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Elections législatives du 2 mars 2020 en Israël : une victoire en demi-teinte pour Benyamin Netanyahou

Par Ines Gil
Publié le 06/03/2020 • modifié le 06/03/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu and his wife Sara address supporters as confetti falls upon them at the Likud party campaign headquarters in the coastal city of Tel Aviv early on March 3, 2020, after polls officially closed. Netanyahu claimed "a giant victory" in elections on March 3, boasting that his right-wing Likud party had defied "all expectations" in the country’s third vote in less than a year.

GIL COHEN-MAGEN / AFP

L’avancée exceptionnelle du Likoud

Les sondages avaient prédit une légère avance du Likoud sur la formation de Benny Gantz, Bleu Blanc, d’à peine un à deux sièges. Trois jours après les élections, alors que tous les résultats ont été comptabilisés, le Likoud peut clairement revendiquer sa victoire sur le parti de centre droit. Avec 36 sièges (contre 32 à l’issue des élections de septembre 2019), il redevient le plus grand parti de la Knesset, le Parlement israélien, devançant son rival Bleu Blanc de trois sièges.

Malgré sa mise en examen dans trois affaires de corruption et la lassitude d’une partie des Israéliens dirigés par le leader de droite depuis plus de 10 ans, « Bibi  » (surnom de Benyamin Netanyahou) a convaincu. Stratège politique hors pair, il a su remobiliser les électeurs urbains de centre-droit perdus pendant les élections de septembre.

D’abord, en recentrant légèrement son discours vers des questions de pouvoir d’achat. Une préoccupation centrale pour les Israéliens de la droite modérée qui ont par le passé voté pour Koulanou (parti de centre droit axé sur le coût de la vie pour les classes moyennes, son leader Moshe Kahlon a rejoint le Likoud et s’apprête à quitter la vie politique) ou encore Gesher (parti de défense des consommateurs, il a fusionné avec les Travaillistes [gauche] et le Meretz [gauche radicale] pour les élections de lundi 2 mars). Benyamin Netanyahou a envoyé un message fort à quelques jours des élections, annonçant la nomination de Nir Barkat comme ministre des Finances s’il était reconduit comme Premier ministre. Ancien maire de Jérusalem, il remporte une large adhésion parmi la droite modérée.

« Bibi » a aussi profité de l’ouverture d’une enquête pénale sur l’ancienne société de Benny Gantz, dans laquelle le leader centriste va être entendu comme témoin. Rien de comparable aux sérieuses affaires de corruption de Benyamin Netanyahou, mais le leader du Likoud a tout de même réussit à créer un parallèle - regrettable - entre les deux cas. Dans sa rhétorique, quitte à choisir un homme politique visé par la justice, autant choisir le plus expérimenté, celui qui a déjà été Premier ministre pendant 10 ans. Nouveau coup de poker auprès de l’électorat de centre droit, l’image de figure politique intègre dont jouissait le leader centriste s’est écornée (1).

L’autre grand tournant du scrutin a été la mobilisation des électeurs des colonies en faveur de Benyamin Netanyahou. Fin janvier, le Premier ministre par intérim était aux côtés de Donald Trump pour présenter l’« accord du siècle » qui prévoit l’annexion des colonies israéliennes et de la Vallée du Jourdain (Cisjordanie occupée), affirmant sa posture de leader international et envoyant un message direct aux colonies. En centrant le débat sur la promesse d’une annexion, le Likoud a gagné des milliers de voix, notamment dans les grands blocs de colonies comme Ariel ou Ma’ale Adumim.

Selon le professeur en sciences politique à l’Open University d’Israël Denis Charbit (2), le Premier ministre a aussi profité de sa coalition solide à droite : « Deux coalitions étaient possibles : celle dirigée par Netanyahou était idéologiquement la plus homogène et avait acquis une longue expérience. Celle de Benny Gantz s’appuyait sur une alliance improbable avec les populistes de Lieberman et la Liste arabe unifiée, tout en refusant d’assumer publiquement qu’il aurait besoin du soutien de cette dernière. Ceux qui hésitaient entre les deux coalitions ont tranché en faveur de la première pour conjurer un troisième blocage après un an de paralysie politique. Benyamin Netanyahou a su les mobiliser en jouant sur la peur d’un quatrième scrutin (3). »

Le changement de discours pour cette nouvelle campagne a également payé pour le leader de droite. Pour les élections de septembre, Benyamin Netanyahou avait développé une campagne victimaire et négative contre de la police, le système judiciaire et la minorité arabe. Des thèmes peu propices à la mobilisation. Mais cette fois, il a fait campagne dans une dynamique d’action, en proposant des mesures gouvernementales claires concernant les colonies israéliennes et la refonte du système judiciaire. Un contraste avec Benny Gantz, qui s’est concentré sur la rhétorique « tout sauf Bibi », mais n’a pas su développer des propositions fermes. Le leader et principal rival du Premier ministre a tenté de capter un électorat de centre-droit hésitant, quitte à se calquer sur les idées du Likoud et à paraître comme un homme politique peu novateur.

La crise politique se poursuit

La bataille est cependant loin d’être gagnée pour Benyamin Netanyahou. Avec ses alliés, les partis religieux et la formation d’extrême droite Yamina, il a obtenu 58 sièges à la Knesset. Or, il doit en réunir au moins 61 pour former un gouvernement. Dans les semaines qui viennent, il va tenter de rallier des députés de l’opposition à sa coalition (4). La formation d’un gouvernement d’union nationale avec Bleu Blanc n’est pas non plus exclue. D’autant plus qu’avec trois sièges de plus que la formation de centre droit, « Bibi » peut aujourd’hui imposer ses conditions durant la négociation.

Le jeudi 5 mars, un nouvel élément a également mis un frein aux airs de lendemains de victoire pour Benyamin Netanyahou. En effet, cette semaine, un texte de loi a été présenté par Bleu Blanc pour empêcher un député mis en examen de conduire un gouvernement (5). Tous les regards se sont tournés vers Avigdor Lieberman (6), leader du parti ultra-nationaliste et séculier Israel Beitenou, quand il a assuré ce jeudi 5 mars qu’il voterait cette loi, qui pourrait empêcher Benyamin Netanyahou de reconduire son mandat de Premier ministre. Ce texte vise en effet directement le leader du Likoud inculpé dans trois affaires de corruption depuis novembre 2019 et dont le procès débutera dans une dizaine de jours. Si l’ensemble des députés de l’opposition – incluant Bleu Blanc, la gauche, les partis à majorité arabe et donc Israel Beitenou – vote la loi, Benyamin Netanyahou, pour l’instant le mieux placé pour former un gouvernement, ne pourrait pas être reconduit comme Premier ministre. Le leader ultra-nationaliste aurait aussi l’intention de recommander Benny Gantz comme Premier ministre, selon le quotidien israélien Haaretz. Mais rien n’est encore assuré, quelques jours à peine après les élections.

Redistribution des cartes à gauche

L’autre événement des élections de lundi 2 mars est l’exploit de la Liste Unifiée, la formation réunissant les partis à majorité arabe (7). Le taux de mobilisation dans les villes arabes n’a jamais été aussi élevé (65%) depuis 1999. En comparaison, il atteignait 59% en septembre et 49% en avril 2019. Menée par Ayman Odeh, la Liste unifiée a capté 88% du vote arabe, se plaçant comme la formation politique incontournable pour cette minorité (8). Selon Arik Rudnitzky, la formation politique a profité de la « forte inquiétude » des Arabes israéliens (ou Palestiniens citoyens d’Israël) « suite au dévoilement du plan Trump », qui prévoit notamment le transfert de plusieurs villes arabes de la zone dite du « Triangle » vers le futur Etat palestinien, et donc l’abandon de la nationalité israélienne pour quelque 350 000 Arabes israéliens (9).

La Liste unifiée a aussi capté les votes des Israéliens juifs traditionnellement séduits par la gauche radicale. Au total, deux fois plus d’électeurs de confession juive ont voté pour la Liste arabe unifiée par rapport à septembre 2019, déçus par l’union du parti de gauche radicale, le Meretz, avec le centre gauche (Travaillistes et le parti Gesher). Il a longtemps été reproché aux partis à majorité arabe de se concentrer sur les problématiques purement liées au conflit israélo-palestinien, s’éloignant des préoccupations quotidiennes de leur base électorale. Mais leur discours a récemment changé pour se recentrer sur la question des inégalités sociales et des droits civiques, attirant ainsi électeurs arabes et juifs.

Autre point fort de la Liste unifiée pendant la campagne : une volonté affirmée de participer à la vie politique. En septembre 2019, les partis arabes avaient soutenu Benny Gantz pour le mandat de Premier ministre dans un geste inédit, malgré les réticences d’une partie des Arabes. Ancien chef d’état-major, il a mené la guerre à Gaza en 2014, qui avait fait plus de 2000 victimes côté palestinien. Cependant, ce geste risqué a été sèchement rejeté par Benny Gantz ces dernières semaines. Le leader de Bleu Blanc craignait d’être associé à la cause palestinienne et à des « soutiens des terroristes », selon les mots de Benyamin Netanyahou.

Après le scrutin de septembre 2019, qui avait enfoncé Israël un peu plus dans la crise politique, sans espoir de renouveau, les élections de ce 2 mars donnent un nouveau souffle à la vie politique israélienne. Mais rien n’est encore joué ; les semaines à venir seront décisives et l’éventualité d’un quatrième scrutin n’est pas totalement écartée.

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 Benyamin Netanyahou vu par Anshel Pfeffer, "Bibi : The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu”. « Ce livre raconte l’histoire d’un homme. Il raconte aussi l’histoire d’une nation » (2/2)

Notes :
(1) https://www.lecho.be/economie-politique/international/moyen-orient/les-israeliens-votent-sans-espoir-de-renouveau/10211714.html
(2) Entretien réalisé le 3 mars par Ines Gil.
(3) Troisième scrutin en moins d’un an ce lundi 2 mars.
(4) https://www.haaretz.com/israel-news/elections/.premium-gantz-s-party-members-preparing-for-defections-don-t-rule-out-splitting-up-1.8626764
(5) https://www.jpost.com/Breaking-News/Liberman-supports-law-preventing-indicted-person-forming-government-619851
(6) Surnommé le « Faiseur de rois » en Israël, il avait démissionné de son poste de ministre de la Défense il y a plus d’un an, envoyant Israël vers les élections. Refusant de siéger avec, à droite, les partis religieux et à gauche, les partis arabes, il avait contribué à la crise politique en Israël.
(7) La liste unifiée réunie les communistes de Hadash, les nationalistes séculiers de Balad et Ta’al, et les islamistes de la Liste arabe unie.
(8) Les Arabes représentent environ 20% de la population israélienne.
(9) https://www.haaretz.com/israel-news/elections/.premium-an-earthquake-how-israel-s-arabs-achieved-their-historic-election-win-1.8626003

Publié le 06/03/2020


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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