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Lire les parties 1 et 3 :
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (1/3)
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (3/3)
En Irak, en 2017, l’EI continue à se battre contre les armées occidentales à Kirkouk, à Tikrit, à Samarra et à Bagdad. La mise en place d’un pouvoir stable dans les territoires libérés de la présence de l’EI n’est pas assurée. D’autre part, les listes de personnes suspectées d’avoir des activités terroristes dans les territoires libérés ne sont pas toujours fiables. Il est d’autant plus difficile de s’opposer à ces combattants que la corruption, et donc la libération des ex-collaborateurs de l’Etat islamique moyennant le règlement d’une rançon, est une pratique courante dans les territoires libérés de l’influence de l’EI (1). Enfin, l’EI fait circuler des rumeurs portant sur la volonté de l’Etat irakien dirigé par des chiites, de s’opposer à la population sunnite démographiquement plus importante. En outre, les terroristes continuent à exercer une influence anti-occidentale sur la population locale, ce qui encourage les sunnites à créer de nouveaux mouvements insurrectionnels comme « Tariqat Naqshbandi » et les « Brigades Révolutionnaires de 1920 » (2).
En Syrie, l’Armée arabe syrienne (SAA) représente le gouvernement syrien. Elle est dirigée par les membres du Parti socialiste arabe et est constituée par des soldats appartenant à diverses ethnies et religions ; ces soldats sont en majorité des sunnites musulmans. La nouvelle Constitution syrienne de 2012 leur accorde en effet une importance primordiale dans le fonctionnement de l’Etat syrien. La SAA est secondée par le Hezbollah libanais dont les soldats sont chiites. Des membres du Conseil des Gardiens de la Révolution iraniens, également chiites, appuient les forces syriennes sur le terrain : sunnites et chiites se sont ainsi alliés afin de mettre fin à l’EI. Cette coalition s’est élargie aux chrétiens syriens, aux chrétiens orthodoxes venant de Russie et à l’armée russe, ainsi qu’à des communistes chinois (3).
Sous les présidences de George W. Bush et de Barak Obama, les succès tactiques et opérationnels n’ont pas été transformés en succès politiques et stratégiques sur le long terme, en particulier les conflits irakiens et afghans. Concernant l’EI, le Président Obama a structuré une stratégie qui a permis de le repousser temporairement. Son allocution nationale en septembre 2014 sur les risques courus par les Américains en raison du renforcement du mouvement terroriste international a permis de dégager une stratégie basée sur des objectifs, des moyens et des ressources afin de détruire l’EI. D’un point de vue diplomatique, les Etats-Unis ont canalisé une coalition internationale pour contrer l’EI, ce qui a permis de réduire notablement ses ressources économiques, ainsi que la présence militaire de l’EI en Syrie et en Irak, d’emprisonner ou de tuer plus de 180 hauts gradés de l’organisation, d’affaiblir ses ressources financières et de diminuer drastiquement ses capacités en terme de propagande.
Actuellement, les Américains veulent libérer les deux principaux fiefs de l’EI, Mossoul en Irak (là où Abou Bakr al-Baghdadi a annoncé la création du califat en 2014), et Raqqa en Syrie. Une victoire militaire dans ces deux régions permettrait de diminuer les appuis financiers de l’organisation dans la région et ailleurs dans le monde, afin notamment de limiter drastiquement le nombre de combattants étrangers qui se battent à ses côtés.
Une victoire militaire de la coalition internationale pourrait conduire à un « succès catastrophique » si elle n’est pas suivie d’une occupation programmée des territoires libérés, proposant notamment à la population locale une alternative politique qui s’opposerait à celle de l’EI, par la mise en place de structures gouvernementales efficaces. En ce sens, la collaborer avec les « sociétés civiles » dans ces pays, notamment dans le domaine de l’éducation, est essentielle (4). Enfin, dans quelle mesure la coalition devra-t-elle transformer ces victoires sur le terrain en une stratégie victorieuse qui empêchera l’émergence d’autres mouvements terroristes et qui permettra de consolider une région stable au Proche-Orient. A cet effet, rappelons que les communautés sunnites en Irak et en Syrie sont délaissées par les pouvoirs en place, ce qui pourrait alimenter une poursuite de la guerre civile. Des efforts diplomatiques sont nécessaires, pour conduire les dirigeants de Bagdad et de Damas à faire des réformes politiques tendant à mettre en place des gouvernements représentatifs. Cette politique devrait en outre permettre la création d’institutions judiciaires afin de restaurer l’Etat de droit dans ces régions (5).
Dans ces conditions, l’administration Trump devrait réduire la médiatisation du danger djihadiste, informer le peuple américain que la guerre contre l’EI pourrait prendre de nombreuses années et ne pas stigmatiser les trois millions d’Américains de confession musulmane afin d’éviter la possibilité d’une radicalisation. En effet, le FBI a besoin de la coopération des Américains et des résidents étrangers de confession musulmane afin de mettre fin au radicalisme islamique. Enfin, l’administration américaine devra s’opposer à toute forme d’extrémisme et favoriser le respect des principes fondateurs de la démocratie américaine dans le cadre d’une longue guerre contre le djihadisme global (6), et mettre en place une stratégie à long terme qui fixerait des objectifs réalistes permettant la canalisation de tous les instruments du pouvoir américain (militaires et non-militaires) afin de détruire l’EI.
Les Etats-Unis veulent détruire l’EI et maintenir leur présence à long terme dans cette région du monde en privilégiant leurs nouveaux alliés (les Kurdes syriens) et leurs anciens alliés (la Turquie et l’Irak) et en isolant l’Iran et son allié russe.
Ainsi, la stratégie américaine à Raqqa est articulée autour d’une alliance avec les Forces Démocratiques Syriennes (SDF) composées d’une milice kurde syrienne (YPG) et d’un contingent arabe sunnite de plus de 25,000 soldats. Or, ce contingent arabe au sein de la SDF est faible et les Kurdes ont peu d’appui dans des villes arabes telles que Raqqa. De plus, l’Etat islamique se présente comme un représentant du nationalisme arabe contre les Kurdes alors que les objectifs du YPG à l’égard des gouvernements syrien, turc, iranien et russe ne sont pas connus.
Ankara, pour sa part, estime que le YPG est une ramification du mouvement nationaliste des travailleurs kurdes (PKK) avec lequel la Turquie est en conflit, et que ces deux mouvements veulent contrôler la frontière sud de la Turquie avec la Syrie, ce que Ankara veut empêcher même si les Etats-Unis et le YPG sont prêts à s’unir militairement contre elle (7).
Afin de mettre fin à cette situation et de libérer la ville de Raqqa de toute présence de l’Etat islamique, la Turquie propose d’utiliser sa propre armée au nord de la Syrie avec ses alliés de l’Armée syrienne libre (FSA). Or, ces deux armées viennent tout juste de terminer une bataille harassante contre l’EI dans la ville de al-Bab. Dans ces conditions, les Américains pourraient être tentés de compter uniquement sur le YPG et d’ignorer les intérêts turcs dans la région, ce qui contraindrait ces derniers à se tourner vers la Russie et l’Iran et à remettre en cause l’autre objectif américain dans la région, à savoir, l’endiguement de la puissance iranienne dans les pays arabes.
La victoire du Président Erdogan au référendum d’avril 2017 a changé la donne. Elle lui permet de modérer sa politique à l’égard du PKK et du YPG alors qu’il a besoin des Kurdes syriens pour former un cordon sanitaire contre l’instabilité syrienne, et des Kurdes irakiens afin de le protéger contre l’instabilité de l’Irak.
Dès lors, et suite au référendum d’avril, les Etats-Unis veulent se consacrer à la chute de Raqqa avec l’aide du YPG, du FSA et de la Turquie sans recourir à la Russie, aux Iraniens et au Président Assad. Cette alliance pourrait conduire à une réconciliation entre le PKK, le YPG et le gouvernement turc. Or, sur le terrain, la contribution russe contre l’EI importante (8).
Afin d’atteindre cet objectif, le président Erdogan pourrait libérer le dirigeant kurde du PKK, Abdullah Ocalan, emprisonné en Turquie depuis 2015. Ocalan est en effet le dirigeant kurde le plus respecté en Turquie et en Syrie et a une grande influence sur le PKK et le YPG. Sa libération pourrait imposer à ces deux parties d’engager des négociations avec Erdogan.
Notes :
(1) Martin Berger, « What Future Awaits ISIS in Irak ? », New Eastern Outlook, http://journal-neo.org/2017/03/03/what-future-awaits-isis-in-iraq/ le 3 mars 2017.
(2) Idem.
(3) Caleb Maupin, « Disarming ISIS Enemies ? US ‘Arms Control’ Sanctions are Deeply Mistaken », New Eastern Outlook, http://journal-neo.org/2017/04/01/disarming-isis-enemies-us-arms-control-sanctions-are-deeply-mistaken/ le 4 avril 2017.
(4) Dalia Ghanem-Yazbeck, « ISIS and al-Qaida’s Expansion : Q&A with Dalia Ghanem-Yazbeck », Carnegie Middle East Center.
(5) Christopher J. Bolan, « Strategic Insights : Strategic Questions Loom Large for President Trump in the Middle East », Strategic Studies Institute, http://ssi.armywarcollege.edu/index.cfm/articles/Strategic-Questions-Loom-Large/2017/04/11 le 11 avril 2017.
(6) Idem.
(7) James Jeffrey, Soner Cagaptay, « Trump Needs Political-Military Plan for ISIS », The Washington Institute for Near East Policy, http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/trump-needs-political-military-plan-for-isis le 1er mars 2017.
(8) Idem.
Matthieu Saab
Après des études de Droit à Paris et un MBA à Boston aux Etats-Unis, Matthieu Saab débute sa carrière dans la Banque. En 2007, il décide de se consacrer à l’évolution de l’Orient arabe. Il est l’auteur de « L’Orient d’Edouard Saab » paru en 2013 et co-auteur de deux ouvrages importants : le « Dictionnaire du Moyen-Orient » (2011) et le « Dictionnaire géopolitique de l’Islamisme » (2009).
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