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L’Institut de recherche et d’études Méditerranée et Moyen-Orient (IReMMO) a proposé vendredi 30 mars 2012 de se pencher sur le Qatar, petit émirat du Golfe (11 000 km²) qui mobilise actuellement l’actualité politique et économique et qui ne manque pas d’intriguer de nombreux observateurs. Pierre Blanc, enseignant-chercheur et rédacteur en chef de Confluences Méditerranée, a animé la discussion entre Laurence Louer, rédactrice en chef de la revue Critique Internationale et chargée de recherche au CERI, et Khattar Abou Diab, professeur des Universités (Paris III) et spécialiste de l’Islam et du Moyen-Orient. Ils ont dressé le bilan de la situation intérieure du Qatar et analysé sa position sur la scène internationale.
Pierre Blanc rappelle l’importance du Qatar dans le Moyen-Orient. Le pays bénéficie de plusieurs atouts : il détient 15 % des réserves de gaz mondial et figure parmi les plus grands producteurs du monde. Son potentiel énergétique est donc immense. Le pays développe, par ailleurs, une stratégie de puissance étonnante en déployant un considérable softpower dans divers domaines tels que le sport ou encore en étendant son influence médiatique grâce à sa chaîne de télévision satellitaire al-Jazeera. Depuis quelques années, l’émirat intervient également dans de nombreux processus diplomatiques. Il œuvre, par exemple, au Liban en mai 2008, ou encore pour la reprise du dialogue entre Hamas et le Fatah. Il établit parallèlement un hardpower en Libye ou en Syrie où il cherche à favoriser une solution militaire.
Laurence Louer signale pour sa part qu’il est encore difficile d’étudier la société qatarie qui reste très contrôlée. On ne trouve dans le pays ni partis politiques ni ONG et le mécontentement semble inexistant. C’est un petit pays de 1,7 million d’habitants avec entre 250 000 et 300 000 Qataris. 85 % des habitants sont donc des expatriés. Le Qatar est un Etat providence particulièrement généreux qui redistribue les rentes bien plus que les autres monarchies du Golfe. Le secteur public embauche 95 % des Qataris. La société n’est pas du tout politisée contrairement au Koweït, par exemple, où il existe une longue tradition d’opposition. L’émirat a en effet été peuplé très tardivement et la famille dirigeante, les al-Thani, qui domine le territoire depuis le début, ont su consolider leur pouvoir grâce au protectorat britannique. La seule menace qui pourrait aujourd’hui peser sur le régime viendrait de la famille princière elle-même. Laurence Louer fait alors remarquer qu’aucune succession dans le pays ne s’est déroulée dans des conditions stables. L’émir actuel, Hamad ben Khalifa al-Thani, s’est emparé du pouvoir après avoir destitué son père en 1995. C’est d’ailleurs la crainte de se faire renverser à son tour qui l’a poussé à organiser des élections municipales à la fin des années 1990. Cette mesure lui a permis de s’assurer un certain soutien et de consolider sa position. Ainsi la libéralisation politique a-t-elle été initiée par le haut et non pas par la société civile. Cette absence de vie politique s’explique en outre par la faible opposition des minorités religieuses dans le pays. Il existe en effet une minorité chiite mais aucun mouvement d’opposition chiite n’existe comme c’est le cas à Bahreïn par exemple. Si l’Etat est fortement influencé par le wahhabisme, il ne procède pas à la discrimination envers sa population chiite qui est parfaitement intégrée au système. Quant à la possibilité d’une contestation sunnite, elle est également contrôlée. Le Qatar accueille beaucoup d’activistes religieux sur son territoire, en provenance notamment d’Egypte et qui ne bénéficient donc pas de la nationalité qatarie. En cas de dérapage, ils peuvent être alors facilement expulsés du pays. De plus, l’Etat détient le quasi-monopole sur toutes les activités caritatives, l’enseignement. Il est alors extrêmement difficile pour la société civile d’exister et de se constituer.
Le peu d’impact du printemps arabe sur la société qatarie semble laisser penser que le modèle social fonctionne. La classe dirigeante a toutefois dû satisfaire les demandes de la population, comme cela a été le cas dans les autres monarchies de la péninsule, en augmentant les retraites par exemple. Plus l’Etat s’enrichit plus les demandes du peuple s’intensifient. Le régime doit donc pouvoir continuer à y répondre. L’émir met régulièrement en garde les Qataris sur les dangers d’un tel modèle social qui ne peut pas perdurer, comme cela avait été le cas avec le commerce de perle qui s’est effondré dans les années 1930 avec la concurrence de la perle de culture japonaise et la baisse de la demande. L’Etat cherche alors à diversifier ses revenus : c’est dans ce contexte que le Qatar souhaite, par exemple, organiser la coupe du monde de football de 2022. Un tel évènement permettrait ainsi d’ouvrir le pays aux investissements étrangers.
Khattar Abou Diab confirme ensuite le fait que le manque de transparence rend l’analyse de la société qatarie difficile. Elle est très conservatrice et est fortement marquée par l’influence du wahhabisme. Si le gouvernement est très actif à l’extérieur, il dirige le pays d’une main de fer. Le printemps arabe a malgré tout poussé le prince à envisager des élections pour 2013.
Khattar Abou Diab explique ensuite la stratégie d’influence mise en place par le Qatar. Le premier cercle du pouvoir, composé du prince et de ses ministres, a établi un jeu d’équilibre osé. On peut l’interpréter, tout d’abord, comme une volonté d’émancipation et de protection face au grand frère saoudien d’un côté et à l’Iran de l’autre. L’émirat craint, en effet, de tomber un jour sous le joug d’une de ces deux puissances. Le Qatar a entretenu pendant un moment de bonnes relations avec tout le monde, aussi bien les Frères musulmans, la Turquie, les Etats-Unis, la France. Il partage notamment de nombreux intérêts avec l’Iran qui exploite des champs pétroliers extrêmement proches. C’est la première fois qu’un si petit Etat réussit à prendre autant d’importance dans la région. Le Qatar tente en fait de remplir, dans une certaine mesure, le vide diplomatique auquel est confronté le monde arabe depuis la guerre d’Irak de 2003. Le gouvernement sait par ailleurs parfaitement valoriser ses atouts. Au moment du coup d’Etat de 1995, le pays était au bord de l’endettement. La puissance actuelle de l’émirat vient donc non seulement de la rente gazière mais également de la très bonne gestion des ressources par le pouvoir. La chaîne de télévision qatarie al-Jazeera a de plus profondément changé le paysage médiatique arabe. Né du hasard en 1996, à la suite de l’échec du projet de BBC arabe financée par l’Arabie Saoudite, la chaîne parvient rapidement à créer un nouvel espace et à rester en phase avec l’opinion publique arabe. La chaine accompagne aujourd’hui le printemps arabe. Si al-Jazeera venait d’ailleurs à délaisser l’actualité syrienne, il n’est pas certain que le mouvement de contestation parvienne à se maintenir. Le Qatar s’implique également de manière plus directe comme on l’a vu en Libye où il a envoyé un certain nombre d’officiers. Son concours a finalement changé les rapports de force et permit de retrouver Kadhafi. L’intervention en Libye était en partie due à l’influence des islamistes dans le pays qui maintient un certain équilibre entre ces derniers et la famille princière.
Il évoque enfin les liens privilégiés établis entre le Qatar et la France qui est un de ses principaux partenaires, quoique le pays cherche à diversifier ses collaborateurs. Il signale cependant que le pays n’investit pas chez les musulmans français contrairement à l’Iran, la Turquie, l’Arabie Saoudite ou encore le Maroc. Toutefois, l’interventionnisme du Qatar n’est pas toujours bien vu dans le monde arabe qui ne veut pas d’un nouveau nassérisme. Il est cependant indéniable que le pays apporte une aide financière précieuse.
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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