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Diplômée de l’Institut d’Etudes politiques de Paris et historienne de formation, Chantal Verdeil est spécialiste d’histoire religieuse et travaille plus particulièrement sur les provinces arabes de l’Empire ottoman et les chrétiens d’Orient. Lors d’un séjour de trois ans au Liban (2000-2003), elle a rédigé une thèse sur les missionnaires jésuites au pays du Cèdre. Depuis son retour en France, elle enseigne l’histoire du Moyen-Orient à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisation Orientale).
Au cours d’un entretien au Salon du Livre de Beyrouth, elle nous emmène à la rencontre des chrétiens d’Orient.
Au XIXème siècle, l’Orient désigne essentiellement l’Empire ottoman. Dans toute la première partie de ce siècle, il s’agit d’un espace encore largement européen (qui englobe les Balkans) : les chrétiens d’Orient sont donc également les chrétiens d’Europe orientale. Si on regarde par exemple l’Œuvre d’Orient, association qui s’est créée en 1856 (après la guerre de Crimée) pour venir au secours de ces chrétiens d’Orient, elle récolte aussi bien des fonds pour ceux de Bulgarie que pour les chrétiens d’Irak ou de Syrie. Ce n’est que par la suite, lorsque l’Empire ottoman perd ses provinces européennes, que le terme prend le sens qu’on lui connaît. On entend aujourd’hui par chrétiens d’Orient les chrétiens qui vivent de l’Iran à l’Egypte ou dans un sens plus large jusqu’en Inde. Ce terme peut en effet désigner les chrétiens qui vivent dans des régions très éloignées du monde arabe, mais historiquement cela s’explique car leurs Eglises sont nées en Orient (comme toutes les Eglises d’ailleurs !) et qu’elles ont leurs propres patriarche et leurs propres rites.
C’est un terme qui permet de distinguer les chrétiens du reste de la population selon une perspective très répandue (et très ancienne) en Europe : on classe les populations suivant leurs religions. On sépare les chrétiens, les musulmans, les juifs puis on divise dans ces catégories ceux qui sont soumis à Rome de ceux qui ne le sont pas pour les chrétiens, les sunnites et les chiites avec toutes les branches et les sous-branches pour les musulmans. C’est une façon de voir l’Orient. Dans l’imaginaire occidental, il y a l’idée que cet Orient est fondamentalement religieux.
Les Eglises orientales sont très diverses et parfois rivales ou opposées. Au XIXème siècle, les missionnaires cherchent même parfois à « convertir » les chrétiens d’une Eglise à l’autre.
Historiquement, un mouvement d’unification se met en place dans le second XXème siècle. En 1974 est créé le Conseil des Eglises du Moyen-Orient que les Eglises catholiques orientales rejoignent en 1990. Un an plus tard, au lendemain de la guerre du Golfe et de la guerre du Liban, les sept patriarches orientaux se sont réunis au Liban et ont fait une déclaration importante qui appelle notamment à l’unité des chrétiens du Moyen-Orient.
Depuis les années 1950, on appelle à l’union des chrétiens mais c’est un ensemble qui reste profondément divisé. Il existe en fait un double mouvement, d’une part un rapprochement est tenté, d’autre part beaucoup d’Eglises ont connu ou connaissent encore un véritable renouveau qui a renforcé leur identité propre. Le discours officiel gomme souvent ces divisions, soit parce qu’il met en avant une unité souhaitée, soit parce que certains chrétiens parlent au nom de tous les autres. Au Liban, Etat construit à l’origine comme un refuge pour les chrétiens, les catholiques libanais parlent au nom des chrétiens d’Orient mais leur discours est en fait très centré sur le maronitisme.
En Occident on a parfois gardé une image plus complexe. L’Œuvre d’Orient laisse une place à toutes les Eglises orientales. Mais globalement, les chrétiens d’Orient sont perçus comme des populations menacées parce qu’elles vivent dans un environnement majoritairement musulman.
La notion de minorité est remise en question par beaucoup d’historiens quand on parle des chrétiens dans l’Empire ottoman. En fait, ce concept voudrait dire qu’il y a des citoyens qui ont statut minoritaire or, dans l’Empire ottoman, il n’y a pas de citoyen et pas de statut codifié et immuable des chrétiens.
Avec les reformes du XIXème siècle, l’Empire supprime progressivement les différentes formes de discrimination à l’égard des chrétiens. A partir de ce moment-là, les chrétiens connaissent une grande expansion. Cette expansion est accompagnée par les missionnaires qui créent des écoles et donnent à certains les moyens de trouver des emplois en tant que journalistes, ingénieurs, médecins ou professeurs. Leur essor est économique mais aussi démographique et se traduit, depuis le Liban, par une première vague d’émigration. C’est une période qui apparaît un peu comme un âge d’or, Henry Laurens parle à ce propos du « moment levantin », caractérisé par une société cosmopolite et occidentalisée. Toutefois, ce mouvement ne va pas sans violences comme en témoignent notamment les massacres de 1860 au Mont-Liban et à Damas, puis, à une toute autre échelle, le génocide des Arméniens pendant la Première Guerre mondiale.
Ensuite, globalement, depuis les années 1960, au-delà des différences qui existent entre les pays, ce mouvement d’expansion s’est ralenti. Le nombre des chrétiens diminue et ils ont davantage de mal à trouver leur place dans les sociétés du Moyen-Orient. Cela peut s’expliquer par la transition démographique qui s’achève chez les chrétiens quand les populations musulmanes connaissent une très forte croissance. Il faut aussi prendre en compte les difficultés économiques et les conflits qui agitent la région : avec la guerre de 1967, celle du Liban, la guerre Iran-Irak, la guerre du Golfe ou encore l’invasion américaine en Irak depuis 2003, l’émigration s’est accentuée et inquiète les autorités ecclésiales. Par exemple, en Israël et dans les Territoires occupés, on estime qu’il y a aujourd’hui 1,5 % de chrétiens alors qu’ils représentaient 10% de la population il y a un siècle.
La question de la protection revient beaucoup avec les révoltes arabes et le débat est très intense aujourd’hui. On cherche à savoir s’il faut soutenir les dictatures protectrices ou bien se lever contre les régimes avec le risque que leur succèdent des pouvoirs « islamistes » très défavorables aux chrétiens.
Cette protection n’est pas une solution mais il faut revenir aux fondements de l’histoire : quand on regarde sur la longue durée, déjà sous l’Empire ottoman, les chrétiens cherchaient la protection politique et se jouaient des différentes autorités. Si un consul n’était pas favorable, on allait en voir un autre ou on se tournait vers le pacha ottoman. Cette protection est très ancrée dans les communautés.
Le problème bien sûr est que cette protection limite la liberté des chrétiens qui acceptent de ce fait des régimes dictatoriaux : ils sont protégés mais doivent se taire. Ils n’ont pas de liberté politique (comme le reste de la population). Samir Frangié comme d’autres historiens et analystes estiment finalement que cette protection est mortifère. Elle est liée au sentiment de peur et de minorité et il faut, selon eux, que les chrétiens cessent d’avoir peur pour pouvoir s’émanciper. Dans ce but, ils doivent prendre part aux révoltes qui agitent le monde arabe.
On comprend toutefois cette peur : si l’on voit les violences perpétrées en Irak ou en Egypte, la situation peut sembler inquiétante. Un journaliste égyptien a bien résumé cette situation dans un article intitulé « Si j’étais copte » paru dans Al Akhbar en 2010 où il explique combien il est difficile aujourd’hui d’être Egyptien sans être musulman.
En fait la situation des chrétiens est difficile depuis longtemps, depuis bien avant les révolutions. Ces dernières ont simplement mis en lumière des réalités qui existaient déjà et sont les fruits de longs mécanismes.
Notre projet était de retracer l’histoire du Moyen-Orient de la fin de l’Empire ottoman aux révolutions de 2011. Nous avons choisi pour ce faire des textes qui sont des sources pour les historiens et qui, pour la plupart, ont été écrits par des « Orientaux ». Cet ouvrage se compose de deux grandes parties, l’une, plus classique, sur l’histoire politique, avec des textes de référence comme le discours de Nasser au moment de la nationalisation du Canal de Suez, l’autre plus proche des sociétés où l’on trouve des textes sur la religion, l’économie, la démographie, la vie culturelle et la guerre ce qui nous a paru important étant donné la place que tiennent les conflits dans l’histoire très contemporaine du Moyen-Orient.
Chaque texte est présenté dans une courte introduction pour en faciliter la lecture. Notre volonté était mettre en évidence la diversité de ce Moyen-Orient et de ne pas se contenter de l’histoire politique pour décrire aussi la vie des populations : certains textes sont touchants (notamment celui sur l’écolier égyptien qui passe son certificat d’étude et dont tout le quartier prie pour la réussite), d’autres sont plus dramatiques, comme ceux sur des femmes répudiées.
Cet ouvrage peut se lire de multiples manières, en suivant l’ordre chronologique ou dans la désordre. Cela permet de pénétrer de différentes façons dans l’histoire du Moyen-Orient. Les extraits, je l’espère, susciteront l’intérêt du lecteur et l’inviteront à aller plus loin pour lire le texte dans son intégralité où les ouvrages dont ils sont issus. Avec Anne-Laure Dupont et Catherine Mayeur-Jaouen, nous préparons actuellement une histoire du Moyen-Orient contemporain (XIXe-XXIe siècle) qui devrait compléter ce recueil.
Chloé Domat
Chloé Domat est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et habite actuellement à Beyrouth. Elle a collaboré avec différents médias dont iloubnan.info, France 24, Future TV.
Chantal Verdeil
Diplômée de l’Institut d’Etudes politiques de Paris et historienne, Chantal Verdeil est maître de conférence en histoire du Moyen-Orient contemporain à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales). Ses travaux ont d’abord porté sur les missions chrétiennes dans les provinces arabes de l’Empire ottoman et, au-delà, en terre d’islam. Sur ce sujet, elle a récemment publié La Mission jésuite du Mont-Liban et de Syrie (1830-1864), Paris, Les Indes savantes, 2011, et achève actuellement, une anthologie de textes missionnaires en terre d’islam, à paraître en 2012 aux éditions Brepols. Elle est aussi l’auteur, en collaboration avec Bernard Heyberger de l’ouvrage, Hommes de l’entre-deux. Parcours individuels et portraits de groupes sur la frontière de la Méditerranée (XVIe – XXe siècle), Paris, Les Indes savantes, 2009, et en collaboration avec A-L Dupont et C. Mayeur-Jaouen, Le Moyen-Orient par les textes, Paris, A. Colin, 2011.
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