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Entretien avec Aurélie Daher – Le point sur le Hezbollah

Par Aurélie Daher, Mathilde Rouxel
Publié le 10/03/2015 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

Aurélie Daher

Avec son engagement en Syrie et en Irak, ne peut-on pas dire que le Hezbollah se détourne de sa raison d’être, la résistance à Israël sur le territoire national ?

La Résistance Islamique au Liban (RIL), organisation militaire-mère du Hezbollah, a en effet été conçue comme une force armée dédiée à défendre le territoire national libanais contre la menace israélienne, qu’il s’agisse des vingt deux ans d’occupation du Liban-Sud, entre 1978 et 2000, ou d’une offensive de grande envergure comme la Guerre des 33 jours à l’été 2006. L’Intervention de la RIL en Syrie apporte effectivement une inflexion dans sa trajectoire, la RIL se battant pour la première fois de son histoire en dehors de son territoire national. Dans la logique du Hezbollah, il ne s’agit toutefois pas d’une entorse à sa raison d’être, dans le sens où la RIL est initialement intervenue en Syrie moins pour empêcher la chute de Bachar al-Assad que pour se garantir un espace frontalier sécurisé en territoire syrien, qui lui permettrait deux choses. La première est de protéger les zones libanaises chiites, où le Hezbollah est implanté, contre le danger jihadiste sunnite en provenance des zones syriennes frontalières. La seconde est d’organiser dans cet espace sécurisé le maintien des différents privilèges dont le Hezbollah et la RIL jouissent grâce à leur alliance avec le régime des Assad. Dans sa logique, la direction de la RIL estime que pour continuer son combat défensif contre Israël, la RIL doit être engagée dans le conflit syrien, pour se maintenir et maintenir ses capacités logistiques et matérielles. Il s’agirait donc d’une conséquence logique, non d’une contradiction.

Comment mesurer la peur des Libanais face à l’État islamique ?

La peur est bien là. Au sein des chiites, dont les zones au Liban jouxtent la frontière syrienne, source de menace, et au sein des chrétiens. Un indicateur de cette peur est par exemple l’évolution du discours chrétien au sein du 14 Mars anti-Assad et anti-Hezbollah, comme celui du chef des Forces Libanaises Samir Geagea, qui tenait au début du Printemps Arabe des propos sereins quant à l’éventualité d’une menace jihadiste sunnite, et qui aujourd’hui n’ose plus soutenir l’islam politique comme il le faisait au début. Des témoignages filtrent dans la presse sur la confusion qui règne au sein du public des Forces Libanaises, certains exprimant leur sentiment que les chrétiens alliés à Michel Aoun - et donc au Hezbollah - sont mieux protégés. Autre indicateur, la position de la famille Gemayel, deuxième pôle chrétien du 14 Mars, qui dès le début, a préféré ne pas soutenir l’insurrection syrienne. Enfin, on pourra citer le patriarche maronite lui-même, Mgr Boutros Raï, qui après avoir critiqué au départ l’intervention de la RIL en Syrie, disait finalement à l’automne dernier : « Sans le Hezbollah, l’Etat islamique serait rendu à Jounié (ville de la banlieue chrétienne de Beyrouth) ».

L’État islamique mobilise-t-il des opposants au Hezbollah au sein même du Liban ?

Oui, tout à fait. Au sein de la communauté sunnite, l’Etat islamique semble séduire certains. Il y a visiblement le sentiment que l’Etat islamique représente un pôle politique et militant plus crédible que le Courant du Futur (parti des Hariri), plus apte a à la fois tenir tête au Hezbollah et rendre à la communauté sunnite la préséance politique dont elle jouissait au temps de la tutelle syrienne (1990-2005).

Quelle est l’influence du Hezbollah dans les régions les plus touchées par l’afflux des réfugiés syriens en territoire libanais ?

Les réfugiés syriens sont aujourd’hui disséminés sur l’ensemble du territoire libanais. Initialement, ils ont commencé à s’installer dans les zones proches de la frontière libano-syrienne, donc souvent en territoire chiite. Mais cela n’est plus vraiment vérifié. Les zones chiites restent à forte concentration de réfugiés, certes, zones où le Hezbollah est implanté et avec lequel les relations ne posent pas de problème particulier. Mais on peut également citer la zone de Ersal, dans la Békaa, zone à forte concentration également, mais essentiellement sunnite.

Le Hezbollah défend-il les groupes de réfugiés pro-régime lors des affrontements qui les opposent, sur le territoire libanais, aux révolutionnaires exilés pour fuir la répression du régime ? Quel impact sur la sécurité interne et la stabilité du pays ?

Non, pas vraiment. Il y a effectivement des groupes armés syriens en territoire libanais, installés parmi les populations réfugiées. Les accrochages n’ont pas vraiment lieu entre groupes syriens, mais plutôt entre l’armée libanaise et les groupes anti-Assad, jihadistes essentiellement. La RIL peut avoir ses propres face-à-face avec le même type de groupes, mais plutôt dans le cadre d’attaques réglées menées par des combattants basés en Syrie et qui de temps en temps, passent la frontière pour tenter une percée ou une attaque contre le Hezbollah.

Quelle est l’opinion majoritaire sur la question du Hezbollah en 2015 ? Quelle influence a l’évolution du procès Hariri sur l’opinion populaire libanaise ?

A chacune des élections parlementaires qui ont eu lieu au Liban depuis le retrait syrien, donc en 2005 puis en 2009, le 14 Mars anti-Assad et anti-Hezbollah a remporté la majorité des sièges au Parlement. Mais il faut bien comprendre que cette majorité parlementaire ne reflète pas la majorité de l’opinion libanaise, puisqu’elle résulte de lois électorales montées sur un système de quotas communautaires, conformément au confessionnalisme politique qui régit le système institutionnel du pays. Il est en effet apparu, à chacune de ces élections, que si les candidats du 14 Mars ont effectivement remporté la mise au Parlement, la majorité des voix exprimées, dans une logique one man one vote, est revenue au 8 Mars. L’opinion publique libanaise est donc plus favorable au Hezbollah que défavorable. Et le conflit syrien, aux portes du Liban, avec la menace incarnée par l’Etat islamique, renforce la position du Hezbollah sur la scène interne en le faisant paraître comme la seule force armée qui peut protéger le pays et ses minorités non sunnites.

Le procès des assassins présumés de Rafic Hariri n’a malheureusement aucun poids dans l’évolution de la scène politique libanaise. Ceux qui soutenaient le Hezbollah avant son inculpation le soutiennent toujours et ceux qui le critiquaient le critiquent toujours. Le parcours réalisé par la Commission d’enquête a par ailleurs connu trop d’irrégularités pour réussir à convaincre une majorité de Libanais de l’intégrité des enquêteurs. La Commission d’enquête, à la publication de l’acte d’accusation, a d’ailleurs dès le départ reconnu qu’elle ne détenait aucune preuve et que ses conclusions n’étaient construites que sur des déductions circonstancielles. En particulier, la question des appels téléphoniques, socle des conclusions de la Commission, a fait l’objet de nombreux commentaires et d’accusations de manipulations extérieures. C’est très compliqué. Mais aujourd’hui peu de personnes au Liban parient encore honnêtement sur les résultats du procès et ces résultats ne pourront de toute façon rien changer aux rapports de force sur la scène politique interne.

Quelles sont les implications, pour l’image du Parti de Dieu au Proche-Orient, de cet engagement dans ce conflit entre sunnites et chiites qui dépasse le combat originel contre Israël ?

Tout dépend de la manière dont les populations et acteurs sociaux et politiques se positionnent eux-mêmes par rapport aux révolutions. En Syrie, ceux qui soutiennent Bachar al-Assad soutiennent le Hezbollah, et ceux qui s’opposent au Président syrien s’opposent au parti. Au Bahreïn par exemple, où le régime sunnite écrase la majorité chiite, le Hezbollah reste populaire. Etc.

Saad Hariri, dans son discours-hommage à l’attentat qui a tué son père, Rafic Hariri, en 2005, a demandé le retrait des troupes de la RIL de Syrie. Deux jours plus tard, comme une réponse, Nasrallah annonce la présence de ses combattants en Irak. Quel impact de cette mobilisation régionale sur la politique nationale ? Où en sont les concertations pour l’organisation de nouvelles élections présidentielles et que peut-on présager aujourd’hui des discussions entre le Courant du Futur et le Hezbollah ?

Il ne s’agit pas d’une réponse. Le 14 Mars, dont le Courant du Futur de la famille Hariri, célèbre tous les ans depuis 2005 l’anniversaire de l’assassinat de l’ancien Premier ministre, le 14 février. Le 16 février, qui tombe donc deux jours plus tard, est célébré quant à lui par le Hezbollah depuis 1985, année du premier anniversaire de l’assassinat du cheikh Raghib Harb, un clerc qui avait fait de la résistance contre l’occupation israélienne. Les deux leaders - Hariri et Nasrallah - ont donc l’habitude de prononcer des discours à ces deux dates tous les ans. Une demande de retrait de la RIL de Syrie est régulière dans les discours du 14 Mars, rien de nouveau donc à entendre Saad Hariri l’évoquer à nouveau dans son discours.

Le rapport de force qui existe aujourd’hui sur l’échiquier national libanais s’appuie sur davantage que les rapports de force régionaux. Pour les raisons que j’ai évoquées auparavant, la crise syrienne donne l’avantage au sein de la population libanaise au 8 Mars. Mais elle n’a pas de réel pouvoir quant à une modification des rapports de force entre acteurs politiques. Le Hezbollah continue d’avoir l’avantage qu’il a depuis janvier 2011, date à laquelle la majorité des sièges au Parlement est revenue au 8 Mars, rien n’a changé à ce niveau.

Les discussions entre le Courant du Futur et le Hezbollah ne semblent pas avoir encore abordé la question présidentielle, qui est en fait actuellement discutée par Samir Geagea et Michel Aoun, les deux principaux leaders maronites du pays. Il faudra probablement attendre que les différents sponsors régionaux des deux camps - Iran, Syrie, Arabie saoudite, Qatar -, qui poussent chacun dans un sens, se décident à permettre un déblocage de la situation. En attendant, quelques avancées positives ont été rendues possibles par le dialogue Hezbollah-Courant du Futur, notamment en termes d’organisation d’une politique de sécurité plus efficace dans les zones à problèmes, comme dans certaines parties de la Békaa.

Une telle mobilisation hors du territoire libanais ne démontre-t-elle pas la justesse de l’image d’un Hezbollah sous l’influence de ses alliés syriens et iraniens ?

En fait, non. Tout d’abord, cette intervention de la RIL en Syrie ne semble pas s’être faite sur directive iranienne, mais sur une volonté de la direction de la RIL elle-même de s’investir dans le conflit voisin. Bien sûr, cela nécessite un feu vert iranien. Mais l’idée semble initialement libanaise. Ce qui explique la visite de Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, en Iran au printemps 2013, quelques semaines avant la bataille de Qusayr, qui marque le vrai début de l’intervention de la RIL en Syrie. Ensuite, comme je l’ai expliqué, la RIL est intervenue dans le conflit syrien avant tout pour défendre ses propres intérêts. Il faut bien comprendre que pour l’Iran comme pour le Hezbollah, Bachar al-Assad n’est qu’un moyen, pas une fin. En outre, et tout aussi important, l’aide apportée par la RIL et l’Iran au régime syrien les place désormais en position de force par rapport à Damas. Bachar al-Assad est désormais l’obligé du Hezbollah, et non le Hezbollah au service du régime syrien.

Comment envisager l’avenir du Parti de Dieu, affaibli par cette situation de crise en Syrie et la baisse des soutiens financiers de l’Iran, qui favorise aujourd’hui ses recherches sur le nucléaire ?

Il n’y a rien qui indique que le Hezbollah ressorte affaibli du régime syrien - bien au contraire. Comme il n’y a rien qui indique qu’il y ait une baisse des soutiens financiers iraniens. Uniquement des spéculations occidentales inspirées par l’évolution des prix du pétrole. Sur le terrain, rien n’indique que la RIL est moins soutenue par l’Iran qu’auparavant. La crise syrienne au contraire booste le Hezbollah. Indéniablement, les combattants de la RIL obtiennent les succès escomptés en Syrie. Et le nombre des combattants morts au combat est, selon les observations sur le terrain, nettement inférieur aux projections des médias. Sans parler du fait que l’enrôlement dans les rangs de la RIL est toujours aussi attractif aux yeux des jeunes chiites libanais. L’avenir du Hezbollah ne devrait donc pas inquiéter ses sympathisants. Sa place sur l’échiquier politique libanais est intacte, sa popularité se maintient dans les milieux qui l’ont régulièrement soutenu.

L’entrée de l’Occident dans un combat contre l’État islamique amène à reconsidérer des alliances avec Bachar al-Assad. La RIL a été inscrite sur la liste européenne des organisations terroristes après son intervention en territoire syrien en 2013. Dans la perspective d’un soutien au régime, quelle sera la position de l’Union Européenne face à la milice libanaise ?

Excellente question. Il a fallu l’unanimité des votes européens pour inscrire la RIL sur la liste des organisations terroristes de l’Union Européenne, il faudra probablement à nouveau l’unanimité pour la désinscrire. Or, il y a fort à parier que les Etats-Unis et Israël, qui ont travaillé pendant des années à convaincre l’Union Européenne d’inscrire le Hezbollah sur sa liste des organisations terroristes, feront le nécessaire auprès des capitales européennes pour que la RIL ne soit pas réhabilitée. La RIL, tout en se battant sur le terrain contre l’Etat islamique et Jabhat al-Nusra, et donc de facto aux côtés de l’Occident, devra très vraisemblablement accepter de rester condamnée sur le papier. La situation paraîtra d’autant plus contradictoire qu’à en croire des rapports de l’ONU, cela fait près d’un an que l’Etat d’Israël de son côté, semble travailler étroitement avec Jabhat al-Nusra dans le Golan.

Publié le 10/03/2015


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


Aurélie Daher est titulaire d’une thèse en science politique de Sciences Po Paris. Elle a été chercheur à l’Université d’Oxford et a enseigné à l’Université de Princeton. Elle travaille essentiellement sur la politique libanaise, l’alliance syro-iranienne et le chiisme politique.
En 2014, elle a publié Le Hezbollah, Mobilisation et Pouvoir aux éditions PUF, Paris.


 


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