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Constantinople au XIXème siècle

Par Clémentine Kruse
Publié le 16/03/2012 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 5 minutes

Gravure du palais de Dolmabache au XIX ème siècle

The Picture Desk/The Art Picture/GIANNI DAGLIORTI, AFP

Constantinople, enjeu politique et économique

Le XIXème siècle est une période particulièrement troublée pour l’Empire Ottoman. La montée des nationalismes et des différentes revendications nationales, qui apparaissent dès le début du XIXème siècle avec les guerres d’indépendance serbes et grecques, ébranle un Empire qui s’était constitué sur la multi ethnicité et la multi confessionnalité. S’ouvre également à cette époque ce que l’on a appelé « la question d’Orient  », c’est-à-dire celle du démembrement de l’Empire ottoman. Celui-ci devient un enjeu majeur entre la France et la Grande-Bretagne qui cherchent à asseoir leur influence au Proche-Orient, voire même à l’étendre.
Malgré les violences au sein même de l’Empire ottoman et les guerres que celui-ci connaît au XIXème siècle, Constantinople n’est pas touchée par les combats. La ville connaît pourtant des heurts. Le premier est la révolte des janissaires, troupe d’élite de l’armée ottomane, qui se déroule en 1826 et qui est durement réprimée. Suite à cette révolte, le sultan abolit le corps d’armée des janissaires et cherche à mettre en place une armée moderne, fondée sur le modèle européen. La ville est également le théâtre des nombreuses révolutions de palais, et de la destitution de sultans tels que Murâd V au milieu du XIXème siècle, souffrant de troubles mentaux, ou Abdul Ahmîd II à la suite de la révolution dite des jeunes turcs. L’un des facteurs de la réussite de la révolution de 1908 et du rétablissement de la constitution par Abdul Ahmîd II est la peur que les troupes qui se sont soulevées en Anatolie ne marchent sur Constantinople et ne s’en emparent.
Constantinople devient également au XIXème siècle un enjeu économique. Les grandes puissances européennes qui connaissent alors le processus d’industrialisation voient dans la ville des possibilités d’investissements. En 1863 par exemple, est créée la Banque impériale ottomane, franco-anglaise, suivie en 1864 de la Société générale de l’Empire ottoman, ou de la banque austro-ottomane en 1871. Ces banquent permettent aux entreprises occidentales de s’établir durablement à Constantinople ainsi que la création d’entreprises et d’infrastructures de transport. Elles jouent un grand rôle dans la modernisation et l’occidentalisation de la capitale ottomane. La curiosité de l’Europe pour Constantinople et ce qu’elle représente est également culturelle, renforcée par la culture de l’orientalisme et la découverte de l’archéologie. Pour de nombreux écrivains, le voyage à Constantinople est une étape nécessaire. Lamartine s’y rend en 1832, Gérard de Nerval en 1843, Théophile Gautier en 1853 et Pierre Loti à l’occasion du voyage inaugural de l’Orient-Express.

Urbanisme et modernisation

Au XIXème siècle, la ville connaît également de nombreuses transformations avec la modernisation et la création d’infrastructures nouvelles, souvent sur le modèle européen. Avec l’augmentation de la population, les quartiers de la ville se recomposent et changent de fonction. Les ambassades ainsi que les résidents étrangers se concentrent à Péra tandis qu’à Galata s’installent les grandes entreprises et les sièges de la finance. Les sultans, à partir de Mahmûd II, quittent le palais de Topkapï et font construire de nouvelles résidences impériales. Ainsi, Mahmûd II s’installe-t-il dans un palais situé sur la rive du Bosphore, au nord de Galata, tandis que son successeur fait construire le palais de Dolmabahtche entre 1853 et 1855 par des architectes arméniens. D’autres palais sont tour à tour construits sur les rives du Bosphore.
Le cœur de la ville se réarticule autour des quartiers de Galata et Péra. Deux ponts sont construits, le premier en 1836 et le second en 1845 sur la Corne d’Or pour améliorer le passage entre les différentes parties de la ville. De nouvelles mosquées, telle que celles de Nusretiye (en 1826) et Dolmabahtche (en 1853), sont construites au nord de la ville. Un chemin de fer est créé, reliant les rives européenne et asiatique. Ce réseau de transport est renforcé par la création en 1851 d’une compagnie de navigation, Chirket-i Hariye, qui dispose en 1908 de 37 bateaux à vapeur.
Cet agrandissement de la capitale a pour conséquence un changement de structures administratives. La ville se dote en 1854 d’un maire et d’un conseil de douze membres. Cette nouvelle administration n’est d’abord effective qu’à Galata et Péra mais, devant la réussite du système, ce fonctionnement est étendu en 1868 à l’ensemble des quartiers de la capitale.
De nouveaux quartiers sont créés, aux rues perpendiculaires, contrastant avec celles des anciens quartiers, et les immeubles sont bâtis sur le modèle européen. L’éclairage au gaz, présent dans la Grande Rue de Péra dès 1856-57 se généralise dans les principales rues vers 1879. Le tramway hippomobile instauré dans la Grande Rue de Péra en 1869 est remplacé à la fin du siècle par un tramway électrique et de nouvelles lignes sont créées.

Constantinople, creuset de la culture et du cosmopolitisme

La population de la ville augmente rapidement et se diversifie. Comptant moins de 400 000 habitants aux alentours de 1840, ils sont 873 000 au recensement de 1886 : "la ville se décompose en 44% de musulmans ; 17,5% de Grecs ; 17,1 d’Arméniens ; 5,1% de Juifs et 15,3% d’étrangers [1]". Entre 1876 et 1878, les troubles dans l’Empire ottoman et notamment dans les Balkans, provoquent l’émigration vers la capitale de nombreux Turcs et musulmans. De plus, le rôle et le statut des différentes communautés changent au cours du siècle. L’édit de Gülhane permet l’émancipation des minorités, qui ont alors la possibilité de travailler dans l’administration. Après l’indépendance de la Grèce (1830) et l’émancipation de l’Eglise bulgare en 1860 puis l’Eglise roumaine en 1885, le rôle politique des Grecs et notamment des Phanariotes diminue considérablement bien qu’ils conservent un rôle économique important. La communauté arménienne monte en puissance tant au niveau de leur influence politique, qui s’étend, que dans la finance où ils supplantent les banquiers juifs. La communauté juive connaît également des changements, elle devient plus libérale et connaît une affluence : le départ des immigrés juifs venus d’Europe de l’Est pour rejoindre la Palestine ou les Etats-Unis se fait via Constantinople. La population étrangère augmente avec l’arrivée des puissances européennes dans le domaine économique : en 1886, elle est composée d’environ 130 000 personnes qui résident essentiellement dans le quartier de Galata-Péra, et est peu présente de l’autre côté de la Corne d’Or où les musulmans sont majoritaires (55% de la population). Constantinople est devenue une véritable ville cosmopolite.
Constantinople est également le creuset de la culture au XIXème siècle. Sous Mahmûd II,le système éducatif est réformé. En 1869, un projet de réforme proposé par le Français Victor Duruy institue l’école du sultan, équivalent au lycée. Des écoles sont également créées par chaque communauté. En 1871 on compte 41 écoles arméniennes à Constantinople. Plus de 50 écoles juives sont créées avant 1900 sous l’action de l’Alliance israélite universelle, ainsi que des écoles catholiques et protestantes. La presse se développe également, notamment avec la parution en 1831 du premier journal ottoman Takvim-i Vekâyi (« Le courrier des événements »). Après 1870, la littérature ottomane se développe à son tour, d’abord par des traductions en turc d’ouvrages tels que le Télémaque de Fénelon (1859) ou les Misérables de Victor Hugo (1862). Vers la fin du siècle, le mouvement de la « Littérature nouvelle » (Edebiyat-i djedîde) apparaît dans la revue Servet-i fünün (« Trésor des sciences »). D’autres institutions culturelles telles que le théâtre ou les beaux-arts apparaissent à Constantinople, avec, par exemple, l’ouverture d’un musé des Antiquités à l’église Sainte Irène en 1847.

Constantinople au XIXème siècle est bien un miroir des transformations qui agitent l’Empire ottoman. De capitale ottomane elle passe au statut de ville cosmopolite qui attire les occidentaux, non seulement en raison d’enjeux économiques et politiques, mais également pour son bouillonnement culturel. De plus, la ville se modernise et se transforme, acquérant le statut de grande capitale européenne. La proclamation de la république de Turquie en 1923 et l’instauration d’Ankara comme nouvelle capitale lui ôte ses attributions politiques, mais elle demeure encore aujourd’hui, sous le nom d’Istanbul désormais, la première ville de Turquie au plan économique et culturel.

Bibliographie :
 Robert Mantran, Histoire d’Istanbul, Paris, fayard, 1996, 382 p.
 Sous la direction de Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1994, 810 pages.

Publié le 16/03/2012


Clémentine Kruse est étudiante en master 2 à l’Ecole Doctorale d’Histoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle se spécialise sur le Moyen-Orient au XIXème siècle, au moment de la construction des identités nationales et des nationalismes, et s’intéresse au rôle de l’Occident dans cette région à travers les dominations politiques ou les transferts culturels.


 


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