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Émirats arabes unis : quelles voies de diversification économique s’offrent au pays rentier ? (2/2)

Par Justine Clément
Publié le 23/09/2021 • modifié le 23/09/2021 • Durée de lecture : 7 minutes

This picture taken on July 8, 2020 shows an aerial view of the Ain Dubai, the world’s tallest Ferris wheel, in the Gulf emirate of Dubai.

KARIM SAHIB / AFP

Lire la partie 1

A. La création d’un pôle d’attraction touristique, commercial et financier : le modèle dubaïote

Dubaï, le « moteur sans huile » des Émirats arabes unis

Les réserves de pétrole de Dubaï pourraient encore tenir une dizaine d’années, contre près de 80 ans pour Abu Dhabi. Excluant donc un développement économique trop énergivore, l’émirat décide d’investir dans le secteur tertiaire, devenant un réel pôle d’attractions au Moyen-Orient et dans le Monde. Dans les années 1975, la polarité des foyers mondiaux est organisée autour de l’Europe, de l’Amérique du Nord et de l’Asie de l’Est. Dubaï, au carrefour de l’Asie et de l’Afrique entend alors devenir un hub maritime et aéroportuaire, d’autant plus que les exportations de pétrole fleurissent sous l’impulsion de Cheikh Zayed. Le fait métropolitain [1] est aussi en plein essor, et le retard de l’urbanisme des Émirats arabes unis alerte le gouvernement fédéral. De plus, l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 et 1991 – aussi appelée première guerre du Golfe – enlève près de 4 millions de barils irakiens sur le marché du pétrole, faisant chuter le prix du baril à 28 dollars en décembre 1990, contre 40 dollars en septembre de la même année [2]. Dubaï décide dès lors de devenir un réel emporium, c’est-à-dire « un pôle d’attraction pour les voyageurs comme pour les marchandises et capitaux » [3].

Le gouvernement fédéral entend d’abord développer ses infrastructures de transport. Il finance à hauteur de 5,4 millions d’euros le développement du port de Mina al Hamriya, puis en 1979, c’est celui de Jebel Ali qui voit ses équipements améliorés. Ensuite dirigés par la Dubaï Ports World à partir de 2005, les deux ports deviennent des références en matière d’exportations – le port de Jebel Ali étant aujourd’hui considéré comme le 9ème plus grand port commercial au monde [4].

En outre, le transport aérien est investi, avec la création d’Emirates en 1985, sous l’impulsion de Cheikh Mohamed bin Rashid al-Maktoum, futur émir de Dubaï et ministre de la Défense des Émirats arabes unis. Le 25 octobre 1985, le premier vol de la compagnie est effectué entre Dubaï et Karachi, et entend resserrer les liens entre le Golfe et l’Asie du Sud. Dès l’année suivante, les premiers vols en direction de Dehli et Bombay sont organisés. En 2016, Emirates est la première compagnie du Moyen-Orient, et au niveau international, classée deuxième en matière de sécurité et confort [5]. En 1995, le revenu total du groupe est estimé à 2,772 millions de Dirhams, pour atteindre près de 109 millions de Dirhams en 2019 [6]. Pour accueillir la compagnie et développer le secteur aérien, l’aéroport international de Dubaï, construit en 1960, est agrandi à partir des années 1980 et accueille un nouveau terminal en 1998. En 2019, il est le quatrième aéroport le plus fréquenté du monde, derrière Atlanta, Pékin et Los Angeles, avec approximativement 87 millions de passagers à l’année. Suivant ce modèle prometteur, l’émirat d’Abu Dhabi entamera cette même stratégie en 2003, en créant la compagnie aérienne Etihad Airways.

Au final, cette construction d’infrastructures permet à l’émirat d’inaugurer une nouvelle ère économique, celle du tourisme, de la finance et du commerce. En 1999, l’ouverture du célèbre hôtel Burj al-Arab sur une île artificielle impulse un cycle de projets touristiques et commerciaux. En 2005, le Mall of Emirates voit le jour, avant d’être rejoint en 2008 par le plus grand centre commercial du monde, le Dubaï Mall. En 2019, Dubaï accueille près de 19 millions de touristes, secteur qui représente environ 12% du PIB émirien [7]. Ce « boum touristique » est favorisé par l’efficacité du secteur de la construction et de l’immobilier, possible grâce à l’abondance de main d’œuvre et la disponibilité des énergies. En 1997, la société Emaar Properties, qui aura la charge de la construction du Dubaï Mall et du Burj Khalifa en 2010, est créée. En 2000, c’est le groupe immobilier Nakheel Properties qui voit le jour et qui deviendra l’un des leaders de l’immobilier, en créant notamment Palm Islands, des îles artificielles résidentielles. Enfin, ces deux compagnies sont rejointes en 2002 par Damac Properties, entreprise d’immobilier de luxe, classée dans le top des « Champions de la croissance Forbes Global 2000 », en 2017. En parallèle, se lancent des entreprises de construction, comme le groupe Al Habtoor, en 1970. Au niveau national, ce secteur rapporte près de 375 milliards de Dirhams en 2012, soit 44% de l’ensemble des revenus du marché de la construction du conseil de coopération du Golfe (CGG) [8].

Enfin, les Emirats arabes unis, et plus particulièrement Dubaï, misent sur le secteur de la finance pour diversifier leur économie. Au début des années 1990, le marché financier devient plus disponible, de par le retrait de Beyrouth, alors en pleine Guerre du Liban (1975-1995) et l’absence du Koweït, alors envahi par l’Irak (1990-1991). Sans trop de concurrence, le pays réfléchit à sa stratégie de développement du secteur financier. En 2000, le Dubaï Financial Market (DFM) est créé et offre à la métropole une place de référence dans la région. En 2005, à la demande de l’émir de Dubaï, il est transformé en une société d’actionnariat publique, avec un capital de 8 milliards de Dirhams. Dès 2007, cette dernière fait son entrée en bourse et enregistre respectivement en 2011 et 2017, une capitalisation de 182 milliards et 394 milliards de Dirhams [9]. Le centre financier dubaïote est le seul à figurer dans le top 10 des marchés financiers de l’ensemble de la région Moyen-Orient, Afrique et Asie du Sud. Cette prospérité et qualité de vie permettent au pays de développer son attractivité pour les investissements directs étrangers (IDE). En 2015, le pays est au deuxième rang des plus grands récepteurs d’IDE dans la région d’Asie occidentale, juste après la Turquie. Ils représentent même, en 2014, 5% du PIB national [10].

Cependant, un modèle en proie aux crises de la globalisation

Si le secteur tertiaire est beaucoup moins dépendant des hydrocarbures que le secteur industriel, il peut cependant être touché par les crises de la mondialisation, notamment financières et sanitaires. En 2008, de nombreux ménages américains sont dans l’incapacité de rembourser leur crédit, accordé plus tôt par les banques sans vérification de leur solvabilité. En 2009, la Banque Centrale Américaine décide d’augmenter le taux directeur, impactant directement le taux d’intérêt des crédits dits subprimes. Ne pouvant récupérer les crédits accordés, les banques saisissent de nombreux logements, inondant le marché de l’immobilier, qui à son tour, s’effondre. Les marchés financiers, qui avaient racheté les crédits subprimes sous forme de titres, font rapidement faillite. Cela conduit à une crise financière puis bancaire, qui de par la globalisation des flux, impacte grandement le reste du monde. En 2008, l’émirat de Dubaï s’exprime sur un possible défaut de paiement dans le domaine de l’immobilier, créant la panique sur les marchés financiers mondiaux. En septembre 2008, la bourse de Dubaï perd près d’un quart de sa valeur. Pour amortir ce choc et permettre à l’émirat de Dubaï de continuer sa diversification économique, la Banque Centrale des Émirats arabes unis débloque près de 13,6 milliards de dollars [11]. La stratégie de diversification économique de l’émirat, enclenchée à la fin des années 1990, se montre donc fragile. La compensation par la Banque Centrale, possible grâce à la rente pétrolière de l’émirat d’Abu Dhabi, montre toujours une grande dépendance aux hydrocarbures.

Plus récemment, le prix du baril chute considérablement entre 2014 et 2016, passant de 110 dollars à 35 dollars, soit une baisse de plus de 65%. Pour causes, le ralentissement de la croissance chinoise, qui stagne à 7,4% en 2014, contre 14,2% en 2007 [12], ne permet plus au pays consommateur de garder son niveau d’importations. Aussi, le développement de la production de pétrole non-conventionnel – le pétrole de schiste – par les Etats-Unis, entraine une surproduction par rapport à la demande. Les États-Unis produisent dès lors près de 11 millions de barils par jour, alors que l’OPEP maintient son niveau de production à 30 millions de barils par jour. Cette crise du prix du baril conduit donc au ralentissement des politiques de diversification de la ville de Dubaï.

Enfin, la crise de la Covid-19 bouleverse le secteur touristique, qui pèse à hauteur de 15% du PIB émirien [13]. Alors que la plupart des pays ont restreint leurs politiques d’accès au territoire, Dubaï joue la carte de l’ouverture et devient l’une des destinations les plus prisées durant la crise sanitaire. Cependant, les conditions de déplacement imposées aux ressortissants par leur pays conduisent à une chute du tourisme dans l’émirat. L’aéroport international de Dubaï enregistre une baisse de 67,5% de ses voyageurs, pour le premier trimestre de 2021, et les revenus d’Emirates chutent à hauteur de 3 milliards d’euros – un record depuis la création de la compagnie [14]. Composée à près de 90% d’étrangers, la ville doit aussi faire face aux départs de ses résidents – qui rejoignent leur famille – et observe une perte de près de 10% de sa population [15]. Enfin, Dubaï comptait aussi sur l’Exposition Universelle de 2020, qui devait rapporter près de 40 milliards de dollars de revenu au gouvernement, avec jusqu’à 100 millions de visiteurs [16]. Elle a finalement été reportée pour la fin d’année 2021.

Conclusion

En définitive, même si la part des hydrocarbures a nettement diminué dans l’économie des Émirats arabes unis, le secteur énergétique reste au cœur de la croissance et des stratégies de diversification économique émiriennes. Si Abu Dhabi s’est orienté vers le développement de son secteur industriel, Dubaï a massivement investi dans le secteur tertiaire, devenant une référence touristique et financière mondiale. Cependant, le maintien de la dépendance aux hydrocarbures – à la fois pour diversifier le territoire mais aussi pour alimenter le secteur industriel – ainsi que l’instabilité des nouveaux domaines économiques – sujets aux crises de la mondialisation – poussent les différents émirats à se doter de visions futures et préparer l’ère post-pétrolière. En investissant notamment dans les énergies renouvelables, Abu Dhabi, qui a déjà ouvert la plus grande centrale solaire photovoltaïque du monde en 2019 projette aussi de développer, sous The Abu Dhabi Economic Vision de 2030, son secteur pharmaceutique et ses industries manufacturières. De son côté, l’émirat de Dubaï avec The Dubaï Industrial Strategy de 2030 s’oriente massivement vers le secteur des hautes-technologies.

Bibliographie :

Sites web :
 Airlines Safety Ranking, Jet Airliner Crash Data Evaluation Centre (JACDEC), 2016.
 BNP Paribas, « Émirats Arabes Unis : le contexte économique », mis à jour en août 2021.
 Bureau Business France de Dubaï, « Les hydrocarbures aux Émirats Arabes Unis », 2021.
 Dubaï Financial Market, Annual Report 2018
 Emirates.com, Rapport Annuel, Finances, 2018.
 Encyclopedia.com, « Abu Dhabi National Oil Company ».
 France Diplomatie, « Présentation des Émirats Arabes Unis », mis à jour le 15 mars 2021.
 Industrial Analytics Platform, “Progress and the future of economic diversification in UAE”, par SERIC Adnan et SIONG TONG Yee, publié en octobre 2019.
 Les Clés du Moyen Orient, « Entretien avec Francis Perrin - Retour sur l’histoire du pétrole au Moyen-Orient et sur les perspectives économiques et énergétiques des pays producteurs d’hydrocarbures », par Inès Gil, publié le 13 octobre 2020.
 Marcotrends.net, “U.K. military Spending and Defense Budget 1960-2021”.
 Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, Direction générale du Trésor, « Émirats Arabes Unis, Situation économique et financière des Émirats Arabes Unis », publié le 13 novembre 2020.
 Service économique régional d’Abu Dhabi, « Situation économique et financière des Émirats Arabes Unis », par BERRAZOUANE L et FEILDEL JH, le 26 novembre 2020.
 The Official Portal of the UAE Government, « UAE Future, 2021-2030 », mis à jour en 2021.

Podcast :
 France Culture, « Dubaï : le business quoi qu’il en coûte ! » par KIEFFER, Aurélie et CHESNOT, Christian, le 12 février 2021.

Articles de presse écrite :
 Archives Le Monde, « La raffinerie d’Abadan est remise en marche sous la protection de l’armée », par BALTA, Paul, le 02 novembre 1978.
 Gulf News, “Abu Dhabi issues new ecommerce policy effective from August 15”, publié le 10 août 2021.
 Gulf News, “Dubai Financial Market : Beginning of a new era in capital market development in the UAE”, par BABU DAS, Augustine et DEVADASAN, K.P, publié le 03 août 2021.
 Gulf News, « Dubai Expo 2020 would support 277,000 jobs »,‎ le 09 mai 2013.
 Jeune Afrique, « Dubaï : Jebel Ali, port à la croisée de trois continents », dans « Dubaï : un tremplin pour l’Afrique », par LE BEC, Christophe, le 18 mars 2018.
 Khaleej Times, « Les EAU attirent 100 milliards de dollars d’investissements directs étrangers », par JOHN, 2015.
 Le Moniteur, « Abu Dhabi, l’invention d’une ville”, par TEXIER, Simon, le 1er mars 2010
 Le point International, « La croissance chinoise tombe en 2014 à son plus bas niveau depuis 24 ans », publié le 20 janvier 2015.
 Pergamon Press, “Energy around the world : an introduction to energy studies, global resources, needs, utilization”, par MC VEIGH, 1984, p.62.
 The financial Times, « Insouciance. En pleine pandémie, Dubaï devient la destination favorite des fêtards et des touristes », le 9 janvier 2021.
 The New York Times, « Crise financière. Dubaï : la bulle immobilière menace d’exploser », le 9 octobre 2008.
 Time (archive), “Another Crisis for the Shah”, le 13 novembre 1978.

Ouvrages et revues :
 AL ABED and HELLYER, United Arab Emirates : A New Perspective, 2001.
 AL-KUWARI, Ali Khalifa, Oil Revenues in the Gulf : Patterns of Allocation and Impact on Economic development, 2019.
 ASAD RIZVI, “From Tents to High Rise : Economic Development of the United Arab Emirates” Middle Eastern Studies, 1993.
 BAFFES, John, KOSE, Ayhan, OHNSORGE, Franziska et STOCKER, Marc, « Chute libre », Finances & Développement, 2015.
 BOURGEY, André, « L’histoire des Émirats arabes du Golfe », Hérodote, vol. 133, no. 2, 2009.
 CHATELUS, Michel, « Brève histoire du pétrole dans la péninsule Arabique », dans La péninsule Arabique d’aujourd’hui. Tome I, éditions du CNRS, 1982
 CORDES, Rainer and SCHOLZ, Fred, Bedouins, wealth, and change. A Study of the Rural Development in the United Arab Emirates and the Sultanate of Oman, The United Nations University, 1980.
 DE BEL-AIR, Françoise, “Demography, Migration and the Labour Market in the UAE, Gulf Labour Markets, Migration and Population”, p. 10, 2018.
 DELGADO, Pedro Alexandre Azevedo Dias Lima, The United Arab Emirates Case of Economic Success. The Federal Government, Católica Porto Business School, 2016.
 FAVENNEC, Jean-Pierre, « Géopolitique du pétrole au début du XXIème siècle », Commentaire, vol. 99, no. 3, 2002, pp. 537-550.
 HAWLEY, Donald, The Trucial States, 1970.
 MISHRIF, Ashraf, AL BALUSHI Yousuf, Economic diversification in the Gulf Region, Volume II : Comparing Global Challenges, 2018.
 PETRIAT, Philippe, Au pays de l’or noir. Une histoire arabe du pétrole, Folio Histoire, 2021.
 PIRAM, Keylan, Les Émirats Arabes Unis, un État pétrolier prospère aux pieds d’argile, Centre Thucydide, 2010.
 TAYLOR-EVANS et COYNE, “United Arab Emirates Yearbook”, Dubai : Elite Media, 2013.
 WŒSSNER, Raymond, « Dubaï et Abou Dhabi : la naissance d’un emporium », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, pp. 155-174, 2016.

Publié le 23/09/2021


Justine Clément est étudiante en Master « Sécurité Internationale », spécialités « Moyen-Orient » et « Renseignement » à la Paris School of International Affairs (PSIA) de Sciences Po Paris. Elle a effectué un stage de 5 mois au Centre Français de Recherche de la Péninsule Arabique (CEFREPA) à Abu Dhabi en 2021, où elle a pu s’initier au dialecte du Golfe. Elle étudie également l’arabe littéraire et le syro-libanais.
En 2022 et 2023, Justine Clément repart pour un an au Moyen-Orient, d’abord en Jordanie puis de nouveau, aux Émirats arabes unis, pour réaliser deux expériences professionnelles dans le domaine de la défense.


 


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