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Compte rendu de la revue Questions Internationales, dossier « Iran : le retour », numéro de janvier-février 2016

Par Ines Zebdi
Publié le 26/02/2016 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 9 minutes

Le 14 juillet 2015, un accord sur le nucléaire, fruit de longues négociations, a été signé entre l’Iran et les « 5+1 » (États-Unis, France, Royaume-Uni, Chine, Russie et Allemagne). Cet accord devrait aboutir à la levée des sanctions qui pèsent sur l’Iran depuis plusieurs décennies et permettre au pays de retrouver un rang de puissance économique. La revue Questions Internationales revient à cette occasion sur l’histoire et le profil de ce pays à un moment charnière de son histoire.

L’Iran a de véritables atouts pour occuper une place de puissance régionale, du fait de sa taille et du nombre de frontières terrestres et maritimes qu’il possède, ce qui fait de lui un carrefour géostratégique et culturel entre le monde arabe et l’Asie. Il est également le troisième pays le plus peuplé de la région après l’Égypte et la Turquie, et possède une force militaire importante, s’étendant au-delà de ses frontières. La grande force de l’Iran tient également au fait qu’il a le 4ème rang mondial pour les réserves de pétrole, et le premier pour celles de gaz. Le pays possède également une population très éduquée avec notamment un niveau de formation scientifique très élevé, et une représentation importante des filles dans l’éducation supérieure. L’Iran a su également faire jouer un soft power en s’appuyant sur sa diaspora, qui peut redevenir une force après ces accords, et sur l’image de défenseur de la communauté chiite dont il bénéficie.

Les autorités iraniennes ont mené au début du XXème siècle une politique de renforcement du sentiment de l’État nation, en imposant notamment le persan comme langue nationale et en revalorisant des mythes fondateurs communs, ce qui a été une réussite. Cela étant, le pays reste marqué par une diversité ethnique très importante, avec beaucoup d’autres langues parlées sur son territoire, ce qui pourrait représenter une vulnérabilité pour le pouvoir central. L’Iran a également vu sa puissance limitée par ses alliances dans la région, notamment avec le soutien à Bachar al-Assad, et l’enlisement de la guerre froide entre Riyad et Téhéran, l’Arabie saoudite étant aujourd’hui une puissance économique et financière plus forte. L’économie iranienne a pâti des sanctions imposées et de la chute des prix du pétrole, principale source de revenus du pays. Le pays doit également repenser sa situation environnementale. Actuellement, l’Iran connaît une crise écologique importante marquée par une mauvaise gestion du secteur agricole, un épuisement des nappes phréatiques et une pollution massive du fleuve Karoun, seul fleuve navigable. La majorité des travaux entrepris au niveau écologique et agricole l’ont été par les Gardiens de la Révolution, ce qui donne un aspect religieux à la crise actuelle.

Quelles perspectives après l’accord ?

L’économie iranienne est en crise, et les accords ainsi que la levée des sanctions devraient permettre une relance. Les avoirs gelés qui pourraient revenir à l’Iran sont estimés entre 50 et 150 milliards de dollars US. Quant aux sanctions bilatérales et multilatérales imposées au cours des 10 dernières années, elles auraient coûté à l’Iran 480 milliards d’euros.

Douze années de négociation ont été nécessaires avant d’arriver à l’accord du 14 juillet dernier encadrant la question nucléaire iranienne. Dès 1955, le Chah avait fait part de ses ambitions de développer un programme nucléaire, en acquérant un réacteur de recherche. Son utilisation devait se limiter à un usage civil, et le pays avait signé le Traité de Non-Prolifération pour garder des relations cordiales avec la communauté internationale. En 2002, des opposants au régime, l’Organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran, révèle que le pays aurait l’intention de mener à bien un programme nucléaire n’ayant pas seulement un usage civil. Pour arriver à un accord, l’Europe a imposé certaines conditions de vérification, mais lorsque Mahmoud Ahmadinejad arrive au pouvoir, les discussions s’enlisent et les sanctions du Conseil de Sécurité de l’ONU sont renforcées, jusqu’à un embargo quasi total des États-Unis. L’élection de Barack Obama puis d’Hassan Rohani sont les éléments qui vont faire avancer les négociations. Hassan Rohani, ancien négociateur sur la question nucléaire pour l’Iran au début des années 2000, a fait de cet accord un point clé de sa campagne. Les membres du P5+1 se sont donc engagés en juillet 2015 à suspendre leurs sanctions en contrepartie d’une plus grande transparence pour les contrôles de l’AIEA. La pérennité de l’accord dépend maintenant des dirigeants, Rohani et Obama étant tous les deux face à une échéance électorale en 2016. Il faut noter que cet accord bénéficie du soutien très fort de la société iranienne, qui n’hésite pas à faire pression sur le pouvoir.

Depuis la révolution, l’Iran s’est toujours montré pragmatique et l’on relève des éléments de continuité dans le régime. La théocratie iranienne est double, avec d’un côté les institutions élues, présidence et Parlement, et de l’autre la superstructure révolutionnaire, le bureau du Guide Suprême et le Conseil des Gardiens de la Révolution. Si ces derniers assurent une continuité dans l’État, les politiques savent parfois être pragmatiques, comme on le voit avec cet accord qui satisfait certaines attentes de l’opinion publique, demandeuse d’ouverture politique et économique du pays. L’accord pourrait être accompagné de discussions dépassant le cadre nucléaire, ce qui représente un risque potentiel pour l’autorité du Guide Ali Khamenei. La population est dans l’ensemble favorable au rétablissement des relations diplomatiques avec les États-Unis notamment, mais les groupes conservateurs craignent que l’accord impacte la ligne politique. Rohani a entrepris de renouveler la pensée sur la question de l’identité nationale dans le discours public, dans une volonté de situer l’Iran sur la scène internationale dans un monde globalisé. Les questions de nation et d’identité nationale sont très importantes, mais l’évolution souhaitée implique de lever le voile sur la confusion entre la notion d’isolement et celle d’indépendance dans le discours des dirigeants.

Historiquement, le régime iranien était au début réticent sur la question nucléaire, considérant que cela allait à l’encontre des principes islamiques, mais il va évoluer, notamment lors de la guerre avec l’Irak lorsque Saddam Hussein va se servir d’armes chimiques. Les Gardiens de la Révolution islamique, ou Pasdaran, sont chargés des opérations extérieures et stratégiques et mènent une politique étrangère mêlant hard power et soft power, en gardant notamment des relations cordiales avec des États n’ayant pas de sympathie particulière pour le révolutionnarisme chiite, et en gérant la rivalité avec l’Arabie saoudite par exemple. L’Iran a également mené une diplomatie de bon voisinage avec la Turquie, selon l’état d’esprit « ni amis ni ennemis », même si plusieurs désaccords existent entre les deux pays, notamment sur la question d’Israël ou de la laïcité turque. Les deux tournants importants pour l’Iran dans la région ont été l’Irak en 2003 et la Syrie en 2011. L’intervention américaine en Irak a fait disparaître la crainte de visées expansionnistes, et Téhéran a pu rétablir son influence sur les lieux saints chiites et renouer avec Nouri al-Maliki à Bagdad. La contestation de la dictature de Bachar al-Assad a en revanche posé un problème au pouvoir iranien : la militarisation et la jihadisation sunnite du conflit a notamment conforté le froid entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Le pays s’est donc engagé militairement pour soutenir le régime syrien, non pas par affinité confessionnelle, mais surtout parce que dans les années 80, la Syrie de Hafez al-Assad avait été la seule à soutenir l’Iran contre l’Irak, et avait facilité la création du Hezbollah. Le chiisme est souvent vu comme un soft power de l’Iran, ce qui est vrai, mais l’Irak reste attaché à son identité arabe, les ayatollahs de Nadjaf n’étant pas très proches des thèses de Khomeini ; la Syrie de son côté ne compte qu’un nombre infime de chiites sur son territoire. Les Pasdaran ont également déployé des forces en Irak pour faire barrage à l’État islamique et la présence iranienne en Syrie provoque des tensions, car l’Iran entend surtout maintenir ainsi un allié stratégique dans la région.

La vie politique iranienne fait l’objet d’une importante mise en scène, dans divers shows télévisés, sur les chaînes publiques comme privées, qui prennent une grande importance en période d’élections comme c’est le cas actuellement. Même si la libéralisation économique est lancée, sur le plan politique, les élections ne sont pas ouvertes à tous et les candidats doivent être approuvés par le Conseil des Gardiens de la Constitution. Finalement, l’élite se perpétue, la classe dominante se consolide et monopolise un pouvoir auquel ne peuvent accéder ni les « outsiders », ni les éventuels nostalgiques de l’ancien Régime. Le pays n’est pas pour autant un totalitarisme religieux, car l’imam Khomeini avait veillé à donner la primauté à la raison d’État sur la raison religieuse. Le régime n’est en revanche toujours pas démocratique, la presse et la culture étant soumises à la censure, et la liberté de candidature aux élections n’étant pas entière. La Révolution a certes permis l’ascension sociale d’une partie de la petite bourgeoisie, mais l’élite de la République actuelle et les clercs sont surtout le produit du régime autoritaire de la dynastie Pahlavi.

La levée des sanctions devrait apporter des bénéfices économiques immédiats. Mais Téhéran doit également enclencher des réformes structurelles pour attirer les investisseurs étrangers, et diversifier son économie. Lorsque Rohani est arrivé au pouvoir, l’économie était en crise, mais la situation s’est améliorée avec notamment un ralentissement de l’inflation grâce à un resserrement de la politique monétaire, l’économie ayant souffert de l’effondrement des prix du pétrole. D’après les données, les exportations de 2015 auraient rapporté 50 % de moins qu’en 2014, mais les recettes pétrolières représentant encore 36 % du budget iranien, le pays a dû adopter un budget restrictif. La levée des sanctions devrait permettre à l’Iran de doubler ses exportations de pétrole qui pourraient passer de 1,1 million de barils par jour à 2 millions.

Rohani souhaite rehausser le rôle du secteur privé et attirer les investisseurs étrangers, mais plusieurs défis se posent à lui :
 le taux de change : les autorités ont fait en sorte que l’écart entre le taux de change réel et celui du marché noir se resserre et le différentiel d’inflation entre les États-Unis et l’Iran est fort, mais le rial ne peut pas se permettre une dégradation supplémentaire de sa compétitivité.
 La fragilité du système bancaire : les taux d’emprunts sont compris aujourd’hui entre 21 et 24 % ce qui ne stimule pas l’investissement ; les autorités doivent aussi recapitaliser les banques et effacer les créances douteuses.
 Les subventions du prix de l’énergie : elles ont été réduites, ce qui a fait augmenter le prix de l’essence de 40%. La population recevait des contreparties qui pourraient être désormais réservées aux plus pauvres, mais qui pèsent lourdement sur les finances publiques.
 Les investissements étrangers : pour attirer les investisseurs étrangers, les autorités doivent mettre en place un environnement juridique et économique stable, qui pâtit actuellement de l’importance du secteur public (qui représente toujours 80% de l’économie) et de la corruption.
 La taille du secteur privé : pour l’instant entre les mains d’entreprises familiales, il devrait s’élargir pour créer des emplois et favoriser les exportations non pétrolières.

Les autorités donnent des signes apparents de leur volonté de libéraliser l’économie, mais les difficultés à surmonter ne sont pas négligeables, et la stabilisation de l’environnement macroéconomique passera par un élargissement du secteur privé et de la classe moyenne.

Les échéances législatives de cette semaine sont décisives, car le Parlement reste dominé par les conservateurs, et de leurs résultats dépendra la capacité de Rohani à mettre en place des réformes. Les élections qui commencent aujourd’hui, 26 février, sont particulières car on compte 6 200 candidats, nombre particulièrement élevé. On s’attend à ce que les réformistes remportent un nombre important de suffrages, bien que plusieurs de leurs candidats n’aient pas pu se qualifier ou soient en exil, et que les conservateurs soient présents sur une liste commune dans toutes les provinces. Cette année, 586 femmes se présentent aux élections, alors qu’elles ne sont que 9 à siéger actuellement au Parlement. Le résultat des élections ne modifiera pas la politique étrangère du pays, mais un Parlement coopératif avec Rohani et favorable à sa ligne politique permettra de faire appliquer l’accord du 14 juillet 2015 dans les meilleures conditions.

Auteurs ayant contribué à ce numéro de Questions Internationales :

 Iran : la nouvelle puissance régionale ? par Mohammad-Reza Djalili et Thierry Kellner
 Retour sur douze années de négociations nucléaires, par François Nicoullaud
 Le pragmatisme de la République islamique d’Iran, par Clément Therme
 La realpolitik, une constante de la politique régionale iranienne, par Jean-Paul Burdy
 La professionnalisation de la vie politique, par Fariba Adelkhah
 Une économie en attente de réformes substantielles, par Thierry Coville
 L’autorité dans le chiisme : une perspective historique, par Constance Arminjon
 L’Iran depuis la révolution islamique : quelques éléments chronologiques, par Questions internationales
 « Iran barra, Baghdad tubqa hurra ! » : la relation Iran-Irak, par Myriam Benraad
 Le Plan d’action global commun : un accord de paix nucléaire ? par Charlotte Beaucillon
 Les institutions iraniennes, par la rédaction
 Iran : quelques indicateurs statistiques, par la rédaction
 La diversité ethnique : une question lancinante sous la République islamique d’Iran, par Gilles Riaux
 Turquie-Iran : ni amis, ni ennemis, par Jean Marcou
 La question des femmes : un pas en avant, deux pas en arrière, par Azadeh Kian
 Entre l’Orient et l’Occident : Téhéran, une ville en mouvement, par Mina Saïdi-Sharouz

Publié le 26/02/2016


Ines Zebdi est étudiante à Sciences Po Paris. Ayant la double nationalité franco-marocaine, elle a fait de nombreux voyages au Maroc.


 


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