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Entretien avec Christian Taoutel : « Avec la guerre, la domination du Hezbollah est remise en question »

Par Christian Taoutel, Ines Gil
Publié le 17/10/2024 • modifié le 17/10/2024 • Durée de lecture : 8 minutes

Christian Taoutel

Depuis une semaine, les attaques israéliennes contre la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) se multiplient. Ce dimanche 13 octobre, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a demandé à la force de maintien de la paix de se retirer du Liban. Quel est le rôle de la FINUL et ces attaques sont-elles inédites ?

La Force intérimaire des Nations unies au Liban s’est installée au Liban en 1978 après la première invasion israélienne. A ses débuts, c’était une force d’environ 6 000 hommes. Son objectif était alors de constituer une force d’interposition entre Israël et les groupes palestiniens installés dans le sud-Liban. Son évolution a connu plusieurs phases, marquées par l’invasion israélienne de 1982 durant laquelle l’armée d’Israël est montée jusqu’à Beyrouth, puis en 1996, et durant le retrait israélien en 2000 et enfin, avec la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah. Après la guerre de 33 jours de 2006, durant laquelle des combats intenses ont éclaté dans le sud Liban, la FINUL a grossit ses rangs, passant à près de 13 000 casques bleus. Pour des raisons financières, ces dernières années, le nombre de soldats était tombé à près de 10 000.

Les attaques israéliennes de la semaine dernière qui ont fait plusieurs blessés chez les casques bleus, ont entraîné de vives critiques à l’international. Mais ce type d’attaque n’est pas nouveau. En 1996, Israël a bombardé un abri de la FINUL, faisant plus de 100 morts, parmi lesquels de nombreux civils et des casques bleus. C’est le massacre de Cana. En 2006, des avions israéliens ont survolé en piqué des positions françaises, les casques bleus français avaient failli ouvrir le feu sur les jets israéliens. On le voit, les attaques israéliennes ne sont pas inédites. Pour les Israéliens, celles-ci visent à repousser la FINUL pour opérer plus librement dans la zone. En toute illégalité avec le droit international, Benjamin Netanyahou a récemment demandé à la FINUL de se retirer. Mais la FINUL a refusé, avec le soutien du président français Emmanuel Macron, qui a haussé le ton sur cette affaire.

Cependant Israël n’est pas le seul à attaquer les casques bleus. Par le passé, la FINUL a aussi été visée par des partisans du Hezbollah, qui cherchaient à empêcher les casques bleus de se déplacer librement dans le sud-Liban. Son mandat permet à la FINUL de circuler librement avec la coordination de l’armée libanaise. Or, il est arrivé à des véhicules de la FINUL de dévier de leur trajectoire, parfois pour des raisons logistiques, c’est à ce moment que des incidents ont éclaté. L’année passée, un soldat irlandais a été tué, et des Espagnols ont été attaqués, des soldats indonésiens avaient eux aussi été intimidés.

Les Israéliens accusent la FINUL de laisser faire le Hezbollah, mais la force de l’ONU agit dans le cadre de son mandat. Malheureusement, le Liban n’a pas rempli sa part de l’accord, ce qui a empêché la FINUL de limiter les activités militaires du Hezbollah. Le gouvernement libanais était censé appliquer la résolution 1701, à savoir, déployer l’armée libanaise dans le sud et faire en sorte que le Hezbollah ne se déploie plus sur le territoire entre le Litani et la frontière. Mais le gouvernement libanais n’a pas respecté cette résolution. Le Hezbollah a donc pu continuer à opérer dans le sud-Liban, alors même qu’un accord signé en 1996 l’obligeait à stopper ses opérations dans les zones civiles.

La passivité de la FINUL est actuellement pointée du doigt, soulevant des questions sur son avenir au Liban

La FINUL est prise en étau entre Israël et le Hezbollah. D’un côté, les Israéliens l’accusent de laisser le Hezbollah opérer à quelques dizaines de mètres de ses positions, ce qui n’est pas faux. Et d’un autre côté, les Libanais accusent la FINUL d’être passive face aux attaques israéliennes. Effectivement, en 10 ans, il y a eu 10 000 violations aériennes du Liban par Israël, et jamais la FINUL n’a tiré en direction de ces avions pour les repousser.

Aujourd’hui, la force de l’ONU est accusée d’être davantage une force d’observation qu’une force de maintien de la paix. Cela ne doit néanmoins pas faire oublier qu’avant la guerre, les casques bleus ont amélioré la vie des civils dans de nombreux villages du sud-Liban. La présence de plus de 9 000 soldats qui circulent et consomment localement, a participé à développer la région sur le plan économique. Par ailleurs, la FINUL a organisé des actions sociales, en reconstruisant des villages, en restaurant des écoles et en s’assurant du bon fonctionnement des points d’eau et des canalisations. Le contingent indonésien en particulier a fait un travail extraordinaire dans le sud. Ces soldats ont développé des actions utiles pour les villageois.

Mais depuis le 23 septembre, avec la destruction des villages du sud par Israël et le départ des habitants, on peut légitimement se poser la question : à quoi sert la FINUL aujourd’hui ? Elle se démarque comme une force d’observation dans le conflit en cours, mais ce travail d’observation peut aussi être réalisé par les satellites. Il sera nécessaire, une fois la guerre finie, de se poser la question du maintien de cette force, de repenser son rôle, en mettant les Israéliens et les Libanais face à leurs responsabilités. Et qui sait, de la remplacer par une nouvelle force arabe de dissuasion qui serait composée de soldats qui ont la confiance des Israéliens et des Libanais, comme des Egyptiens, des Jordaniens ou des Emiratis. Le sud-Liban peut se passer de la FINUL, mais il faudra la remplacer par une autre force de dissuasion.

Les pays occidentaux, et plus largement la communauté internationale, sont également critiqués sur leur passivité face aux actions militaires israéliennes

Sur ce point, la situation à Gaza est différente de celle au Liban. La population de Gaza vit une situation qui dure depuis 1948. Or, au Liban, la guerre actuelle est une continuation de la guerre de 2006 inachevée.

Concernant Gaza, l’Occident n’est pas le seul en cause. C’est la communauté internationale toute entière qui doit se poser la question de la morale humaine. Près de 50 000 personnes ont été tuées à Gaza en quelques mois de guerre. Israël a bombardé les hôpitaux, tuant des médecins, détruisant des écoles, des abris, dans le silence international.

Au Liban, la situation est différente. Selon moi, le pays n’est pas abandonné du monde. Les émissaires internationaux continuent jusqu’à aujourd’hui à faire des allers retours, la France a envoyé son ministre des Affaires étrangères. L’activité diplomatique est intense pour soutenir le Liban. Ce n’est donc pas le Liban, mais le Hezbollah qui est seul.

En effet, le mouvement chiite a été abandonné par l’Iran. Ceci s’explique simplement : depuis la révolution iranienne en 1979, l’Iran met en priorité ses intérêts territoriaux. Il ne va pas mobiliser ses troupes pour le Liban, il n’y aura pas de soldats iraniens au sol pour aider le Hezbollah, ce n’est pas la priorité de Téhéran. Mais il mobilise avant tout ses alliés arabes, que ce soit au Liban, en Syrie, en Irak, ou au Yémen. On le voit, depuis le début de la guerre à Gaza et au sud-Liban, l’Iran n’est intervenu que deux fois, après deux attaques contre son territoire national : 1/ Après l’attaque sur son consulat à Damas et 2/ Après l’assassinat du chef du Hamas Ismaël Haniyeh à Téhéran. D’ailleurs, la réplique n’était que symbolique, elle a fait peu de dégât en Israël, et elle était annoncée à l’avance. L’Iran combat à travers les alliés arabes, il refuse d’entrer dans ce « Vietnam » libanais.

Depuis fin septembre, les incursions terrestres israéliennes sur le territoire libanais, accompagnées de bombardements intenses, ravivent la mémoire de l’occupation israélienne du sud-Liban. Cette région, bien plus que le reste du pays, a souffert de multiples conflits depuis l’indépendance du Liban. Le sud-Liban est-il une région « à part », délaissée ?

Je ne crois pas que le sud-Liban soit plus délaissé que la Bekaa ou que le Akkar, elles aussi isolées. Tripoli, au nord, est la région la plus pauvre de la côte méditerranéenne. Jusqu’à récemment, les routes du sud étaient les meilleures du pays.

Après la guerre du Liban (1975-1990), les investissements importants pour reconstruire le pays se sont concentrés sur Beyrouth et les régions qui l’entourent. Dans le sud, la corruption a détourné des millions de dollars. A la fin de la guerre, la Caisse du sud, gérée par Nabih Berri (président du Parlement libanais et chef du parti Amal), a été largement détournée. La région s’est développée, mais pas équitablement, et elle souffre de la corruption. Elle n’a pas été bien administrée par les partis qui dominent cette partie du pays.

Néanmoins, il est vrai que cette région a particulièrement souffert des guerres avec les bombardements israéliens successifs. Même après la guerre du Liban terminée en 1990, le sud-Liban n’a pas connu de répit. Il y a eu les attaques israéliennes en 1993, en 1996, en 2006, et aujourd’hui. Le sud-Liban est constamment épuisé, il a été à maintes reprises reconstruit.

Peut-être plus que dans d’autres pays, il semble difficile de parler d’une « opinion libanaise ». Les divisions sont profondes sur l’engagement du Hezbollah, le rapport à la nation, les relations avec Israël, la question palestinienne. Sur quels thèmes se structurent les divisions libanaises aujourd’hui ?

La division autour du Hezbollah structure largement la société libanaise.
Jusqu’en 2000, année du retrait israélien du sud-Liban, le Hezbollah pouvait justifier sa présence et son armement par la résistance contre Israël. Les accords de Taëf stipulaient qu’une résistance civile pouvait prendre les armes contre l’occupation israélienne. Mais depuis 2000, depuis l’application des résolutions 425 et 426, nous savons que l’affaire des fermes de Chebaa a été instrumentalisée par le Hezbollah, avec pour objectif de garder ses armes. Le Hezbollah a refusé d’appliquer les résolutions 1701 et 1559, il a été soutenu par Téhéran pour le faire, car l’Iran a voulu un pied à terre en Méditerranée. Le Hezbollah est le proxy iranien par excellence, l’Iran ne voulait donc pas voir l’armée libanaise se déployer au sud-Liban.

Depuis 2000, le Hezbollah est donc au centre des clivages de la société libanaise. Les indépendantistes, prédécesseurs du 14-mars, réclamaient qu’il mette fin à ses actions armées, qu’il puisse se fondre au sein de l’armée libanaise ou qu’il remette son armement aux soldats libanais.

Après le départ de la Syrie en 2005, qui occupait jusqu’alors le Liban, les critiquent se sont renforcées, cela a créé un clivage supplémentaire. A cela s’est ajouté l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafiq Hariri en 2005, pour lequel des membres du Hezbollah ont été jugés responsables par un tribunal international soutenu par l’ONU. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la guerre en Syrie. En 2013, le Hezbollah commence à soutenir militairement le régime de Bachar Al-Assad, dans le but annoncé d’empêcher Daesh d’entrer au Liban. Le rôle régional de ce parti politique pose problème, pourtant, s’il arrivait à se « libaniser », à se replier vers l’intérieur, il pourrait rester puissant, du fait de son nombre important de partisans.

Le Hezbollah se présente comme résistance alors qu’il a été imposé comme telle par les Iraniens et les Syriens. Aujourd’hui, il ne fait plus l’unanimité chez une majorité de Libanais, qui sont opposés à sa branche militaire. Peut-être qu’avec son affaiblissement pendant cette guerre, le Hezbollah connaîtra le même sort que son allié Amal et deviendra « normal », un parti comme les autres.

Le Hezbollah dominait jusqu’à aujourd’hui la vie politique libanaise, l’équilibre des forces est-il en train de changer ?

Pendant vingt ans, le Hezbollah a eu un poids prédominant au Liban, bloquant les élections législatives, la présidentielle, la formation de gouvernements, faisant chuter les gouvernements. Avec un tiers de députés au Parlement, il a réussi à bloquer le pays.

Mais avec la guerre, cette domination est remise en question. Comment ? Impossible à dire pour le moment. A l’heure actuelle, on ignore ce qu’il reste du Hezbollah. Les cadres du premier et du second cercle n’existent plus, il reste ceux du troisième cercle, qu’on ne connaît pas. On ignore s’ils auront le même charisme que Hassan Nasrallah ou que son remplaçant, Hashem Safieddin. Le numéro 2 du Hezbollah, Naim Qassem, n’est pas charismatique. La guerre est en train de changer le rôle et le visage du Hezbollah au Liban.

Publié le 17/10/2024


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


Christian Taoutel est historien, directeur du département Histoire et Relations Internationales de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.


 


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