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Ce numéro de la revue Confluences Méditerranée a pour but de questionner l’idée d’un retour de la puissance russe au Moyen-Orient, en particulier depuis les Printemps Arabes qui ont modifié les équilibres géopolitiques et depuis l’intervention militaire russe en Syrie en 2015. Cette intervention s’est poursuivie par des efforts diplomatiques et politiques pour trouver une issue au conflit syrien lors des conciliations entre l’Iran, la Turquie et la Russie à Astana puis à Sotchi. Le Moyen-Orient est un théâtre et un enjeu majeur pour le déploiement et le renforcement de la puissance russe sur la scène internationale. En effet, depuis 2011 et surtout depuis 2015, la Russie s’impose comme un acteur central menant une politique indépendante dans cette région mais également comme une « puissance de substitution » (p. 9) face à la distance relative prise par les Etats-Unis vis-à-vis des conflits de la région. Y a-t-il une montée inexorable de la puissance russe dans la région comme tendent à le montrer les médias occidentaux ? Peut-on dire qu’il existe une nouvelle politique russe dans la région depuis 2011 ou s’agit-il de changements pragmatiques et tactiques conjoncturels ?
Les différentes contributions à ce numéro nuancent l’idée d’un « retour » ou d’une « nouvelle » politique russe en replaçant sur le temps historique long (depuis le début de la guerre froide) les évolutions de cette politique. Elles tendent également à nuancer l’idée d’une superpuissance russe au Moyen-Orient, à en montrer les complexités, les ambiguïtés et les faiblesses. Les chercheurs adoptent ainsi une lecture critique des événements par l’analyse d’articles de journaux, d’archives diplomatiques ou de textes stratégiques et parfois d’entretiens. La plupart des articles sont issus de communications proposées pour l’atelier « L’échiquier moyen-oriental au prisme de la Russie : apports, limites et enjeux de la politique étrangère russe au Moyen-Orient », organisé à Montréal en mai 2017.
Les premiers articles analysent de manière générale le rôle de la Russie au Moyen-Orient. L’article « La Russie au Moyen-Orient, puissance de substitution ou acteur incontournable » (p. 9-15), écrit par Erik Burgos, doctorant en Science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et Clément Therme, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies de Londres, dresse les principaux questionnements de ce numéro. Avec les articles suivants qui sont des entretiens avec des chercheurs - Jacques Levesque, professeur émérite en Science politique à l’UQAM (p. 17-28) et Taline Ter Minassian, historienne et professeur d’histoire de la Russie à l’INALCO (p. 29-35) - cet article permet de mettre en évidence les principales caractéristiques de la politique russe au Moyen-Orient :
– la présence russe au Moyen-Orient n’est pas nouvelle et se caractérise par des variations sur un temps long mais il existe quelques constantes.
– Contrairement à la stratégie de « regime change » des Etats-Unis et à son interventionnisme au nom de la protection des peuples, la Russie prône la souveraineté des Etats et la non-ingérence dans les affaires intérieures, elle est une « puissance du statu quo » (p. 14).
– La Russie adopte ainsi une politique pragmatique et instrumentale pour garantir ses intérêts économiques et politiques dans la région. Sa politique peut donc varier selon les événements mais aussi selon les différents pays.
– Recherchant un équilibre entre les pays moyen-orientaux, elle se ménage une position mitoyenne et multiplie les rapprochements diplomatiques et stratégiques avec des pays moyen-orientaux qui sont pourtant des adversaires entre eux (rapprochement avec l’Iran et la Syrie mais également accords militaro-industriels avec Israël et rapprochement diplomatique avec l’Arabie saoudite).
– Elle cherche à se doter du rôle de médiateur (processus Astana pour le règlement du conflit syrien, médiation entre les houthis et les dirigeants au Yémen…) et ainsi à se substituer à la puissance américaine qui s’est désengagée de la région depuis le gouvernement de Obama et qui se caractérise par des décisions changeantes et incertaines depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump.
– L’intervention militaire en Syrie et le processus d’Astana ont crédibilisé la puissance russe dans la gestion des conflits. Elle peut être considérée comme un « succès » politique et militaire selon Jacques Levesque (p. 20), Poutine s’imposant comme « maître du calendrier » dans la gestion de la crise syrienne, selon Taline Ter Minassian (p. 34).
– La Russie ne possède néanmoins ni les moyens ni la volonté d’avoir la mainmise sur le Moyen-Orient, ni de contraindre ses partenaires à entamer des médiations. La Russie ne cherche pas à rivaliser avec les Etats-Unis mais plutôt à se ménager une position dans laquelle il pourrait obtenir une force de négociation avec les Etats-Unis.
Dans sont article intitulé « La rivalité russo-américaine en Syrie : une nouvelle Guerre Froide ? » (p. 37-48), Alexander Barkhudaryants, membre de l’Institut Français de Géopolitique à l’Université Paris VIII, s’interroge sur la pertinence du terme de « Guerre Froide » pour qualifier les relations entre la Russie et les Etats-Unis depuis la crise syrienne. Il en analyse les dimensions idéologiques, stratégiques et diplomatiques pour en conclure l’inédit de la situation : « l’expression « nouvelle guerre froide » n’a, selon nous, de véritable intérêt que si l’on met l’accent sur sa dimension « nouvelle » afin d’expliciter en quoi elle est différente de la Guerre froide dans sa définition classique » (p. 46).
Les articles suivants resserrent l’échelle et portent chacun sur les relations entre la Russie et un pays ou une région du Moyen-Orient, permettant une analyse plus fine des dynamiques de ces relations. Ainsi, sont évoquées les relations de la Russie avec certains pays : le Qatar analysé par Victor Valentini, doctorant en Science politique (p. 49-59) ; les pays du Golfe notamment l’Arabie saoudite étudiés par Igor Delanoë, docteur en histoire (p. 60-71) ; l’Iran analysé par Clément Therme (p. 73-83) et les pays du Maghreb notamment l’Algérie et la Libye dans un entretien avec Vassily Kuznetsov, directeur du Centre d’études islamiques et arabes de l’Institut d’études orientales à l’Académie des sciences de Russie. (p. 74-96). Ces différents articles s’attachent à analyser l’histoire de ces relations ainsi que les récents rapprochements entre la Russie et ces pays, leurs raisons et leurs natures. Ces rapprochements politiques, diplomatiques, économiques ou culturels s’accompagnent de divergences entre la puissance russe et les pays du Moyen-Orient. Ils n’inaugurent pas nécessairement de nouveaux partenariats stratégiques entre des partenaires et maintiennent des objectifs stratégiques propres selon leurs intérêts.
Les trois derniers articles portent sur les dimensions économiques de la présence russe au Moyen-Orient et leur enchevêtrement avec les questions politiques, militaires et stratégiques. Erik Burgos, doctorant en Science politique à l’UQAM, évoque ainsi la vente d’armes à l’Iran et ses conséquences sur les relations militaro-industrielles avec Israël (p. 97-111). Par delà les divergences de points de vue sur la question iranienne, la coopération dans ce domaine semble être durable et non durable ou superficielle, motivée par des intérêts tactiques et de court terme. Noémie Rebière, chercheur au Centre de recherches et d’analyse géopolitique à l’Université Paris 8, évoque les enjeux énergétiques dans les relations russo-turques (p. 113-123), ce facteur étant un « révélateur pertinent pour analyser les interdépendances complexes qui caractérisent les relations russo-turques » (p. 122). Enfin, Sébastien Abis, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et Pierre Bergoc, directeur international chez AGRITEL, mettent en évidence le rôle de l’agriculture et de l’exportation des céréales vers le Moyen-Orient dans le déploiement de la puissance russe, d’autant plus que certains pays du Moyen-Orient se caractérisent par une forte insécurité alimentaire. Ces articles montrent ainsi comment le soft power russe se développe au Moyen-Orient.
Laura Monfleur
Elève en géographie à l’Ecole Normale Supérieure et diplômée d’un master de recherche en géographie, Laura Monfleur s’intéresse aux espaces publics au Moyen-Orient, notamment les questions de contrôle des espaces et des populations et de spatialité des pratiques politiques et sociales. Elle a travaillé en particulier sur Le Caire post révolutionnaire et sur les manifestations des étudiants à Amman.
Elle travaille pour la rubrique cartographique des Clés du Moyen-Orient.
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