Appel aux dons mercredi 17 avril 2024



https://www.lesclesdumoyenorient.com/858



Décryptage de l'actualité au Moyen-Orient

Plus de 3000 articles publiés depuis juin 2010

mardi 16 avril 2024
inscription nl


Accueil / Actualités / Analyses de l’actualité

Deuxième conférence de la convention sur les bombes à sous-munitions à Beyrouth

Par Chloé Domat
Publié le 16/09/2011 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

Crédit photo : Chloé Domat

Les bombes à sous-munitions et le Liban

Les bombes à sous-munitions sont apparues durant la Seconde Guerre mondiale puis ont été perfectionnées durant la guerre froide. Elles furent utilisées par les Etats-Unis sur le Vietnam, le Laos, le Cambodge, l’Iraq, le Koweït, l’Afghanistan ou encore le Kosovo. D’autres pays comme l’Union Soviétique, le Maroc, Israël ou l’Angola les utilisèrent également, dans une moindre mesure, dans des conflits liés à la guerre froide ou ultérieurs. Selon le communiqué de presse distribué lors de la conférence, il s’agit « d’armes de taille importante qui, une fois déployées par voie terrestre ou aérienne, éjectent des dizaines ou des centaines de sous-munitions (…). Leur dispersion à large échelle signifie une absence de distinction entre cibles militaires et civiles (…). Ces bombes constituent le plus grave danger pour les civils depuis les mines anti personnel, interdites dès 1997 ». Des armes que l’on trouve sur de larges surfaces habitées mais qui surtout tuent pendant des années après le conflit.

Rencontré au sud du Liban, Raed habite près de Nabatiyeh et travaille auprès d’une ONG. Un jour de 1999, il part avec sa famille faire un pique-nique dans un parc non loin de chez lui. « Après le déjeuner, les enfants se sont éloignés pour aller jouer dans la nature. Quelques minutes plus tard j’ai entendu une explosion. Nous avons couru mais c’était trop tard ». Son fils de 5 ans est décédé sur le coup, victime collatérale des guerres libanaises et des bombes encore intactes qu’elles ont laissées derrière elles. Selon les ONG, entre 30 et 40% des sous-munitions déployées n’explosent pas au moment de la chute, elle se transforment ainsi de fait en mines anti personnel, attendant que quelqu’un les effleure. C’est ainsi que le fils de Raed a trouvé la mort, neuf ans après la signature des accords de Taëf qui avaient pourtant marqué la fin de la guerre du Liban (1975 – 1990).

Parmi les nombreuses guerres qui ont secoué le pays du Cèdre, ce sont les conflits avec Israël en particulier qui ont « miné » le terrain libanais. Une première utilisation de ces armes s’est faite durant les années 1980 (1978 et 1982). Le sud du pays ainsi que l’Ouest de la Bekaa avaient été fortement touchés. Puis en 2006 lors de la « guerre de juillet » avec le Hezbollah, les largages de bombes se sont reproduits. Selon l’ONU, la plus grosse frappe a eu lieu durant les dernières 72 heures du conflit avec plus de 4 millions de bombes à sous-munitions de production majoritairement américaines lancées sur le sud Liban, soit deux fois plus que lors la guerre en Iraq (2003).

Le général Mohamad Fehmi est directeur du Lebanon Mine Action Center (LMAC), un organisme fondé par le ministère de la Défense libanais en 1998. Depuis 2009, le centre assure la pleine responsabilité des opérations humanitaires de déminages menées au Sud. Selon lui, « 98% des bombes datant de 1982 ont été neutralisées. Ce qui est plus important à présent, ce sont celles déposées en 2006, il en reste encore 33%. » Il souligne que le taux de défaillance (c’est-à-dire le nombre de bombe qui n’ont pas explosé) des bombes lancées en 2006 était très élevé car « elles dataient de 1973, elles étaient donc très anciennes : généralement ces bombes devraient être utilisées durant les quinze ans suivant leur fabrication ».
Le Sud-Liban a la particularité d’être une région pauvre où la principale activité économique est l’agriculture. En plus des 408 victimes enregistrées depuis le cessez-le-feu (dont 115 étaient âgées de moins de 19 ans) c’est donc l’avenir économique de tout le sud qui s’est trouvé paralysé. De nombreux paysans ont du attendre des années avant de pouvoir retourner dans leur champs sans risquer leur vie. Selon le rapport de la LMAC, les pertes économiques liées à la production agricole en 2007 s’élevaient à 126.8 millions de dollars.

Prise de conscience, coopération internationale et reconstruction pas à pas

La violence de la guerre de 2006 ainsi que le grand nombre de victimes durant l’année qui a suivi a fait prendre conscience aux gouvernements de la gravité de l’utilisation de ces armes et de l’urgence à entreprendre un processus de reconstruction.
Un processus mis à mal entre autres par la difficile coopération avec l’Etat israélien. En effet, malgré la pression internationale et la résolution 1701 du Conseil de Sécurité de l’ONU dont le paragraphe 8 exige la « communication à l’ONU des cartes des mines terrestres posées au Liban encore en la possession d’Israël », Israël n’a pas remis l’intégralité de ses plans de largage de 2006.
Même si elle ne sait pas exactement où se trouvent les projectiles encore actifs, l’armée libanaise a fait appel à l’aide internationale pour lancer un grand programme de sensibilisation de sa population, d’aide aux victimes et de déminage. Grace à l’aide conjointe des bailleurs de fond internationaux dont l’Union européenne et les Etats-Unis, ce programme a été mis en place dès 2007. Chapeautées par l’armée libanaise, de nombreuses ONG et une cinquantaine d’équipes au sol, parmi lesquelles des contingents de la FINUL, travaillent à mettre en œuvre ce programme.
La France a notamment offert son savoir faire militaire aux troupes libanaises. Le capitaine de Frégate Erwan Roche, présent à Nabatiyeh ce lundi, est en charge du suivi des traités et conventions internationales en armement pout l’Etat Major. Il explique que la coopération avec le Liban en matière de déminage s’est faite selon deux axes : « Il y a environ 30 démineurs français sur place au Sud-Liban et nous avons organisé des cessions de formation en France et ici. Globalement c’est une très bonne coopération, je note que là où elle manque de moyens, l’armée libanaise compense par un grand volontarisme ».

La visite au sud a été l’occasion de prendre conscience de la géographie difficile de cette région caillouteuse et d’observer les enjeux du fastidieux travail de déminage en cours.
Le général Mohammad Fehmi précise que près de 55 km2 ont été contaminés et « sur les 33% qui restent à déminer, 31% se trouvent au Sud et 2% dans la Bekaa. Les bombes de la Bekaa datent de 1982. Nous avons nettoyé en priorité les zones d’habitation et les terres agricoles mais il reste encore beaucoup de travail dans les zones plus reculées comme les vallées ou les montagnes ». Des zones difficiles et un travail ralenti par le manque de moyens qui entraine parfois de nouveaux dommages. Ainsi en 2008, les feux de forêts ont ravagé certaines localités au sud, mais l’armée libanaise n’a pas pu intervenir pour secourir les foyers car la présence de bombes n’ayant pas encore explosé rendait trop dangereuses les opérations. Dans un film projeté à Beyrouth lors de la cérémonie officielle d’ouverture, le ministre de la Défense Fayez Ghosn n’a pas manqué de faire appel à une plus grande coopération en matière de technologie afin de détruire les dernières bombes. Le général Fehmi annonce qu’il manque encore 75 millions de dollars pour terminer l’opération, et conclut : « si les fonds sont disponibles, le travail pourrait s’achever en cinq ou six ans ».

La convention sur les armes à sous-munitions, un pas en avant pour le droit international et les traités sur l’armement

En réaction aux événements de 2006, la communauté internationale a mobilisé le droit, à l’initiative de la Norvège, pour lancer une convention interdisant l’usage, la production, le stockage et le transfert des bombes à sous-munitions. Signée à Oslo en 2008 par plus de 100 Etats, la convention est entrée en vigueur en tant que document de droit international humanitaire et du Jus in Bello (droit de la guerre) contraignant le 1er août 2010. Selon le communiqué de presse, cela « constitue le traité international de désarmement le plus efficace depuis la Convention sur l’Interdiction des mines de 1997 ».
La Convention a en effet suscité un grand enthousiasme de la part des participants, et plus de la moitié des pays signataires l’ont déjà ratifiée, une rapidité rarement observée dans d’autres cas d’accords similaires. D’après Karim Lakajâa, docteur en droit international, « cette convention réaffirme trois principes essentiels : les moyens de la guerre ne sont pas illimités, les belligérants se doivent de respecter la distinction entre population civile et combattants et ils doivent une protection générale aux populations civiles ».
Dans les faits, le traité suppose, à dater du 1er août 2010, l’identification et le nettoyage des zones affectées dans un délai de 10 ans, la déclaration et la destruction des stocks dans un délai de 8 ans, la mise en place d’une assistance aux survivants et à leurs communautés.
Un grand pas en avant toutefois à nuancer. Notons que selon l’OTAN, 90% du stock mondial de bombe à sous-munitions serait détenu par six Etats : la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, Israël, le Pakistan et la Russie. Aucun d’entre eux n’a souhaité signer la convention.

Cette année 2011 célèbre le premier anniversaire de la mise en œuvre de cette convention. C’est l’occasion, à Beyrouth, autour de tables rondes, de revenir sur le chemin parcouru, d’échanger des conseils et de préparer la suite en gardant pour but « l’adhésion universelle à la convention ».
Selon Jordan Ryan, vice administrateur du PNUD qui s’exprimait dans les colonnes du quotidien libanais l’Orient le Jour, « organiser des réunions dans des pays aussi touchés par les sous-munitions que le Liban constitue le meilleur moyen de sensibiliser la communauté internationale à ce fléau ». La première conférence s’était tenue au Laos et les organisateurs tiennent donc à renforcer la prise de conscience, à donner une vraie marge d’action aux pays touchés et à renforcer la coopération Sud-Sud.

Le gouvernement libanais a montré un engagement exemplaire et pionnier envers cette convention. Avec une signature et une ratification rapides, les autorités libanaises semblent unies autour de ce projet avec l’espoir de le voir avancer le plus vite possible. De plus il s’agit de la première conférence sur l’armement au Moyen-Orient, une région ravagée par les conflits et traditionnellement peu encline à signer des traités.
A cet égard, le président de la République libanaise Michel Sleiman a résumé la position de son pays. Dans son discours au Palais de l’Unesco il a rappelé une « volonté politique unanime » afin d’en finir avec ces armes qui « représentent, sans l’ombre d’un doute, une forme d’occupation, puisqu’elles guettent sournoisement et quotidiennement les citoyens ». Il a ensuite réaffirmé son engagement : « je souhaite que cette coopération soit maintenue et se poursuive jusqu’à ce que nous en finissions avec ce lourd héritage (…). Je profiterai aussi de cette occasion pour annoncer que le Liban, grâce à l’expérience acquise dans le nettoyage des sols des bombes à sous-munitions et dans l’aide aux blessés et aux mutilés, se tient prêt à apporter sa contribution et son expertise, via les organismes de coopération internationale ». Des déclarations qui arrivent à un moment où le Liban doit faire face à de nombreux enjeux de droit international et d’armement.

Bibliographie et sources :

Articles de périodiques
 Farouk Lakjaâ Karim, « Armes à sous-munitions, entre progrès du droit et progrès technologique ». Disponible sur internet
 Khoder Patricia, « Le Liban accueille la deuxième conférence de la convention sur les bombes à sous-munitions », L’orient le Jour, 13/09/2011.

Sites Internet
 http://www.clusterconvention.org/msp/2msp/
 http://www.un.org/fr/documents/
 http://www.lebmac.org/

Documents distribués lors de la conférence et entretiens réalisés sur place

Publié le 16/09/2011


Chloé Domat est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et habite actuellement à Beyrouth. Elle a collaboré avec différents médias dont iloubnan.info, France 24, Future TV.


 


Liban

Société