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A la mi-octobre 2020, à la surprise générale, Israël et le Liban ont entamé des discussions pour définir leur frontière maritime, avec le parrainage de Washington. Mais, depuis, les négociations bloquent.
Daniel Meier a répondu aux questions des Clés du Moyen-Orient à la lumière de cette actualité. Il est docteur en sociologie politique et chercheur associé à l’IFPO et au CEMAM (Université Saint-Joseph, Beyrouth). Auteur de plusieurs ouvrages et articles sur le Liban et sur le Moyen-Orient, il a notamment publié Les frontières au-delà des cartes. Sécurité, migrations, mondialisation, (Paris, Le Cavalier Bleu, 2020) et In-between border spaces in the Levant, (London : Routledge, 2021).
Les enjeux sont principalement économiques. Le Liban a accepté d’entrer dans ces discussions pour pouvoir exploiter les ressources en hydrocarbures présentes dans les fonds marins de la région sud (d’importantes réserves ont été identifiées dans les eaux libanaises et dans les eaux disputées avec Israël). L’aspect économique est d’autant plus important que le Liban traverse une crise financière majeure : Beyrouth espère que les découvertes effectuées par les majors [1] sauveront l’économie libanaise. L’enjeu est donc de taille, même s’il faut rester prudent : étant donné le temps nécessaire pour exploiter ces ressources, les retombées économiques ne se feront ressentir que dans cinq ans au moins selon les prédictions les plus optimistes.
L’enjeu de ces négociations est aussi politique : les rivalités internes au Liban sur la question de l’exploitation des hydrocarbures sont vives entre certains leaders confessionnels. On observe actuellement une lutte pour ce que j’appelle le « monopole souverainiste » : la question pétrolière et gazière est au cœur d’une rivalité entre Nabih Berry (Président du Parlement libanais, Amal), Michel Aoun (Président de la République libanaise, Courant patriotique libre) et le Hezbollah. Ils sont théoriquement alliés, mais ils s’écharpent sur ce dossier pour savoir qui obtiendra ce monopole souverainiste.
Il existe aussi un enjeu géopolitique avec la montée des tensions en Méditerranée orientale : les ambitions libanaises vont entrer en rivalité avec des Etats limitrophes (l’Egypte, Chypre, Israël) et avec d’autres Etats producteurs de pétrole qui s’imposent dans la région, les Emirats arabes unis par exemple, qui viennent d’entrer dans le Forum EastMed en tant que partenaires. En acceptant de discuter avec Israël pour tracer ses frontières maritimes, le Liban cherche donc sa place en Méditerranée orientale.
Enfin, un autre enjeu, de taille, est lié à l’agenda sécuritaire de l’administration américaine. La médiation américaine dans ce dossier montre l’intérêt de Washington à sécuriser les forages israéliens pour éviter des heurts entre le Liban et Israël sur cette frontière maritime. Le Liban (de plus en plus isolé ces dernières années) cherche ici à montrer à Washington qu’il fait preuve de bonne volonté pour avancer sur ce dossier.
Ce dossier est ancien : pendant des années, divers médiateurs américains ont tenté d’ouvrir les négociations sur ce sujet, en vain. Mais soudainement, en octobre dernier, à la surprise générale, Nabih Berry (leader de Amal et président du Parlement) a annoncé que le Liban était prêt à négocier sur la zone contestée par Beyrouth, qui est de 860 km2.
Point intéressant : la conférence de presse organisée par Nabih Berry, pour annoncer l’ouverture des discussions, a eu lieu quelques jours après la mise en place de sanctions américaines sur des responsables libanais (des proches de Berry) en raison, d’après Washington, de leur soutien financier envers le Hezbollah [2]. Ces sanctions semblent donc avoir encouragé le leader de Amal à lâcher du lest pour accepter l’ouverture de discussions sur les frontières maritimes.
De façon surprenante, elles ont effectivement commencé sous de bons auspices. Avec la médiation américaine, elles ont eu lieu à Naqoura, comme cela avait toujours été le cas dans le passé pour les discussions indirectes entre Libanais et Israéliens, organisées alors avec la méditation des Nations unies.
Mais assez rapidement, la situation s’est grippée. Dès la deuxième séance, au bout de trois semaines, le Liban a présenté de nouvelles revendications maximalistes, demandant la souveraineté libanaise sur plus de 1 600 km2 au lieu de 860 km2 (un kilométrage qui empiète donc sur les zones israéliennes, qui sont déjà en cours de forage). Les Israéliens ont immédiatement répondu par des revendications maximalistes en direction du nord (en revendiquant la souveraineté israélienne sur des eaux allant jusqu’au sud de Saïda, empiétant même jusqu’au bloc numéro 5). Depuis lors, la situation n’a pas pu être débloquée.
Pourquoi cette surenchère libanaise ? Le Liban cherche avant tout à élargir sa marge de manœuvre dans les discussions. Par ailleurs, il cherche probablement aussi à répondre aux revendications israéliennes de base, illégitimes au regard du droit international. Notons que le Liban reconnaît le droit de la mer (convention de Montego Bay de 1984), mais ce n’est pas le cas d’Israël. Les revendications libanaises sont basées sur ce droit, alors que l’Etat hébreu se base sur un premier tracé maritime libano-cypriote datant de 2007 dont l’incomplétude a été exploitée pour revendiquer sa souveraineté sur une zone plus étendue : c’est donc cette revendication israélienne qui est à la base du litige frontalier maritime totalisant une surface de 860 km2.
Le Hezbollah a accepté ces discussions en raison de la menace de sanctions américaines sur les membres du parti.
Depuis le début des négociations avec Israël, il est en retrait. Il semble avoir laissé son allié de Amal, Nabih Berry, gérer le dossier. Cependant, en arrière fond, de manière discrète, le Hezbollah contrôle largement l’agenda de ces discussions avec Israël. Il sait que ni Nabih Berry ni Michel Aoun ne vont lâcher du lest sans son approbation. Malgré son accord pour discuter avec Israël, le Hezbollah reste sur une position ferme vis-à-vis de l’Etat hébreu. Pour le groupe libanais, ces négociations ne sont clairement pas un signe de normalisation avec les Israéliens. Elles sont simplement un moyen de rendre fonctionnelle la frontière maritime. Les leaders du Hezbollah promeuvent régulièrement, dans leurs discours, la nécessité de s’assurer d’une frontière maritime sécurisée pour permettre l’exploitation des hydrocarbures et lient cette sécurité à leur arsenal. On n’est donc pas vraiment dans un climat de détente.
Ces discussions sont inédites parce qu’elles apparaissent sous les auspices des Etats-Unis, alors que les précédentes négociations indirectes entre Israéliens et Libanais étaient parrainées par les Nations unies. Or, du côté du Liban, cela constitue un changement de taille car une partie de la classe politique libanaise se méfie traditionnellement de Washington à cause, notamment, des relations de proximité entre les Etats-Unis et Israël.
Au point de dire que cela entraînera une normalisation ? Personnellement, j’en doute. Ces derniers mois, on observe un usage politique de cette idée de normalisation. L’établissement de relations entre Israël et un certain nombre d’Etats arabes (Emirats arabes unis, Bahreïn, Maroc, Soudan) fait croire qu’un effet domino inarrêtable va s’étendre à toute la région. Mais selon moi, il faut se méfier de ces pronostics hâtifs. Chaque Etat a sa spécificité, qui plus est un État comme le Liban, qui continue de ne pas reconnaître l’Etat d’Israël.
Certes, ces discussions marquent une certaine ouverture, un certain changement de ton entre les deux pays. Mais une normalisation de leurs relations n’est pas pour l’instant envisageable selon moi. Jusqu’à maintenant, ces négociations ont surtout permis de montrer qu’on allait vers une surenchère dans les relations libano-israéliennes. Peut-être que l’administration Biden convaincra les Libanais et les Israéliens de mettre de l’eau dans leur vin pour aboutir à un accord.
Daniel Meier
Daniel Meier est docteur en sociologie politique et chercheur associé à l’IFPO et au CEMAM (Université Saint-Joseph, Beyrouth). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles sur le Liban et sur le Moyen-Orient.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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