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Détroit d’Ormuz, un passage stratégique

Par Valentin Germain
Publié le 02/07/2013 • modifié le 03/12/2021 • Durée de lecture : 9 minutes

INFOGRAPHIE MM / DMK / AFP

Les flux d’un détroit partagé par de nombreux États

Le détroit d’Ormuz est situé au débouché du Golfe arabo-persique, entre Iran et Oman. Il est large de 40 km et long de 63 km dans sa plus grande largeur, mais l’île iranienne de Larak n’est séparée que de 24 miles marins de l’île omanaise d’el Salamah. L’étroitesse du détroit (jusqu’à 34 miles marins au point le plus réduit), ainsi que le peu de profondeur des eaux territoriales iraniennes font que les bateaux circulent dans un couloir entre les îles omanaises de Quoin et Ras Dobbah, avant de transiter par un chenal entre trois îles contrôlées par l’Iran. Afin de garantir la sécurité des navires, un dispositif de séparation du trafic a été élaboré. En effet, ces flux commerciaux s’inscrivent dans une région particulièrement belligène qui voit s’affirmer des puissances régionales.

Sur le plan régional, on distingue dans le détroit trois catégories d’États riverains : au nord, l’on trouve l’Irak, le Koweït, le Qatar et Bahreïn dans la mesure où le détroit apparaît comme leur principale porte d’entrée et voie majeure de transit pour leur commerce ; au sud se situent d’une part l’Arabie saoudite pour qui le détroit constitue la seule voie de sortie pour ses côtes orientales ; restent l’Iran, Oman, et les Émirats arabes unis qui se partagent la sortie du détroit. Sur le plan militaire, l’Iran a renforcé sa ligne de défense avec le port militaire de Bandar Abbas situé à l’entrée du détroit et des bases militaires protégeant les îles de Tomb et Abu Musa.

Sur le plan international, plusieurs acteurs sont également présents. La Veme flotte américaine est notamment basée à Manama au Bahrein, deux porte-avions nucléaires patrouillent sur les eaux du Golfe avec un troisième au large d’Oman. Les Etats-Unis ont également la base de Diego Garcia dans l’Océan Indien. La France dispose quant à elle, depuis le 26 mai 2009, d’une base interarmées permanente à Abou Dhabi. Elle comprend trois sites : le port de Mina Zayed pour la marine, Zayed Military City pour l’armée de terre, et Al-Dhafra pour l’armée de l’air avec un escadron de six avions Rafale.

Le détroit voit passer près de 30% du pétrole mondial, réparti ainsi : 1/8eme du brut utilisé aux Etats-Unis ; le quart de celui utilisé en Europe ; un tiers des utilisations japonaises. Cette voie maritime est essentielle pour les marchés asiatiques. 14 VLCC (very large crude carrier) sortent ainsi chaque jour du détroit, dont 85% font route vers la Chine, l’Inde, ou encore la Corée et le Japon. La croissance exponentielle des deux géants du continent laisse supposer par ailleurs une augmentation du trafic dans le détroit dans les prochaines années. Jusqu’en 2030, le trafic devrait ainsi connaître une augmentation de 30 % pour satisfaire les besoins asiatiques. De même, 18 % des exportations de gaz naturel y transitent : des méthaniers y transportent plus du quart des échanges mondiaux de gaz naturel liquéfié.

Le détroit d’Ormuz constitue ainsi une voie commerciale essentielle du trafic international, et surtout du trafic maritime pétrolier car les autres passages pour faire transiter le pétrole sont rares.

Un espace de conflits

En raison de son positionnement stratégique, le détroit se trouve impliqué dans plusieurs conflits. Ainsi, entre 1980 et 1988, le détroit porte les marques du conflit entre l’Iran et l’Irak. Entre 1984 et 1987, plus de 600 navires sont ainsi attaqués durant la « guerre des tankers ». L’objectif des deux États est de couper les exportations de son adversaire afin d’assécher ses revenus indispensables à l’effort de guerre. La plupart des navires sont alors endommagés par des missiles ou par des mines. En 1988, au cours d’une mission de protection de tankers koweïtis des attaques iraniennes, la frégate américaine USS Samuel B. Roberts est gravement endommagée par une mine iranienne. Une opération de représailles sous le nom de code « Praying Mantis » est lancée et voit la destruction des plates-formes pétrolières iraniennes Sassan et Sirri ainsi que d’un patrouilleur, une vedette et une frégate. En 1991, lors de la première guerre du Golfe, l’Iran mouille à nouveau des mines dans le nord du golfe pour éviter un débarquement par la mer. Après la fin des combats, des opérations de nettoyage des 1160 mines recensées sont menées par des chasseurs de mines allemands, italiens ainsi que français, belges et néerlandais. Un peu plus au sud mais dans la même zone d’influence, l’attaque de l’USS Cole en 2000 souligne le caractère tendu de la région. En effet, au large des côtes yéménites, le navire est frappé par une embarcation piégée, qui perfore la coque et tue 17 marins, en blessant 50 autres.

Aujourd’hui, l’Iran est la puissance qui inquiète la communauté internationale. En effet, en raison du développement annoncé de son programme nucléaire et de son escalade diplomatique avec Israël, le pays est sujet à de nombreux commentaires et tentatives de sanctions, parmi lesquelles un arrêt occidental des importations de brut en provenance de la République islamique, ainsi qu’une réduction des achats de pétrole par le Japon et la Chine, privant le pays d’une source essentielle de devises étrangères. En réaction, le 28 décembre 2011, les dirigeants iraniens ont déclaré via le vice-président de l’époque, Ali Rahimi : « Si on devait adopter des sanctions contre (les exportations) du pétrole iranien, aucune goutte de pétrole ne transitera par le détroit d’Ormuz ». Ce qui a été confirmé par l’amiral Sayyari le même jour : « Tout le monde sait combien le détroit est important et stratégique et il est complètement sous le contrôle de la République islamique d’Iran. Fermer le détroit est très facile pour les forces armées iraniennes, c’est comme boire un verre d’eau, comme on dit en persan ». Ces déclarations ont entraîné une réprobation planétaire provoquant une hausse du cours du pétrole sur les marchés. Le détroit est en effet une zone de transit international par laquelle tous les pays peuvent passer, comme le rappelle la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Ainsi, un porte-parole du Pentagone s’est empressé d’ajouter qu’« aucune perturbation du trafic maritime dans le détroit d’Ormuz ne sera tolérée ». La volonté iranienne est donc de perturber le marché des hydrocarbures afin que ses adversaires plient sous la pression mondiale. Une telle stratégie est donc économique avant d’être militaire.

Quelle marge de manœuvre de l’Iran ?

Mais quelle est la véritable marge de manœuvre de l’Iran sur le détroit d’Ormuz ? On peut étudier trois scénarii possibles. Tout d’abord, l’Iran reste dans le registre des menaces et n’agit pas, ce qui lui permet de rester crédible et de gagner du temps pour achever son programme nucléaire, tout en maintenant les prix du pétrole sous tension. La République islamique peut également choisir de fermer le détroit car le passage emprunté par les pétroliers est situé non loin de ses côtes. Mais un tel blocus semble difficile car on devrait observer une obstruction massive sur 12 km. Le temps d’acheminer les moyens nécessaires, les autres acteurs auraient donc le temps de planifier une réponse. Le pays peut aussi choisir de se livrer à des opérations militaires contre le trafic et les infrastructures comme il l’a fait auparavant durant la guerre contre l’Irak. Bien qu’à cette époque les bombardements s’étaient déroulés dans les eaux intérieures et à distance du détroit, la navigation avait été extrêmement ralentie. De même, miner le détroit est une méthode aisée et discrète qui permettrait de suspendre la navigation. Ne serait-ce qu’une rumeur de blocus entrainerait les compagnies à stopper l’envoi de pétrolier dans la zone. Les compagnies d’assurances considèrent en effet que les coûts sont tellement élevés qu’il vaut mieux pour les pays importateurs rechercher d’autres sources, plus faciles d’accès. Par ailleurs, les effets sur les prix internationaux pourraient être d’autant plus marqués que les frappes de rétorsion toucheraient les moyens de production. Il existe enfin une dernière possibilité : l’Iran pourrait choisir d’intervenir à l’échelle de l’ensemble du Golfe en tentant de détruire l’infrastructure pétrolière et gazière des autres pays riverains. Une telle action aurait un impact beaucoup plus important sur les flux puisqu’elle s’attaquerait aux capacités de production, ce qui demanderait une reconstitution qui prendrait beaucoup plus de temps et aurait une portée d’une plus grande ampleur. Néanmoins, cela entrainerait une réponse diplomatique et militaire considérable, peut-être fatale pour le pays.

Ce qui empêche jusque-là la réalisation de ces scénarii semble être les conséquences armées que ceux-ci entraineraient. Pour mener à bien ses actions, l’Iran serait amené à utiliser divers éléments militaires : nageurs de combat, mouillages de mine, frappes de missiles antinavires depuis le territoire iranien ou depuis des bâtiments en mer, utilisation de forces aériennes et de sous-marins, etc. La mise en place d’un tel arsenal déboucherait inévitablement sur des réponses armées de la part d’autres pays. Ainsi, en vertu de la doctrine Carter qui définit le Golfe comme une région vitale pour les intérêts américains, si l’Iran menait une telle opération dans le détroit, une réaction militaire immédiate des États-Unis serait à prévoir. A ceux-ci, s’ajouterait probablement une coalition des pays menacés.

C’est là qu’entrent en compte les unités américaines situées dans la région. Celles-ci interviendraient immédiatement pour acquérir une maitrise aérienne et navale du détroit. Ainsi, les porte-avions permettraient d’assurer une présence aérienne permanente, détruisant les sites de lancements de missiles. On peut ajouter à ces troupes les 15 000 soldats et forces aériennes stationnées dans les pays arabes et notamment au Koweït.

Les alliés des États-Unis interviendraient, quant à eux, dans les domaines où ces derniers sont plus faibles, comme la guerre des mines. C’est ce qu’a confirmé le ministre de la Défense néerlandais, le 7 janvier 2012 : « les Pays-Bas sont prêts, sur le principe, à aider les États-Unis en cas de blocus iranien du détroit d’Ormuz ». Les adversaires de l’Iran devraient donc s’assurer d’une victoire relativement assurée en un temps relativement court, selon les estimations du capitaine de vaisseau et géostratège français Hugues Eudeline. En effet, le flux dans le détroit pourrait repartir après une vingtaine de jours.

Il semble en outre qu’un blocage trop court du détroit ne serait pas suffisant pour créer une pénurie dommageable sur le plan financier à l’échelle internationale. La plupart des pays disposent en effet de réserves stratégiques de pétrole, pour justement faire face à des situations de ce type. Les 28 pays membres de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) disposent de stocks de cinq mois. Outre ces réserves, on pourrait également compter sur l’augmentation de production qui pourrait être demandée à certains pays exportateurs non situés dans le Golfe arabo-persique. On se rend donc compte qu’en fonction des réserves existantes, la diminution des flux énergétiques qui résulterait d’une telle opération ne créerait pas une pénurie suffisante. Toutefois, cette situation pourrait être plus difficile pour les États non membres de l’AIE comme l’Inde ou la Chine.

Quant à lui, l’Iran souffrirait bien d’un blocage prolongé. En effet, l’Iran and Libya Sanction Act qui le soumet à un embargo depuis 1996 l’empêche d’investir sur des montants supérieurs à 20 millions de dollars dans le secteur pétrolier, ce qui fait que le pays manque de raffineries. Il doit donc importer 40% de ses besoins en hydrocarbures raffinés, via le détroit d’Ormuz. De plus, l’exportation du pétrole lui apporte la plupart de ses revenus, étant le 2eme producteur de pétrole au monde et le 1er exportateur de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).

La coopération au cœur de l’avenir du détroit

Le détroit d’Ormuz est donc bien une voie essentielle de navigation, notamment pour les flux pétroliers. Situé dans une région à fort caractère belligène, l’hypothèse d’une intervention militaire visant à affaiblir voire supprimer le trafic dans le détroit est donc à envisager. Dès lors, une alternative terrestre au transport pétrolier maritime est-elle crédible ? Ormuz reste incontournable mais on note la volonté de construction d’un projet de pipeline qui transporterait le pétrole du Kurdistan irakien vers la Turquie. Des terminaux en mer Rouge sont aussi à l’étude, mais font face aux problèmes de sécurité posés par la piraterie. On évoque aussi un chemin vers l’Asie centrale, ou via l’Afghanistan et le Pakistan. La Russie et la Chine souhaitent obtenir un transport par le nord de l’Iran. Néanmoins, le transport maritime reste le moyen le plus rapide et le moins couteux.

C’est donc à travers la coopération que réside l’avenir du détroit d’Ormuz. Le Conseil de Coopération du Golfe, qui regroupe l’Arabie saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Qatar, reflète cette volonté. Ces États ont ainsi adopté diverses mesures pour garantir la navigation dans le détroit en sécurisant les exportations de pétroles. Mais le Conseil permet surtout à ces pays de se positionner face à l’Iran, et de contrecarrer son influence.

Que penser alors de l’élection d’Hassan Rohani en juin 2013 ? Un changement de politique étrangère de l’Iran est-il à prévoir ? Il faut rappeler que dans le système gouvernemental iranien, malgré la présence d’un président, c’est le Guide qui détermine la politique générale du régime et le président n’est pas celui qui décide véritablement. L’arrivée de Hassan Rohani fera sans doute évoluer les relations de l’Iran sur la scène internationale mais seulement parce que Ali Khamenei, en place depuis la mort de Khomeiny le 3 juin 1989, le veut bien. Les sujets internationaux comme la question du nucléaire, le dossier syrien ou les tensions avec Israël passent donc entre les mains d’un nouveau président au sein d’un État où le leadership n’a pas changé. Les considérations iraniennes sur Ormuz appartiennent à ce même registre et on peut donc s’attendre à une évolution très contrôlée par le Guide.

Bibliographie :
 AL-NASSER Fahad, « La défense d’Ormuz », Outre-Terre, 2010/2 n° 25-26, p. 389-392.
 EUDELINE Hugues, « Bloquer le détroit d’Ormuz : menace réelle ou rodomontades ? », Outre-Terre, 2010/2 n° 25-26, p. 393-401.
 FREMONT Antoine, « Les routes maritimes : nouvel enjeu des relations internationales ? », Revue internationale et stratégique, 2008/1 N°69, p. 17-30.
 TALMADGE Caitlin, « Closing Time – Assessing the Iranian Threat to the Strait of Hormuz », http://www.belfercenter.ksg.harvard.edu/files/IS3301_pp082-117_Talmadge.pdf.
 NONJON Alain, « Le détroit d’Ormuz, le verrou géopolitique de toutes les peurs », http://www.diploweb.com, 02/03/2011.
 « Le détroit d’Ormuz, au cœur des enjeux géopétroliers », http://www.rfi.fr, 29/12/201.

Publié le 02/07/2013


Valentin Germain est actuellement étudiant au Magistère de Relations Internationales et Action à l’Etranger de l’université Paris 1. Après avoir grandi au Maroc, il a étudié à Paris, notamment avec Nadine Picaudou, Pierre Vermeren et Khadija Mohsen-Finan. Passionné par le monde arabe et la Méditerranée, il a voyagé et vécu en Egypte, en Turquie et au Liban.


 


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