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Après l’attaque sur Téhéran dans la nuit du 30 au 31 juillet, attribuée à Israël, qui a tué le chef politique du Hamas Ismaël Haniyeh, l’Iran avait affirmé à plusieurs reprises vouloir riposter, faisant craindre une escalade régionale. Cet assassinat sur le sol iranien intervient dans un contexte interne troublé avec la contestation anti-régime et l’élection d’un nouveau président après la mort d’Ebrahim Raïssi dans un accident d’hélicoptère.
Clément Therme, chercheur associé à l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah) et chargé de cours à l’Université Paul Valéry de Montpellier, répond aux questions des Clés du Moyen-Orient.
La République islamique est opposée à toute négociation avec Israël, dont elle prône la destruction. Depuis 1979, elle ne reconnaît pas ce qu’elle appelle “l’entité sioniste”. La destruction d’Israël constitue un des fondements idéologiques du régime. C’est ce qui le distingue du régime précédent, le régime pahlavi, qui entretenait des relations diplomatiques, même limitées, avec Israël. L’Iran n’avait pas de relations diplomatiques complètes, mais un consulat iranien était alors installé à Tel-Aviv.
Depuis 1991 et le début du processus de paix israélo-palestinien, l’Iran est à la tête du front du refus, notamment à travers son soutien au groupe Jihad islamique. L’Iran refuse donc, d’un point de vue idéologique, toute négociation avec Israël, il n’y a aucun élément qui amène à penser que la riposte iranienne serait conditionnée aux négociations en cours sur Gaza. Dans la rhétorique interne au système politique iranien (nezam), l’attente actuelle répond davantage à une volonté de créer un effet de surprise. Et ce, pour éviter un nouvel échec militaire, comme à la mi-avril, quand Téhéran avait mené la première offensive directe de son histoire sur Israël en réponse à l’attaque sur le consulat iranien en Syrie.
Le défi - difficile à surmonter - est de maintenir la ligne idéologique de la République islamique, qui comprend la destruction d’Israël, tout en assurant la survie du régime. Pour l’Iran, aujourd’hui, il s’agit de rétablir la dissuasion en évitant un échec militaire similaire au mois d’avril, sans pour autant déclencher une guerre régionale totale. D’autant plus qu’en parallèle, Téhéran doit assurer la coordination avec l’axe de la résistance, la République islamique ne décide pas seule, elle décide avec les Houthis au Yémen, le Hezbollah au Liban, les milices en Irak et en Syrie ainsi que le régime syrien. Tous ces éléments expliquent cette attente avant la riposte. Ces facteurs apparaissent temporaires et ne signifient pas la fin de l’escalade militaire régionale.
La première phase de la réponse militaire initiée par le Hezbollah le 25 août 2024 est pour l’heure une réponse locale qui ne dit pas ce que pourra être, in fine, la réponse de Téhéran. Cette répartition des rôles entre la République islamique et ses auxiliaires permet à Téhéran de calibrer sa réponse en poursuivant le double objectif de dissuader Tel Aviv de lancer de nouvelles opérations clandestines sur le territoire iranien tout en évitant le déclenchement d’un conflit régional généralisé.
Dans le cadre de la guerre psychologique, de nombreuses rumeurs contradictoires circulent, des éléments de langage sont mis en avant par la République islamique, notamment par le représentant de l’Iran aux Nations unies, Saïd Iravani, pour créer une surprise militaire. Dans la rhétorique de cette dernière semaine, la République islamique a par exemple introduit l’idée d’une attaque au sol et dans les airs en même temps, à laquelle ses alliés non-étatiques régionaux pourraient participer. Téhéran peut d’ailleurs répondre hors du territoire israélien, sur des intérêts israéliens, tous les scénarios sont envisageables.
Néanmoins, le problème dans le fait d’annoncer en permanence une réponse imminente, est qu’elle est attendue. Depuis début août, les Etats-Unis ont eu le temps de renforcer leurs capacités militaires dans la région pour garantir la sécurité de leur allié israélien.
D’une certaine manière, à la mi-avril, c’était voulu. Même si l’attaque n’a finalement pas complètement fonctionné sur le plan militaire conventionnel.
Aujourd’hui, la situation est différente, la riposte iranienne est élaborée à l’heure où l’Iran doit consolider le processus politique interne en cours. Après la mort du président Raïssi dans un accident d’hélicoptère, un nouveau président a été « élu », Massoud Pezechkian, et un gouvernement vient tout juste d’être formé. En parallèle, les débats politiques internes sur la survie du régime sont vifs. Avec la contestation populaire du mouvement « Femme, Vie, Liberté », se pose la question de la continuité de l’idéologie du régime.
La question de la faillite sécuritaire est aussi aujourd’hui au centre des préoccupations iraniennes. Le fait que l’élimination du chef politique du Hamas ait eu lieu sur le sol iranien, montre l’incapacité des services de renseignements iraniens à protéger un membre de « l’axe de la résistance » sur son territoire. La déficience structurelle des services de renseignements, alors même que l’appareil sécuritaire est au cœur de tous les investissements depuis 1979, interroge. Avant de lancer une riposte militaire, l’Iran cherche à effectuer une purge dans l’appareil de sécurité pour surmonter ces déficiences internes vis-à-vis des ingérences extérieures. Cette déficience sécuritaire n’est pas nouvelle, par le passé, les assassinats sur le sol iranien d’ingénieurs iraniens investis dans le programme nucléaire, ont aussi mis en lumière les défaillances sécuritaires internes.
Pour l’Iran, la question est de limiter les déficiences des services de sécurité et de renforcer l’appareil sécuritaire avant d’envisager une escalade régionale. La question de l’unité entre les factions est importante, c’est pour cela que le président iranien vient de présenter un gouvernement d’unité entre les différentes factions au sein de la République islamique.
Le pouvoir du président iranien est limité, il est avant tout un exécutant de la volonté du chef de l’Etat, c’est-à-dire le Guide suprême, Ali Khamenei. De plus, le gouvernement est le reflet des équilibres entre les différents organes de sécurité dans la République islamique et depuis la Révolution islamique, les ministres chargés des dossiers sécuritaires sont choisis par le Guide suprême.
Aujourd’hui, le président sert avant tout à contourner la crise de légitimité que traverse le régime en lien avec le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Pour le système politique, Massoud Pezechkian sert de couverture pour renforcer la répression en interne, tout en gérant l’escalade à l’extérieur. Son rôle est de gérer l’hostilité avec les Etats-Unis pour garantir la survie du système, sans menacer les fondamentaux idéologiques de la République islamique.
Il a surtout une fonction d’exécutant avec un message clair : c’est moi ou le chaos. Le guide suprême veut afficher une image d’unité à l’intérieur de la République islamique. Mais cela ne signifie pas qu’il y ait unité dans l’ensemble du pays. La contestation est forte en Iran, et les contestataires s’en prennent aussi à la position iranienne sur le conflit israélo-palestinien, car la majorité des Iraniens s’opposent à cette volonté de faire de la question palestinienne une base idéologique de la République islamique [1].
Par ailleurs, la tentative de rééquilibrage du discours par le président iranien est largement illusoire car pour la politique régionale, ce sont les Gardiens de la révolution qui décident.
La république islamique pratique, comme les Occidentaux, le double-standard. Dans son premier rapport présenté au Conseil des droits de l’homme, la Mission internationale indépendante a dénoncé les graves violations des droits de l’homme par le régime iranien dans la répression à la contestation populaire, dont beaucoup constituent des crimes contre l’humanité [2]. Dans le même temps, la République islamique cherche à défendre la cause palestinienne en la transformant comme cause islamiste à l’extérieur du pays. Il semble étonnant, pour un système politique, de chercher la justice internationale à l’extérieur et de perpétrer des violations aux droits humains à l’intérieur. Pour le régime, la cause palestinienne est une opportunité pour accélérer la répression, pour justifier ses propres déficiences en matière de droits humains.
Il y a une instrumentalisation de la guerre à Gaza pour continuer à gouverner en dépit d’un rejet massif de la politique interne par la population iranienne. De manière paradoxale, le régime iranien a ainsi rendu impopulaire la priorité donnée à la cause palestinienne au sein de la majorité de son opinion publique en raison de cette politique d’instrumentalisation.
Le régime joue beaucoup sur la peur du chaos auprès de la population iranienne. Avec la situation en Irak, en Syrie, au Liban, ou encore en Afghanistan ces dernières années, les Iraniens craignent l’effondrement de l’État. Il y a donc un intérêt pour le régime à maintenir un niveau de tension militaire dans la région pour justifier la répression à l’intérieur. C’est ce qu’on appelle le complexe obsidional de la République islamique : les dirigeants iraniens se nourrissent de la pression extérieure pour réprimer à l’intérieur. Donc effectivement, depuis le début du mouvement « Femme, Vie, Liberté », la question palestinienne est davantage utilisée pour délégitimer les contestataires iraniens en les associant à des soutiens à Israël. Et ce, dans le but de fracturer l’opposition. Car une partie de l’opposition en exil est pro-Israël, mais les mouvements iraniens de gauche sont des soutiens à la Palestine.
Clément Therme
Clément Therme est Membre associé du Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBAC) et du Centre d’Analyse et d’Intervention Sociologiques (CADIS) de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS).
Docteur en Histoire internationale de l’IHEID et docteur en sociologie de l’EHESS, il est notamment l’auteur de Les relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979 (PUF, 2012) et le co-directeur de l’ouvrage Iran and the Challenges of the Twenty-First Century (Mazda Publishers, 2013).
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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