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En février 2020, alors que le monde commençait à s’inquiéter de l’apparition d’un nouveau virus et que les médias se concentraient sur la propagation de ce qui allait devenir le Covid-19, une nouvelle est alors passée relativement inaperçue : le 11 du même mois, la population égyptienne venait d’excéder officiellement la centaine de millions d’habitants, faisant de l’Egypte le premier pays du Moyen-Orient à franchir ce cap symbolique [1].
De fait, la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (qui sera raccourcie en « MENA » dans cet article pour des raisons de commodité) connaît des dynamiques démographiques tout à fait notables en raison de l’intensité et de la diversité de ces dernières. En effet, si les pays nord-africains et moyen-orientaux ont connu, comme la quasi-totalité du monde, une accélération très nette de leur croissance démographique à partir de la seconde moitié du XXème siècle, celle-ci s’est montrée presque deux fois plus rapide que dans les autres pays en voie de développement à travers le monde [2], alimentée par des phénomènes aussi nombreux que pluriels.
Aujourd’hui, les plus grandes puissances démographiques de la région MENA apparaissent globalement comme étant les pays disposant de la plus grande superficie de territoire : Turquie, Iran, Egypte ou encore Algérie notamment. Pour autant, les pays nord-africains et moyen-orientaux connaissent des dynamiques très différentes : là où les démographes des Nations unies [3] estiment que la population turque connaîtra son pic démographique en 2047 avant de connaître une relative stagnation, voire une récession, les Égyptiens, eux, continueront à croître en nombre même après 2100 ; une tendance partagée par d’autres pays comme l’Irak ou le Yémen par exemple.
Ces dynamiques géographiques ne sont pas sans créer de nombreux défis pour l’avenir, notamment en matière géopolitique, urbaine et environnementale. En effet, alors que les ressources naturelles se raréfient dans le monde et notamment au Moyen-Orient en raison du dérèglement climatique [4], l’expansion aussi significative des populations humaines dans certains des pays de la région (de 100 millions d’habitants en 2020, l’Egypte devrait passer à plus de 200 millions en 2100) pose la question de la viabilité des territoires où elles vivront et, surtout, de la capacité de ces territoires à rester viables en dépit de la pression démographique, bien souvent incontrôlée, qu’ils subiront. Ces dynamiques démographiques pourront également bouleverser les rapports de force : d’ici 2100, des pays comme l’Irak ou le Yémen se montreront davantage - sinon autant - peuplés que les poids lourds démographiques que sont, aujourd’hui, la Turquie ou l’Iran par exemple.
Cet article entend donc analyser les dynamiques démographiques du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord en dressant dans un premier temps un état des lieux démographique de la région (première partie) avant d’en venir aux perspectives d’évolution de ces dernières (deuxième partie). Les défis soulevés par ces dynamiques démographiques pour les années à venir concluront cet article (troisième partie).
La région MENA se caractérise, dans son ensemble, par son grand dynamisme démographique : alors que sa population se montrait plus de trois fois inférieure à celle de l’Europe en 1960 (environ 131 millions d’habitants contre 428 millions respectivement), ce rapport de force s’est inversé en 2017 et n’a cessé de se creuser depuis : en 2023, l’ensemble de la population de la région MENA s’avérait ainsi plus populeuse que celle de l’Europe d’environ 50 millions d’habitants (avec environ 593 millions et 541 millions respectivement).
En matière de puissance démographique, trois pôles de pays se distinguent dans la région : le premier est celui des pays n’excédant pas les 15 millions d’habitants (dans l’ordre décroissant de nombre absolu d’habitants en 2023 : Tunisie, Jordanie, Emirats arabes unis, Israël, Libye, Liban, Territoires palestiniens, Oman, Koweït, Qatar, Bahreïn et Chypre). Le deuxième est celui des pays « intermédiaires », dont le nombre d’habitants est compris entre 23 millions et 46 millions (Algérie, Irak, Yémen, Maroc, Arabie saoudite, Syrie). Enfin, vient le triumvirat des « poids lourds » démographiques oscillant entre 85 et 115 millions d’habitants que sont l’Egypte, l’Iran et la Turquie.
Leur ampleur démographique est étroitement corrélée à l’ampleur de leur territoire ; ils ne figurent donc pas nécessairement en tête des pays comptant les plus forts taux de densité de population : avec 1929 habitants au kilomètre carré en 2023, Bahreïn apparaît de très loin comme le pays le plus densément peuplé de la région - et quatrième du monde [5] - avec près de 89% de sa population vivant dans les deux villes de Manama et Al Muharraq [6]. Le Levant vient compléter cette liste avec les Territoires palestiniens (817 hab./km²), le Liban (561 hab./km²) et Israël (433 hab./km²). A titre de comparaison, la densité de population égyptienne s’élevait à 113 hab./km² la même année.
Les populations sont réparties avant tout suivant des facteurs géographiques : les plus fortes densités de population sont observables le long des cours d’eau et du littoral. L’Egypte se distingue particulièrement, avec environ 90% de sa population vivant dans le bassin du Nil et 40% dans le delta lui-même (c’est-à-dire la région du Caire, d’Alexandrie ou de Damiette par exemple), qui ne représente pourtant que 2,5% de la superficie du pays [7]. Il en va de même en Irak ou la population se concentre essentiellement le long du Tigre et de l’Euphrate, ou encore en Afrique du Nord où le littoral méditerranéen est plus peuplé que l’hinterland, bien plus aride et inhospitalier. Seuls la Turquie, le Liban et Israël disposent d’une répartition relativement homogène de leur population à travers leur territoire.
Le dynamisme démographique de la région MENA ne s’analyse pas, toutefois, qu’à l’aune de l’ampleur démographique des pays mais aussi, et même avant tout, par leur taux de croissance démographique qui est, ici, particulièrement intéressant. En effet, les pays caracolant, de loin, en tête de ceux ayant connu la plus forte expansion de leur population de 1960 à 2023 sont les pays de la péninsule Arabique et du golfe Persique ou, autrement dit, les pays ayant bénéficié d’une courbe exponentiellement positive de leur PIB par habitant depuis 1950 - notamment en raison de l’exploitation particulièrement lucrative des hydrocarbures présents sur leur sol. Ainsi, quand la population des poids lourds démographiques comme la Turquie ou l’Iran n’a cru respectivement que de 201% ou 322% de 1960 à 2023, les pays riches en hydrocarbures ont connu des croissances parfois plus de trente fois supérieures : les Emirats arabes unis (7882%), le Qatar (7275%), le Koweït (1460%), l’Arabie saoudite (1265%) figurent ainsi comme les quatre pays de la région MENA ayant connu la plus forte croissance démographique, suivis de près de par Bahreïn (853%, en sixième position) ou encore Oman (851%, en septième position). Le caractère spectaculaire de ces chiffres s’explique notamment par l’ampleur pour le moins menue de la population de ces pays au début de la seconde moitié du XXème siècle : dans le cas des Emirats arabes unis par exemple, le pays comptait 131 334 habitants en 1960, contre 10,4 millions aujourd’hui. Si son taux de croissance démographique est impressionnant, il n’a pas changé pour autant l’équilibre géopolitique de la région. En revanche, un pays comme l’Egypte, qui possédait déjà une population substantielle en 1960, a vu sa croissance démographique changer en partie l’équilibre des forces dans la région malgré son relativement faible taux de croissance (325% de 1960 à 2023 contre 7882% pour les Emirats arabes unis) : de 26 millions d’habitants en 1960 (derrière la Turquie qui en comptait alors deux millions de plus), l’Egypte est passée à 114 millions en 2023, soit davantage que l’intégralité de la population des pays de la péninsule Arabique réunis (environ 103 millions). Dans ce contexte, quelles évolutions démographiques ces dynamiques présagent-elles pour la région MENA ?
Lire la partie 2
Emile Bouvier
Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.
Notes
[2] Yüceşahin, M. Murat, and A. Yiğitalp Tulga. "Demographic and social change in the Middle East and North Africa : processes, spatial patterns, and outcomes." Population Horizons 14 (2017) : 2.
[3] Une large partie des données utilisées dans cet article sont issus de ce rapport des Nations Unies : United Nations (2024). World Population Prospects 2024 : Summary of Results. UN DESA/POP/2024/TR/NO. 9. New York : United Nations. Consultable ici : https://population.un.org/wpp/assets/Files/WPP2024_Summary-of-Results.pdf
[7] Haars, Christian & Winkelaar, Bram & Lönsjö, Emma & Mogos, Bianca. (2016). The uncertain future of the Nile Delta. 10.13140/RG.2.1.1837.0963.
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