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Entretien avec Akram Kachee – Analyse sur l’opposition syrienne

Par Akram Kachee, Olivier de Trogoff
Publié le 16/03/2015 • modifié le 30/03/2015 • Durée de lecture : 6 minutes

Comment a évolué l’opposition syrienne avant 2011 ?

L’opposition syrienne commence à s’affirmer à la fin du règne d’Hafez el-Assad. Lors de l’arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad en 2000 a lieu le printemps de Damas. Des rencontres informelles ont lieu pendant près d’un an, afin d’envisager une transition démocratique dans le pays. Mais les contestations sont finalement réprimées par le nouveau président.

La déclaration de Damas en octobre 2005 inaugure l’unification de l’ensemble des partis d’opposition syriens, qu’ils soient religieux, laïcs ou kurde. Un véritable programme politique commun est alors élaboré. Ce mouvement inédit échoue cependant moins d’un an plus tard, avec le départ des Frères musulmans de l’alliance.

Dans la continuité des printemps arabes de 2011, L’opposition syrienne se relève. Le mouvement qui manifeste au début de la révolte se veut pacifiste, anti-communautariste et opposé à toute influence étrangère en Syrie. Les acteurs sont réunis autour d’un seul slogan : « ça suffit ». Il n’y a pas encore d’idéologies mobilisatrices. Celles-ci vont se répandre au sein de la société syrienne au fur et à mesure de l’installation du conflit armé.

Pourquoi et comment l’opposition s’est-elle divisée ?

Très vite, le débat sur la prise des armes pour faire face à un régime de plus en plus violent fait rage au sein de l’opposition. Des dualités apparaissent alors au sein de l’opposition entre opposants de l’intérieur et de l’extérieur, laïcs et islamistes. On voit alors émerger deux oppositions distinctes, en Syrie et à l’extérieur.

Le comité de coordination des forces démocratiques nationales de l’intérieur est créé au sein même du territoire syrien. Il a pour ambition de devenir une plate-forme qui apportera un contenu politique à l’opposition. Le comité de coordination revendique « les trois NON ». Non à l’intervention étrangère, Non à la violence et Non au communautarisme. Ses membres préfèrent négocier avec le régime et prônent une transition démocratique par étape en évitant l’affrontement armé direct.

L’opposition de l’extérieur est quant à elle représentée par le Conseil National Syrien de transition. Ce conseil souhaite la chute immédiate du régime de Bachar el-Assad et fait très vite appel à l’intervention étrangère armée. Il fonctionne vite assez mal car des alliances incohérentes se forment en son sein.

Des questions divisent les opposants et empêchent la formation d’un consensus. La laïcité voulue par certains est rejetée catégoriquement par les islamistes. La question kurde est elle aussi sujet à tension. Les Kurdes finiront par quitter l’opposition syrienne pour former leur propre comité de coordination kurde. La place de la donnée confessionnelle est forte, notamment sous la pression des Frères musulmans. Les oppositions sont visibles entre les oppositions intérieure et extérieure, mais aussi au sein même de ces oppositions.

Les fractures apparaissent au grand jour durant les deux rencontres de Genève au début de l’année 2012, au cours desquelles aucun accord n’est trouvé. La création d’un gouvernement syrien de transition et d’un forum démocratique se solde par un échec car ils ne parviennent pas à atténuer les divisions au sein des opposants au régime de Bachar el-Assad.

Une nouvelle occasion d’unité se présente à la fin de l’année 2012, avec la signature du pacte du Caire. Les responsables politiques parviennent à rédiger ensemble un programme clair de transition, qui rassemble les visions et les propositions de l’ensemble des partis d’opposition. L’un des enjeux est de garder le dossier syrien dans la maison arabe et ne pas l’internationaliser. Cet accord historique cesse de vivre au bout de 8 heures, lorsque les Frères musulmans se retirent du pacte juste après l’avoir signé.

Le Conseil national de l’opposition a fini par affaiblir la résistance intérieure, qui s’est retrouvée isolée au milieu du conflit.

Le régime est pleinement parvenu à profiter de ces divisions. En outre, elles ont permis à des groupes islamistes radicaux de s’affirmer face au dirigeant alaouite. Lentement, les groupes armés ne reconnaissent plus l’opposition extérieure et s’en affranchissent.

Il est aussi possible d’affirmer que ces dissensions ont été soulignées et accentuées par un fort travail médiatique mené dans le but d’affaiblir l’opposition modérée, soutenu par le Qatar. Ainsi al-Jazeera a fermé complétement l’accès médiatique au message de l’opposition, en laissant seulement les Frères musulmans s’exprimer.

Que reste-t-il de l’opposition pacifique au régime syrien ?

Au terme des différentes discussions entre les acteurs de l’opposition, on peut dire qu’il n’y avait pas de vision claire et unificatrice. Aucun mouvement n’est parvenu à capter la masse silencieuse de la population syrienne. L’opposition extérieure a été affaiblie et a perdu en légitimité, suite à la non-intervention des forces occidentales dans le conflit, notamment après l’utilisation d’armes chimiques par Bachar el-Assad. Pour sa part, l’opposition intérieure non-violente est désormais très affaiblie et a quasiment disparu. Une partie a été emprisonnée, éliminée ou a dû fuir le pays. D’autres opposants ont rejoint les groupes armés qui s’affrontent depuis plus de trois ans sur le territoire syrien.

Une opposition intérieure démocratique résiduelle existe toujours aujourd’hui. Elle est tolérée par le régime qui souhaite maintenant créer une opposition à sa mesure, pour prouver que l’opposition de l’extérieur est illégitime. Néanmoins, l’opposition alaouite modérée est totalement muselée. Elle n’a de toute façon plus aucune influence sur le déroulement du conflit. La guerre peut très bien durer encore une dizaine d’années. Une économie de guerre s’est en effet installée, et profite beaucoup à une minorité. Cette économie concerne principalement l’énergie, les transactions financières et enfin les trafics d’armes, de drogue ou d’êtres humains. Cela écarte les possibilités de paix à court terme en Syrie.

Quel a été le rôle de la diplomatie occidentale dans l’échec de la résolution pacifique du conflit syrien ?

L’exécutif du Conseil national de l’opposition syrienne a été rapidement reconnu par la scène internationale, et notamment par le Qatar et le président français Nicolas Sarkozy, comme seul représentant de la Syrie. Avec le recul, il s’agissait plus d’un soutien que d’une réelle reconnaissance à valeur juridique. Il ne sera pas suivi d’une intervention militaire.

Le choix de l’Europe et de la France a consisté à reconnaitre uniquement une branche de l’opposition, à savoir le Conseil national en coupant le dialogue avec la société civile, les militaires, etc… La France a travaillé avec un ambassadeur du Conseil national et a refusé d’avoir d’autres interlocuteurs. Ils ne sont pas revenus en arrière depuis, il y a eu une fuite en avant. Cela a contribué à diviser l’opposition intérieure et extérieure. De son côté, la France est aujourd’hui en position difficile et n’a plus d’interlocuteurs en Syrie. Pour l’instant, il est officiellement hors de question de collaborer avec le régime de Bachar el-Assad, et cela ne devrait pas changer avant les prochaines élections présidentielles de 2017.

Avec une diplomatie créative et agressive, le conflit actuel aurait pu être évité, sans pour autant avoir recours à la force. Un système de sanctions, comme celles imposées aujourd’hui à l’Iran, aurait pu être mis en place. La Russie qui soutient le régime de Bachar el-Assad subit aujourd’hui des sanctions à propos de l’Ukraine, mais aucunes dispositions n’ont été prises durant la crise syrienne pour faire pression sur les alliés régionaux et internationaux du régime de Bachar el-Assad.

Les Occidentaux ont facilement réussi à convaincre le régime de neutraliser l’arsenal chimique, mais n’ont pas pesé sur le déroulement du conflit. Ils auraient donc pu intervenir en faveur de la paix.

Comment analyser le conflit actuel ?

Il ne faut pas se limiter à l’analyse communautaire du conflit, même si elle est parfois pertinente. D’autres grilles de lecture peuvent être utilisées. Les combats actuels à Deir ez-Zor n’opposent pas les alaouites aux sunnites mais traduit plutôt des fractures socio-économiques entre le centre et la périphérie. La ligne de combat suit en effet les frontières entre quartiers riches et pauvres. Il en est de même à Alep et Idlep. On remarque aussi que la plupart des combats opposent des communautés sunnites entre elles.

La grille de lecture communautaire du conflit est réductrice et ne différencie pas communauté et communautarisme. Or, on ne peut pas dire que l’idéologie de l’Etat syrien soit alaouite. Il y a eu sunnicisation de la communauté alaouite au pouvoir, à tel point que les différences culturelles se sont beaucoup affaiblies et que d’autres fractures divisent désormais la société syrienne.

Publié le 16/03/2015


Olivier de Trogoff est étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon. Il a effectué plusieurs voyages dans le monde arabe.


Akram Kachee est chercheur associé au GREMMO, chargé de cours à l’IEP de Lyon.


 


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