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Deuxième Biennale des photographes du monde arabe contemporain à l’Institut du monde arabe et à la Maison européenne de la photographie

Par Mathilde Rouxel
Publié le 02/11/2017 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

Huit lieux pour un panorama de la photographie arabe

L’événement a été institué par l’Institut du monde arabe en 2015, et avait rencontré un très grand succès. L’année 2017 met à l’honneur Leila Alaoui, la photographe franco-marocaine tuée à Ouagadougou en 2016 dans une attaque terroriste, qui avait présenté lors de la première Biennale son travail sur Les Marocains. Ses photographies avaient pour objectif de rendre aux classes les plus défavorisées et aux populations les plus marginalisées une dignité et une présence. Elles traduisent et semblent guider tout l’esprit de cette deuxième Biennale : croiser les regards que les artistes arabes posent sur leur propre région, leurs pays, leurs cultures. La Mairie du IVe arrondissement de Paris lui dédie une salle, qui porte désormais son nom. Dans le cadre de la Biennale y sont exposées les photographies de Michel Slomka, dont le travail rassemblé sous le titre Sinjar : Naissance des fantômes réalisé autour des notions d’exil, d’identité et de mémoire dans des contextes de crise, entre dans une résonnance toute particulière avec le travail de la photographe disparue.

À la Cité internationale des Arts, c’est la jeune photographie algérienne qui est célébrée. Commissaire pour cette sélection, le photographe d’origine algérienne Bruno Boudjelal nous donne à voir avec l’exposition Ikbal/Arrivées. Pour une nouvelle photographie algérienne une sélection de photographies réalisées par une vingtaine de jeunes photographes au cours d’un atelier photographique monté à Alger. 400 œuvres sont présentées pour composer une image à la fois multiple et très ancrée dans une identité régionale, au carrefour de l’Afrique et du Moyen-Orient.

A l’Institut du monde arabe, le commissaire Gabriel Bauret propose avec le soutien de la curatrice tunisienne Olfa Feki de recentrer l’exposition sur les photographes tunisiens. Parmi les artistes exposés, beaucoup de noms sont déjà familiers aux publics avertis : on retrouve ainsi les œuvres des Tunisiennes Héla Ammar, Souad Mani ou de l’Égyptien Ahmd el-Abi. Lieu frontière entre l’Orient et l’Occident, l’IMA propose également le travail de quelques photographes européens, partis photographier les lieux mythiques, naturels ou culturels, du monde arabe : le photographe allemand Stephan Zaubitzer revient sur les cinémas abandonnés des rives du Sud de la Méditerranée dans Cinémas (2016), l’Espagnol Roger Grasas sublime dans sa série Min Turab (« de la terre », 2010-2014) les paysages du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, lorsque la Française Scarlett Coten approche les hommes des différents pays arabes pour questionner leur identité au sein de ces sociétés fortement patriarcales.

La Maison européenne de la photographie a privilégié, sous l’égide de Gabriel Bauret et Cristianne Rodigues, l’exposition monographique de trois artistes. Le Marocain Hicham Benohoud expose ainsi deux séries au caractère surréaliste. Pour The Hole, l’artiste a demandé à plusieurs familles de Marrakech l’autorisation de faire des trous dans les murs de leurs maisons pour permettre la création de mises en scènes loufoques avec les habitants de ces habitations. Avec ce travail, l’artiste tente de montrer l’autre médina de Marrakech – celle que les touristes ne voient pas, la partie abandonnée de la ville, occupée par des populations plus modestes, voire précaires. Une deuxième série, Acrobatics, dans laquelle il met cette fois en scène les performeurs d’une troupe d’acrobates marocains dans leur habitat privé, fait le pendant de la première. Ces séries contrastent fortement avec celle de l’Algérienne Farida Hamak, Sur les traces, dans laquelle elle revient sur les traces de ce qui marque l’identité de son pays natal, entre orientalisme et travail poétique sur les paysages et l’homme qui y a pris sa place. Le triptyque est clôt par les images de la photographe russe Xenia Nikolskaya, partie photographier les grands palais abandonnés de l’Égypte royale.

D’autres artistes sont exposés dans quatre autres galeries partenaires de l’exposition : Randa Mirza et Zad Moultaka à la Galerie Thierry Marlat, Daniel Aron à la Galerie Photo 12, Mustafa Azeroual et Sara Naim à la Galerie Binome et Marco Barbon à la Galerie Clémentine de La Feronnière.

Identité, métissage, universalité

Plusieurs thèmes traversent cet ensemble d’expositions. L’identité est évidemment au cœur de toutes ces œuvres : une identité en redéfinition, en rapport à la mémoire des lieux, aux révolutions récentes, aux bouleversements provoqués par les conflits. La Tunisienne Mouna Karray, avec sa série Noir (2013), emprisonne son corps dans un drap empêchant ses mouvements ; le déclencheur qu’elle active pour créer la photographie apparaît comme une seule issue, créatrice d’une libération possible dans une société sclérosant encore les femmes. Cette question de l’identité féminine est aussi posée par la Libanaise Rania Matar, qui dans Becoming (2011-2016) laisse des jeunes filles poser librement pour saisir ce qui est pour elles le sens de la féminité et de leur identité personnelle au sein du système dans lequel elles évoluent. Héla Ammar, qui travaille également en Tunisie, propose elle aussi dans ses mises en scènes d’interroger les multiples identités tunisiennes : inscrites dans la mémoire du corps dans Hidden Portraits (2015), elles portent haut l’affirmation d’une culture nationale. La multiplicité des expressions de l’être égyptien est mise en images animées par l’Égyptien Karim El Hayawan dans Cairo Cacophony. Aperçus de Saturday Cairo Morning Walks (2014-2017), une vidéos composées de photographies de la capitale de celle qu’on appelle la « Mère du monde » (Oum el Donia). Farida Hamak interroge le métissage – et ce qu’il reste des cultures arabes, après le regard passé par les Occidentaux.
La technique photographique elle-même est aussi interrogée dans certaines œuvres. Temps dérivé (2017) de la Tunisienne Souad Mani travaille sur les textures provoquées par les grains présents sur une photographie prise par un téléphone portable et qui interrogent « le potentiel ubiquitaire et fluide de la photographie dite mobile » (1).

La question de la précarité est également très présente. Ziad ben Romdhane livre avec West of Life (2013-2016) une série de portraits qui témoigne de la pauvreté vécue par les habitants de la région minière du sud-ouest de la Tunisie, vivants dans la pollution en marge des villes touristiques. C’est aussi ce que l’on retrouve dans les œuvres d’Hicham Benohoud, qui souhaite montrer derrière ses mises en scènes surréalistes les intérieurs des habitants des quartiers modestes de Marrakech.

La politique n’est pas en reste : alors que le Coréen Jungjin Lee tente de comprendre en photographiant avec Unnamed Road (2010) la frontière israélo-palestinienne les raisons du conflit qui oppose deux peuples, le Kabyle Bruno Hadjih rappelle un événement historique traumatique pour l’Algérie : en faisant se succéder des paysage désertiques et des portraits d’hommes, il raconte l’essai nucléaire souterrain réalisé par la France à In Ecker, au Sahara. En Libye, le Suisse Philippe Dudouit choisit de mettre ses images au service des populations locales, subissant l’instabilité politique post-Kadhafi et les réseaux illégaux qui se sont développés dans toutes les zones ; en Syrie, Border-lines (2016) du Syrien Jaber Al Azmeh expose les espaces nés du chaos politique lié à la guerre, et retranscrit ainsi « la folie de notre système ».
Le patrimoine, enfin, rythme ces expositions. Les palais égyptiens mis en images par Xenia Nokolskaya et les cinémas laissés pour compte de Stephan Zaubiter font écho aux mosquées abandonnées photographiées sur la route de Médine par le Saoudien Moath Alofi.

Ce nouveau rendez-vous qui permet de découvrir la jeune scène photographique arabe permet aussi de découvrir que les femmes sont nombreuses à créer dans cette région que l’on appelle « Monde arabe », et qui relie de nombreux pays géographiquement et politiquement différents par une langue et une culture familière d’un bout à l’autre de la Méditerranée ; une création qui conteste l’ordre établi mais qui cherche, avant toute chose, à offrir un peu de poésie pour des lendemains de printemps arabes qui ne furent idylliques que trop peu de temps.

Deuxième Biennale des photographes du monde arabe contemporain, du 13 septembre au 12 novembre 2017

http://biennalephotomondearabe.com/

Publié le 02/11/2017


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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