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Amélie Férey est chercheuse associée au CERI à Sciences Po et spécialiste d’Israël. Elle concentre une partie de ses recherches sur la minorité arabe israélienne, aussi appelée « Palestiniens de 48 » en référence aux Arabes restés à l’intérieur d’Israël après la guerre de 1948.
On observe clairement une droitisation de l’offre politique et de la société israélienne. Cette situation est la conséquence de 10 ans de discours d’une partie de la classe dirigeante israélienne qui met à mal les valeurs démocratiques - en particulier celle de l’égalité et de l’état de droit - dans le pays. C’est aussi l’aboutissement d’actions contraires au droit international, comme la politique israélienne en Cisjordanie, et même contraires au droit israélien, comme on l’a vu avec l’affaire des caméras postées par des militants de droite dans des bureaux de vote à majorité arabe.
En Israël, depuis plusieurs années, il existe un climat délétère vis-à-vis de la population arabe de nationalité israélienne. Ce climat n’est pas seulement lié aux élections, il est persistant et a pris une nouvelle dimension avec le vote de la loi Etat-nation en juillet dernier. Au début de la campagne pour les municipales par exemple, le parti Habait Hayehudi (parti de Bennet) a installé de nombreuses affiches de campagnes à Jaffa (sud de Tel Aviv, où juifs à majorité sépharade et arabes cohabitent) illustrant une femme voilée à côté du slogan « c’est eux ou nous » (1)1. Par ailleurs, pour mobiliser son électorat, Benyamin Netanyahou a développé la rhétorique « Bibi ou Tibi », c’est-à-dire Benyamin Netanyahou ou Ahmed Tibi (leader du parti arabe israélien Ta’al). La population arabe fait figure d’épouvantail, et la droite n’hésite pas à attaquer durement sa légitimité à participer à la vie politique israélienne.
C’est un climat qui ne reflète par ailleurs pas certaines réalités dans le pays. Une partie des Israéliens juifs et arabes sont en bons termes et se retrouvent même sur certains points politiques - notamment l’importance de l’investissement dans le domaine de la santé et de l’éducation. Mais ce climat ne crée pas les conditions favorables pour pousser les Arabes israéliens - ou les Palestiniens d’Israël - à voter.
L’obtention de 10 sièges est un score assez honorable, sachant que la moitié de la population arabe israélienne s’est abstenue. Mais une chose est sûre, la mobilisation est moins forte qu’en 2015, ce qui s’explique par plusieurs facteurs : en 2015, l’engouement a été créé par l’édification d’une Liste arabe unifiée, c’est-à-dire une liste commune entre l’ensemble des partis arabes, une première dans l’histoire d’Israël. Mais cette liste a été dissoute en février dernier. Pour les élections du 9 avril, les partis arabes se sont présentés sous deux coalitions différentes : Hadash-Taal et Raam-Balad, créant la déception chez les électeurs arabes israéliens.
En outre, le climat général n’a pas poussé la population arabe à se déplacer aux urnes, notamment du fait des discriminations et des discours radicaux à leur encontre de la part de certains dirigeants israéliens. La loi sur l’Etat nation votée l’année dernière a été un choc pour cette communauté, qui a eu le sentiment que la présence de députés arabes à la Knesset ne pouvait pas empêcher le Parlement de voter des lois jugées racistes.
A cela s’ajoute une jeunesse arabe israélienne politisée, qui appelle de plus en plus au boycott des institutions israéliennes, inspirée sans doute par le BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions, campagne internationale de boycott contre les institutions israéliennes). Selon eux, la Knesset n’est plus le seul lieu d’expression politique.
Cette jeunesse se tourne par ailleurs de moins en moins vers les partis arabes car ces derniers ne leur font pas de place. Les partis comme Hadash et Balad sont moins présents qu’auparavant sur les campus des universités, des lieux pourtant très stratégiques pour recruter des militants.
Mais il faut tout de même relativiser cette dynamique. Aux élections locales, la population arabe se mobilise nettement plus. Balad a réussi à entrer au conseil municipal de Tel-Aviv par exemple.
Tamer Nafar est un cas particulier, il représente une minorité dans la minorité. Il est libéral, ses positions ne conviennent pas toujours aux Arabes israéliens, mais il est en même temps très écouté. Il est un des représentant de la jeunesse arabe, ou palestinienne comme elle se revendique, d’Israël. Il illustre aussi l’évolution de cette jeunesse, qui se tourne de plus en plus vers les écoles d’art et qui poursuit des études plus longues, allant jusqu’au doctorat, c’est assez nouveau en Israël. Son message a pu avoir un impact chez certains d’entre eux.
Cette scission est dûe à une question purement politique de répartition des sièges au sein de la liste. Les partis Ta’al et Balad auraient eu un différent quant aux candidats à présenter sur la liste commune.
Le parti Balad tente de mobiliser autour de la question palestinienne, tout comme Ta’al dans une autre mesure puisque Balad prend position pour un Etat laïc en Israël. Mais cette question a tendance à s’effacer au profit des thèmes sociaux-économiques. Par exemple, Ayman Odeh, le leader du parti communiste Hadash, dans la même coalition que Ta’al, a indiqué qu’il serait favorable à une coalition gouvernementale avec Benny Gantz (parti Bleu-Blanc, Centre) sous condition d’une réallocation de ressources dans les communautés et villes arabes et d’une abrogation de la loi sur l’état nation.
Les discours discriminants à l’égard des Arabes israéliens sont courants chez une partie de la société israélienne. Cela témoigne de la droitisation de la politique israélienne. Cependant, certains Arabes israéliens votent Meretz (le plus à gauche des partis sionistes) tout comme certains israéliens juifs votent Hadash-Taal (parti communiste). Une partie des juifs et des Arabes israéliens cohabitent sans problème, ce qui ne plait pas toujours à la classe politique au pouvoir. La question controversée des mariages dits « mixtes », c’est-à-dire entre personnes de confessions différentes, toujours interdits en Israël, le montre bien. Récemment, le mariage entre la présentatrice arabe Lucy Aharish et l’acteur Tzachi Halevy a fait scandale ; même Yair Lapid, qui défend une forme de laïcité, avait déclaré que ce « n’était pas une bonne chose » et que « l’assimilation consume le peuple juif ».
Notes :
(1) https://fr.timesofisrael.com/habayit-hayehudi-critique-pour-une-affiche-anti-assimilation-a-ramle/
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
Amélie Férey
Amélie Férey est chercheuse associée au CERI à Sciences Po et spécialiste d’Israël. Elle concentre une partie de ses recherches sur la minorité arabe israélienne, aussi appelée « Palestiniens de 48 » en référence aux Arabes restés à l’intérieur d’Israël après la guerre de 1948.
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