Accueil / Portraits et entretiens / Entretiens
LIONEL BONAVENTURE / AFP
Cyrille Rogeau, ancien élève de l’École nationale d’administration, fut notamment sous-directeur de l’Afrique du nord à la Direction Afrique du nord et Moyen-Orient au ministère Français des Affaires étrangères de 2008 à 2012.
En février 2011, Ben Ali est tombé depuis plusieurs semaines. La Tunisie n’est pas loin. Les échanges ont toujours été nombreux entre Tunisiens et Libyens. Al-Jazira est reçue et, comme ailleurs, très suivie. Il y a donc un effet domino, d’autant plus important que les excès du clan Kadhafi commencent à lasser, même les partisans du régime. Certes la peur musèle les Libyens mais le déchaînement de violence, totalement aveugle et disproportionné, qui répond aux premières manifestations d’opposition à Benghazi, achève de mettre le feu aux poudres et d’inciter les hésitants à la désobéissance puis au soulèvement. Le régime s’est condamné en réprimant aussi violemment les premiers mouvements intervenus à Benghazi. Il a paniqué et perdu le contrôle de la situation. C’est sans doute à ce moment là qu’il a perdu la partie.
Instruite par la rapidité des événements de Tunisie puis d’Egypte, la France, rapidement suivie du Royaume-Uni, a décidé d’aider les Libyens, convaincue qu’on avait affaire avec Kadhafi à un fou dangereux, absolument imprévisible et incontrôlable et donc capable de tout, et notamment du pire. C’était aussi l’occasion de mettre en œuvre un concept inventé et forgé par la France quelques années plus tôt, mais toujours resté lettre morte : la responsabilité de protéger. C’était enfin cohérent avec notre politique de soutien aux droits de l’homme et notre souci de montrer aux dictateurs présents ou à venir que tout n’était pas possible et que la communauté internationale était capable de se mobiliser pour éviter le pire. Une fois d’accord avec les Britanniques, il était plus facile d’entraîner et de convaincre les membres du Conseil de sécurité, ce qui dût beaucoup aussi à la mobilisation personnelle du ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, qui alla défendre le projet de résolution à New York, où il fut le seul ministre à faire le déplacement. Une fois votées les résolutions des Nations unies permettant d’intervenir militairement dans le respect du droit (résolution 1970 du 26 février et 1973 du 17 mars), la France sut organiser en quelques jours le sommet de Paris du 19 mars 2011. Ce sommet, réuni au niveau des chefs d’Etat ou de gouvernement, permit le lancement des opérations militaires, quelques heures seulement avant que l’avancée des armées de Kadhafi ne fût fatale aux habitants de Benghazi, dont elles n’auraient fait qu’une bouchée.
La Libye a toujours été un pays complexe et demeure une boîte noire. Le pouvoir actuellement en place en Libye est donc multiforme et partagé : entre les libéraux, les musulmans et les brigades, mais aussi entre les villes car le critère géographique importe autant que le critère politique. Manifestement personne ne se détache à ce jour : ni une personnalité ni un parti ou un groupe.
Cette mission a un rôle très clair, à défaut d’être simple : aider la nouvelle Libye à se stabiliser et à progresser vers la démocratie, en évitant la guerre civile et en dotant un pays, qui n’avait pas d’Etat, d’institutions solides.
L’Italie était le principal fournisseur et le principal client de la Libye avant la guerre. Elle l’est restée. La France était le 3ème client et le 9ème fournisseur. Ces positions n’ont semble-t-il pas substantiellement changé quoique les statistiques pour 2011/2012 ne soient pas connues. Une des rares certitudes, c’est que la position de la Turquie a du s’améliorer.
On ne peut pas l’exclure même si cela n’aura pas été le facteur déterminant. Nous n’avons pas gagné de parts de marché dans le secteur pétrolier.
Avec des si, on mettrait Paris en bouteille disent les enfants. A posteriori, il est toujours facile, voire tentant, de réécrire l’histoire. La seule certitude c’est que si l’on n’était pas intervenu, les Libyens auraient été massacrés. On sait aussi que les tensions et les difficultés au Sahel étaient déjà très sérieuses avant la guerre de Libye.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.
Cyrille Rogeau
Cyrille Rogeau, ancien élève de l’École nationale d’administration, fut notamment sous-directeur d’Afrique du nord à la Direction Afrique du nord et Moyen-Orient au ministère Français des Affaires étrangères, de 2008 à 2012. Il est actuellement à l’Inspection générale.
Autres articles sur le même sujet
Docteur en histoire contemporaine (Sorbonne 2010), spécialiste des questions de défense européenne et transatlantiques, Guillaume de Rougé est enseignant-chercheur en histoire des relations internationales, associé à l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle. Il enseigne également à Sciences Po Paris, (...)
par Entretiens,
Diplomatie •
15/05/2017 • 11 min
,
,
dans
Élodie Brun est enseignant-chercheur au Centre d’études internationales de El Colegio de México. Docteure en science politique, spécialisation Relations internationales, de Sciences Po Paris depuis avril 2012, elle a obtenu le statut de chercheur associé pour la période 2014-2016. Spécialiste des (...)
par Entretiens,
Diplomatie •
20/05/2014 • 9 min
,
,
dans
Après plus de 15 mois de guerre entre le Hamas et Israël à Gaza, un accord de trêve a été signé le 15 janvier 2025 et est entré en vigueur le 19 janvier. Il doit se dérouler en trois phases, incluant la libération des otages israéliens en échange de la libération de prisonniers palestiniens, et doit (...)
par Entretiens,
Politique, Diplomatie •
24/01/2025 • 7 min
,
,
dans
Le 8 décembre 2024, Bachar al-Assad a été chassé du pays par une coalition menée par les rebelles du groupe islamiste Hayat Tahrir Al-Sham (HTS). Aux scènes de joies dans les rues, se mêlent les interrogations sur le futur de la Syrie. Plus d’un mois après la chute de Bachar al-Assad, Thomas Pierret, (...)
par Entretiens,
Politique, Diplomatie •
17/01/2025 • 7 min
,
,
dans
Poursuivre votre lecture
Guerre du Liban
Libye
Diplomatie
Le 13 avril 2025 marque les 50 ans du début de la guerre du Liban (1975-1990). Les décennies se succèdent, et pourtant, cet épisode noir de l’histoire libanaise n’est toujours pas enseigné dans les écoles du pays. Il n’existe pas de livre d’histoire unifié. Pour remédier à ce manque, l’Association (...)
par Entretiens,
Histoire, Guerre du Liban •
18/04/2025 • 8 min
,
,
dans
Les 20 premiers producteurs de pétrole en 2023, en milliers de barils/jour.
par Analyses de l’actualité,
Pétrole •
25/10/2024 • 1 min
,
dans
30/06/2022 • 6 min
10/03/2022 • 5 min
20/07/2020 • 10 min
14/05/2019 • 10 min