad en Syrie et du gouvernement chiite pro-iranien de Nouri al-Maliki en Irak, et c’est ce qui fait que ce groupe ait pu faire l’objet de financements de la part de certains « généreux donateurs privés » du Golfe comme on a coutume de qualifier les initiateurs de ces fonds afin éviter d’avoir à mettre éventuellement en cause les Etats en tant que tels. Mais cette indulgence problématique risque d’avoir un prix, car aujourd’hui l’« Etat islamique » est devenu une sorte de créature de Frankenstein qui proclame ouvertement son ambition d’expansion territoriale sur une large échelle du Proche et du Moyen-Orient arabo-musulman et de renverser les régimes stigmatisés comme « corrompus » de ces pétro-monarchies.

La pression se fait d’ores et déjà sentir sur les frontières régionales puisque le « Calife » Ibrahim alias Abu Bakr Al-Baghdadi a ainsi ouvertement menacé début août 2014 d’envahir le Koweït - qui a pourtant longtemps constitué un hub pour les flux financiers à destination de ce groupe - « pour faire la guerre avec les Etats-Unis », ainsi que le rapporte le quotidien jordanien Al-Sawsana en date du 5 aout 2014. « Nous avons des comptes à régler avec les Etats-Unis » a-t-il encore proclamé sur sa page Twitter dont il est un utilisateur averti. « Nous ne pouvons pas atteindre les Etats-Unis, donc, les Etats-Unis, eux-mêmes, viennent vers nous, et cela peut se faire avec l’invasion du Koweït qui poussera les Etats-Unis à venir et nous nous lancerons dans une guerre pour nous venger de ce pays », avait ajouté le chef de l’« Etat islamique ». La menace n’épargne pas plus le royaume d’Arabie saoudite, pourtant siège des « deux lieux saints » que sont La Mecque et Médine, puisque l’« Etat islamique » par la voix d’un responsable de l’organisation, un certain Abou Tourab Al Mugaddasi, est allé jusqu’à prôner la destruction de la Kaaba à La Mecque et de « tuer ceux qui adorent la pierre » au motif que la vénération de la « Pierre noire » qui faisait l’objet d’un culte pré-islamique, reverrait donc au péché du Shirk (« associationnisme »), c’est-à-dire à une séquelle du polythéisme : « Si Allah le veut, nous allons tuer ceux qui adorent des pierres à La Mecque et détruire la Kaaba. Les gens vont à La Mecque pour toucher les pierres, pas pour Allah » [1]. C’est peu dire que le régime saoudien commence à être inquiet et c’est ce qui a motivé l’affectation de quelque 30 000 militaires - souvent des non-Saoudiens (Pakistanais, Egyptiens, voire Marocains) jugés souvent plus fiables que les propres soldats du royaume - afin d’assurer une sécurisation renforcée des frontières en général et de la frontière avec l’Irak voisin dont la localité d’Ar-Ar semble directement menacée par l’avancée de l’« Etat islamique ». Les autres pétro-monarchies du Golfe ne sont pas plus rassurées car, selon l’INEGMA, un institut de recherche basé aux Emirats arabes unis, près de 4 000 djihadistes saoudiens et quelque 1 500 djihadistes en provenance des autres pays membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) comme les Emirats Arabes Unis, Bahreïn et/ou le Qatar, seraient présents dans les rangs de l’ISIS [2]. C’est dire.

Pouvez-vous revenir sur les relations entre les Etats-Unis et l’Iran, dans le contexte de la lutte contre l’EI ?

Si tout rapprochement autre qu’opportuniste avec Damas demeure toutefois improbable, il n’en va pas forcément de même avec l’Iran qui constitue par ailleurs un allié indéfectible du régime alaouite en Syrie et du régime chiite pro-iranien en Irak. Dans une allocution en date du 14 juin 2014, le président « réformateur » Hassan Rohani avait, le premier, subtilement offert une « main tendue » - évidemment intéressée sur fond de discussions relatives au nucléaire iranien -, en direction des Etats-Unis : « Si nous voyons que les Etats-Unis agissent contre les groupes terroristes, alors on peut penser » [à une coopération], « mais jusqu’ici nous n’avons vu aucune action de leur part », avait ainsi affirmé Hassan Rohani. Le Secrétaire d’Etat américain, John Kerry, avait répondu à Yahoo News qui l’interrogeait le 16 juin sur une éventuelle coopération militaire avec l’Iran pour aider l’Irak, qui fait face à une offensive de djihadistes ultra-radicaux : « Je n’exclurais rien qui puisse être constructif », a répondu M. Kerry à Yahoo News qui l’interrogeait sur une éventuelle coopération militaire avec l’Iran pour aider l’Irak, qui fait face à une offensive des djihadistes ultra-radicaux de l’« Etat islamique ». Des pourparlers secrets étaient d’ailleurs entamés à Vienne avec Richard Burns, le négociateur américain expérimenté, en marge de l’ouverture d’un nouveau cycle de discussions [3] pour parvenir à un règlement de la question nucléaire. Les lignes semblent bien en train de bouger même si cela ne va pas de soi pour aucun des acteurs concernés, compte tenu du passif existant. D’ailleurs, interrogé sur une éventuelle coopération structurée avec la République islamique, le même Secrétaire d’Etat avait répondu par la négative : « Nous ne discutons pas autour d’une table de ce que nous allons faire et de la façon dont nous allons le faire. Ce n’est pas sur la table ».

Sur le terrain opérationnel néanmoins, surtout depuis le lancement des frappes aériennes décidées début août 2014 par les Etats-Unis, une coordination conséquente semble bien exister avec l’Iran en Irak. Si le président Obama a toujours dit qu’il n’était pas question de renvoyer des G.I.’s au sol - en dehors des conseillers militaires - il n’en va pas de même des Iraniens en dépit de leurs dénégations répétées de non intervention directe. Le fait est que Téhéran a mandaté à Bagdad, dès la mi-juin 2014, le général Qassem Soleimani [4], chef de la force d’élite Al-Qods des Pasdarans pour reprendre en main l’armée régulière irakienne et structurer et encadrer les milices chiites censées défendre les lieux saints chiites irakiens, dont Samarra au Nord directement menacée par l’avancée de l’« Etat islamique ». Une présence « alliée » au sol n’est pas sans intérêt pour un pointage efficient de cibles à traiter pour les avions de l’USAF. Cette coordination opérationnelle en Irak n’est pas nécessairement aussi surprenante qu’il y paraît, compte tenu de l’évolution des relations entre les Etats-Unis et l’Iran qui s’est dessinée à la faveur des négociations sur le nucléaire et de l’accord intérimaire depuis la fin de l’année 2013. Il y a un rapprochement que j’estime profond entre les deux pays, car les intérêts de l’Iran et des Etats-Unis, par-delà les dissensions qui peuvent exister avec le régime théologico-politique iranien issu de la Révolution islamique de 1979, convergent néanmoins avec l’Etat iranien en tant que tel. La lutte contre l’extrémisme sunnite, incarné aujourd’hui par l’« Etat islamique », est l’un de ces intérêts communs. Objectivement parlant, l’Iran est donc un allié potentiel des Etats-Unis, même si cela peut paraître encore quelque peu extraordinaire.

Lire également l’entretien de David Rigoilet-Roze pour Jol Press :
http://www.jolpress.com/face-etat-islamique-etats-unis-eternels-gendarmes-moyen-orient-assad-syrie-irak-article-827767.html

Publié le 03/09/2014


David Rigoulet-Roze, docteur en Sciences politiques, est enseignant et chercheur, ainsi que consultant en relations internationales, spécialisé sur la région du Moyen-Orient et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques. Il est chercheur à l’Institut Français d’Analyse Stratégique (IFAS) où il est en charge depuis 2006 d’une veille stratégique entre l’Iran et les pays arabes particulièrement préoccupés de l’éventuelle accession de l’Iran au statut de puissance nucléaire. Il est également chercheur associé à l’Institut de Recherches Internationales et Stratégiques (IRIS) ainsi qu’à l’Institut européen de recherche sur la coopération Méditerranéenne et Euro-arabe (MEDEA) de Bruxelles. Outre de nombreux articles, il a notamment publié Géopolitique de l’Arabie saoudite : des Ikhwans à Al-Qaïda (Armand Colin, 2005) et L’Iran pluriel : regards géopolitiques (l’Harmattan en 2011). Il enseigne également la Géopolitique et les Sciences Politiques dans le supérieur.


 


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