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Développer les initiatives aconfessionnelles et apolitiques pour pallier aux manques de la société libanaise. Rencontre, dans le domaine de Tanayeel réhabilité par l’association Arcenciel, avec Pierre Issa, fondateur et directeur de la fondation Arcenciel, active au Liban depuis 1985

Par Mathilde Rouxel
Publié le 18/09/2015 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Crédit : Arcenciel

Un organisme à contre-courant…

Le Liban est un pays composé de dix-huit communautés religieuses, qui se regroupent sous quatre principales tendances : les chrétiens, les musulmans chiites, les musulmans sunnites et les druzes. Les guerres civiles qui se succédèrent dans le pays entre 1975 et 1990 puis les accords de Taëf qui y ont mis fin en 1991 ont exacerbé ce communautarisme. Le domaine du social, particulièrement, a toujours été la chasse gardée des communautés religieuses.

Arcenciel est né en 1985, au cœur de la guerre, sous l’impulsion de Pierre Issa, avec l’idée d’aller à contre-courant de ces mouvements communautaires. Si aujourd’hui les partis politiques ont adopté un code couleur – naturellement à coloration confessionnelle –, l’arc-en-ciel regroupe pour sa part toute les couleurs, et se réfère au livre saint de la Genèse, reconnu par les trois religions du Livre : « Et l’arc sera dans la nuée, et je le regarderai, pour me souvenir de l’alliance perpétuelle entre Dieu et tous les êtres vivants, de toute chair qui est sur la terre » (Genèse, 9 :16).
« Arc en ciel sert tout le monde sans discrimination ». C’est le mot d’ordre général qui guide depuis trente ans maintenant cet organisme que le temps et les besoins ont permis d’élargir. Le premier public cible était, après dix ans de guerre sanglante, les handicapés – paraplégiques, hémiplégiques – qui ne bénéficiaient d’aucune infrastructure de réinsertion sociale : s’ils étaient choyés par les politiques comme des héros de guerre, les centres de récupération physique mis à leur disposition ne leur permettaient pas de se réadapter dans le tissu social. Conscient des besoins réels de cette population, Arcenciel est né pour proposer à cette dernière des ateliers de formation professionnelle dans le but de créer des emplois au service des autres, et permettre à terme le service des personnes handicapées aux personnes handicapées.

Arcenciel est né à Beyrouth, puis, très vite, a décidé d’investir les régions défavorisées du pays, indépendamment de la confession et de l’orientation politique. De même, Arcenciel n’a pas suivi les attentes des financiers internationaux, et intervint au nord lorsque toutes les ONG intervenaient au sud, certes toujours en guerre contre Israël, mais déserté de sa population.

…au service des plus démunis pour le développement global et durable du pays.

Le mot d’ordre de Pierre Issa est très clair : Arcenciel étudie le marché et agit en conséquence, pour pouvoir proposer un véritable service utile aux plus démunis, quitte à se confronter aux ONG locales et aux difficultés de capter les fonds d’aides, publics ou privés. Leurs premières actions, à la fin des années 1980, avaient pour objectif de produire et de mettre à la disposition de ceux qui en avaient besoin des fauteuils roulants, à l’époque où les financements étaient plus aisément alloués aux initiatives proposant la production d’orthèses ou de prothèses ; toujours à « contre-courant », Arcenciel s’est allié à Handicap International pour ouvrir un premier atelier de production de fauteuils roulants. Handicap International a assuré une formation à la fabrication ; Arcenciel a proposé ce travail à des populations elles-mêmes handicapées, suivant le slogan de l’association qui voulait proposer des programmes destinés à mettre « les handicapés au service des handicapés ». Rapidement, Arcenciel s’est développé dans différentes régions du Liban, des régions en difficultés et oubliées des aides au développement internationales : lorsque toutes les attentions se portaient au Sud, Arcenciel s’est investi dans le Akkar, à l’extrême nord du pays, région de loin la plus pauvre du Liban. L’organisme y a proposé un centre luxueux équipé d’une piscine, destiné aux handicapés. La fréquentation soutenue de la jeunesse de la région a attiré l’attention de l’association qui, désormais consciente des besoins des jeunes, a commencé dès 2001 le second programme : « jeunesse », qui propose aux jeunes en difficulté différentes activités ludiques ainsi que du soutien scolaire pour les écoliers en situation de promiscuité. Le soutien aux personnes en difficultés s’étend d’ailleurs aux anciens prisonniers en phase de réinsertion, aux toxicomaniaques qui tentent de garder une place dans la société, avec pour philosophie de n’avoir pour « seul maître et seigneur que la personne servie », qui guide par l’expression de ses besoins le développement de l’association. Le développement dans la Bekaa d’une usine de production de fauteuils roulants, ainsi que plus récemment la réhabilitation du domaine de Tanayeel, qui compte aujourd’hui 230 hectares de champs et de cultures, ont permis la création d’emploi et le développement de la région. Le troisième volet de l’association, à l’œuvre depuis une dizaine d’années, concerne en effet le développement, avec l’idée de « participer au développement pour l’appui aux groupes fragilisés et l’intégration de groupes marginalisés qui sont autant de gisement de productivité » ; suivant ces nouveaux objectifs, Arcenciel a développé différents programmes qui sont aujourd’hui en pleine expansion. L’association œuvre désormais sur huit fronts : l’« agriculture », l’« emploi », l’« environnement », la « jeunesse », la « mobilité », la « santé », le « social » et le « tourisme ». Le dernier développement en date est également la construction dans la Békaa d’habitations en terre crue, bâties de façon traditionnelle, et destinées à l’écotourisme pour réhabiliter les cultures et les traditions locales tout en offrant aux Libanais qui en ont les moyens un véritable dépaysement et une conscience historique de leur culture ancestrale.

Un « relais des pouvoirs publics »

Arcenciel a, depuis ses débuts en 1985, développé une filiale en France (Lyon) et de nombreux partenariats régionaux qui leur permettent d’intervenir ponctuellement pour soutenir d’autres initiatives à l’étranger. L’importance primordiale de cet organisme réside pourtant malgré tout sur le territoire national qui lui a donné naissance : le Liban. En effet, son implication devant les problèmes d’urgence comme la crise syrienne ou le développement du pays fait de cet organisme une alternative de poids face aux manquements de la société libanaise. Les problèmes politiques que connaît le Liban depuis la fin de la guerre en 1990 déterminée par les accords de Taëf ne permettent pas en effet aux institutions de répondre à tous les besoins, notamment d’un point de vue social, que connait le pays. Comme le titre en 2010 un article du Commerce du Levant, Arcenciel prend « le relais des pouvoirs publics » ; l’association intervient dans la société libanaise ou auprès des pouvoirs publics depuis plusieurs années. Pour rendre compte de leur champ d’action, quelques exemples – parmi une liste très conséquente – peuvent être cités. Leur engagement pour le développement durable et pour le service au plus démunis leur donne une force et un poids politique qui leur permet de proposer aux instances dirigeantes des propositions de décret destinées à faciliter la vie des populations les plus marginales ou le développement durable au Liban. Nous pouvons ainsi nous référer à l’accord qu’Arcenciel, principal producteur de fauteuils roulants au Liban, a passé avec le ministère de la Santé en 2000 : considérant que tout le monde a le droit de se mouvoir et de se déplacer avec la même liberté et la même gratuité, l’association a imposé au ministère de la Santé le remboursement de l’achat des fauteuils roulants par les personnes handicapées en difficulté. Chaque handicapé moteur a désormais la possibilité de posséder, gratuitement, un fauteuil roulant au Liban. Elle a également développé des initiatives très importantes au point de vue de l’environnement : depuis le début des années 2000, deux programmes de gestion des déchets ont été mis en place. Le premier d’entre eux est né d’un bilan conduit par Environmental Resources Managment en 1999 et qui a montré que le Liban produit environ dix tonnes par jour de déchets à risques infectieux (majoritairement produits par les hôpitaux et autres établissements de soin). En 2000, Arcenciel décide de mettre en place un programme destiné à traiter, dans cinq centres de traitement (Beyrouth, Mont-Liban, Békaa, Nord Liban et Sud Liban) un maximum de déchets de ce type afin de réduire les risques d’infection et de contamination. En 2009, l’association lance le programme « bouchons roulants », qui vise à récolter les bouchons de bouteille en plastique en vue de récupérer de la matière (utile pour la confection des fauteuils roulants produits dans leurs usines) et de sensibiliser au recyclage.

Sur des questions plus récentes, notamment la crise des déchets qui sévit au Liban depuis la mi-juillet 2015, arcenciel est l’un des premiers à s’être mobilisé pour trouver une solution efficace au problème des poubelles privées. La mise en place de services proposant de récupérer les déchets plastiques et incitant au tri marqua un premier pas vers une prise de conscience globale de l’importance du recyclage au quotidien pour améliorer les modes de vie de chacun. L’association a d’ailleurs proposé un décret pour faciliter et inciter de manière plus systématique au recyclage dans le pays.

Conclusion

Une telle présentation d’arcenciel dépasse le simple cadre de l’association ; son caractère aconfessionnel et apolitique fait écho aux revendications qui se font entendre aujourd’hui dans les rues de Beyrouth. Alors qu’une partie de la population appelle à une révision constitutionnelle qui remette en question le système confessionnel aujourd’hui en place, arcenciel témoigne par son succès et son efficacité de la validité de telles propositions : axée sur deux principes fondamentaux (« la différence enrichit » et « toute personne est capable de progrès »), Arcenciel propose un modèle alternatif d’entraide et de vivre ensemble dans un pays affaibli par son manque d’infrastructures publiques et sociales.


Arc-en-ciel dans le monde.
Crédits photo : Arcenciel

Le site de l’association : http://www.arcenciel.org/

Publié le 18/09/2015


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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