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Bernard Heyberger, agrégé d’histoire, titulaire d’une licence d’arabe, ancien membre de l’Ecole française de Rome, est directeur d’études à l’Ecole des hautes Etudes en sciences sociales (EHESS) et à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE, Section des Sciences Religieuses). Il a dirigé l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman (IISMM) à l’EHESS de 2010 à 2014.
Il a publié en 2013 Les chrétiens au Proche-Orient. De la compassion à la compréhension, Payot Rivages, récompensé par le prix littéraire de l’Oeuvre d’Orient.
Il est par ailleurs l’auteur de : Les chrétiens du Proche-Orient au temps de la Réforme catholique (XVIIe – XVIIIe s.), Rome, Ecole Française de Rome, 1994, rééd. 2014 ; Hindiyya, mystique et criminelle 1720 – 1798, Paris, Aubier, 2001 (traduit en arabe et en anglais).
Les massacres du XIXe siècle et du XXe siècle avaient peut-être des points communs avec ce qui se passe de nos jours :
– la mobilisation du référent religieux islamique, pour des mobiles et des objectifs de pouvoir qui n’ont pas forcément grand chose à voir avec la religion. Ce qui peut se traduire par des gestes symboliques : attaques contre les églises, destruction d’images, de croix, de cloches.
– les chrétiens ont été ciblés parce qu’ils représentaient aux yeux de ceux qui les attaquaient une certaine modernité liée à l’Occident, et dont ils pensaient qu’elle est tournée contre eux.
– Mais les massacres de 1915 se sont caractérisés par leur planification, ce qui fait qu’on leur reconnait le caractère de génocide. La destruction des Arméniens s’est faite suivant un plan déterminé, avec des consignes venant de haut. Les responsables de cette « ingénérie » n’étaient pas des religieux obscurantistes, mais des officiers modernistes, se réclamant d’une conception darwiniste et raciste. Ce n’est pas l’idéologie islamiste actuelle. Mais le dossier publié par le Spiegel sur le leader de « Daesh » indique une ressemblance avec ce type de pensée rationnelle.
Il faut un peu se garder d’une vision globale des chrétiens du Moyen-Orient. C’est pour cela que j’évite l’expression courante « chrétiens d’Orient », qui laisse entendre qu’ils sont tous dans la même situation et qui d’autre part, depuis son origine (les massacres de 1860) est connotée avec la persécution et l’aide humanitaire. Donc, d’un pays à l’autre, la situation est quand même très différente. Et ce n’est pas qu’une question de nombre ou de proportion, mais de la place que le système leur accorde. Au Liban, ils sont la plus forte proportion (un tiers environ), mais surtout le système constitutionnel leur accorde une place prépondérante dans les institutions. Actuellement, leur place dans le système politique est de plus assurée par le fait que chiites et sunnites s’affrontent dans l’arène politique. Etant divisés, ils sont des deux côtés, ce qui peut avoir des avantages. En Egypte, ils sont les plus nombreux (entre 5 et 8 millions), soit entre 6 et 10 %. Mais le système politique les marginalise : la référence culturelle dominante et presque exclusive est le sunnisme. En Jordanie, ils sont peu nombreux, et une faible proportion, mais le fonctionnement de la monarchie hachémite, qu’on a appelé « un autoritarisme pluraliste », leur reconnaît une place dans la politique et la société. En Turquie, leur nombre et leur proportion sont insignifiants, mais ils occupent une place non négligeable dans les débats actuels sur le pluralisme, et sur les enjeux mémoriels dans la société turque.
Notez enfin que le nombre et la proportion de chrétiens est extrêmement forte et en croissance dans les pays du golfe et en Arabie saoudite, mais il ne s’agit pas de chrétiens autochtones. Mais la question du traitement des chrétiens dans ces pays est une question importante. On ouvre constamment des églises au Koweït, Qatar, Emirats.. Par contre, l’Arabie, qui compte le plus grand nombre de chrétiens non autochtones, ne leur accorde aucun droit. Cela peut-il encore durer longtemps ?
Ici encore, cela dépend des pays. En Palestine / Israël, les chrétiens ne sont plus qu’une infime minorité, mais les institutions chrétiennes, liées à la « terre sainte » (hôpitaux, écoles, activités touristiques liées au pèlerinage) y occupent une place sans rapport avec le nombre de chrétiens encore présents. Dans l’ensemble, l’influence chrétienne, à travers ce type d’institution, dépasse très souvent la place que les chrétiens occupent du point de vue démographique. En Syrie, les associations philanthropiques et humanitaires chrétiennes, souvent liées à des réseaux transnationaux, ont été très actives sous Bachar al-Assad. Elles affichaient un caractère non-confessionnel, et accordaient aussi leurs services à des non-chrétiens, mais en réalité, comme tout en Syrie, c’était la façade « laïque », elles avaient un caractère confessionnel très marqué. Au Liban, même chose.
Il faut se méfier de la compassion de l’Occident pour les « chrétiens d’Orient ». La « protection des minorités » a été un des principaux arguments de l’interventionnisme occidental dans l’Empire ottoman, et a laissé de mauvais souvenirs, y compris chez les chrétiens, qui ont parfois payé cette « protection » très cher, notamment lorsqu’elle se traduisait par des promesses non tenues.
Il faut bien sûr porter secours aux populations dans la détresse, et secourir les chrétiens agressés ou menacés à cause de leur foi. Mais plus globalement, il ne faut surtout pas transformer les violences actuelles en combat eschatologique de la chrétienté contre l’islam. Par contre, il faut poser la question du pluralisme, du respect de toutes les minorités en général, dans la région. Il faut se battre pour la démocratie et le pluralisme.
Les djihadistes ont un fantasme de pureté religieuse, qui s’atteindrait par la purification violente : élimination des chrétiens, mais aussi des « mécréants » à l’intérieur de l’islam. La haine paranoïaque de l’Occident est une chose presque universellement partagée au Proche-Orient. Elle vient de loin, elle remonte aux luttes coloniales, et doit beaucoup à la lancinante question de la Palestine, et au soutien inconditionnel de l’Occident à Israël. Elle a bien sûr été alimentée par le désastre de la politique de Bush.
S’en prendre aux chrétiens, c’est une façon d’afficher la lutte qu’on est censé mener contre l’Occident. Lorsqu’en Irak, l’évêque chaldéen de Mossoul a été enlevé par des malfrats « islamistes », ils ont voulu lui faire avouer qu’il était un suppôt des Américains. Ils ont été très étonnés de son patriotisme irakien et de sa détestation de l’Amérique.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
Bernard Heyberger
Bernard Heyberger, agrégé d’histoire, titulaire d’une licence d’arabe, ancien membre de l’Ecole française de Rome, est directeur d’études à l’Ecole des hautes Etudes en sciences sociales (EHESS) et à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE, Section des Sciences Religieuses). Il a dirigé l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman (IISMM) à l’EHESS de 2010 à 2014.
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