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L’Institut du Monde arabe (IMA) accueille, depuis le 3 avril jusqu’au 2 novembre 2025, l’exposition « Trésors sauvés de Gaza-5000 ans d’histoire », en partenariat avec le ministère du Tourisme et des Antiquités de Palestine et le Musée d’Art et d’Histoire de Genève (MAH). Un total de 130 pièces archéologiques découvertes à Gaza viennent y témoigner de la richesse historique du territoire. Non-partisane, cette exposition fait découvrir au visiteur comment Gaza est, depuis plusieurs millénaires, un carrefour de civilisations et une plaque tournante commerciale.
Cette exposition rappelle, dans le contexte du début de la guerre entre la bande de Gaza et Israël le 7 octobre 2023, que le patrimoine archéologique est, lui aussi, touché par cette guerre, mais pas seulement : ne prenant aucun parti, l’IMA rappelle que de nombreux vestiges ont également été détruits ou endommagés par la construction des tunnels du Hamas et ses alliés ou par les pillages provoqués par la guerre [1] et même, plus simplement encore, par l’aménagement urbain de ce territoire parmi les plus densément peuplés du monde [2].
En dépit des épisodes de tensions ou de conflits qu’a connue la bande de Gaza, des équipes franco-palestiniennes y œuvre depuis 1995 afin d’exhumer des pièces archéologiques témoignant de son passé prestigieux et de son histoire particulièrement riche : Gaza a en effet été fortement influencée par les civilisations cananéenne, égyptienne, philistine, néo-assyrienne, babylonienne, perse, hellénistique, romaine, byzantine, arabe et même par les apports culturels des Croisés. C’est donc une partie des artefacts archéologiques retrouvés dans le cadre des fouilles franco-palestiniennes qui sont exposés ici, en provenance directe du Musée d’Art et d’Histoire de Genève (MAH) : celui-ci abrite en effet depuis 2007 une collection de 529 œuvres appartenant à l’Autorité palestinienne, et qui n’ont pas pu retourner à Gaza en raison de l’instabilité sécuritaire quasi-permanente de la bande de Gaza depuis des décennies.
Ces pièces, issues principalement des fouilles franco-palestiniennes commencées en 1995, sont complétées par des artefacts de la collection privée de Jawdat Khoudary, offerte en 2018 à l’Autorité palestinienne et entreposée au MAH. L’intéressé, entrepreneur palestinien dans le BTP, demandait à ses employés de procéder à des fouilles avant de lancer les chantiers (l’Autorité palestinienne n’ayant pas de loi obligeant les constructeurs à réaliser des fouilles d’archéologie préventive lors de travaux) et récompensait les pêcheurs lui ramenant des pièces intéressantes. Fort des artefacts accumulés au fil des années, il fit construire en 2008 dans la ville de Gaza un musée jouxtant le site de l’ancienne cité grecque de Blakhiya-Anthédon afin d’y exposer le passé de ce territoire. Face aux risques encourus pour ces pièces archéologiques - tant en raison des frappes israéliennes que de l’hostilité du Hamas à l’égard de certaines représentations divines dont il exigera le retrait du musée [3] -, Jawdat Khoudary fera don d’une grande partie de celles-ci au MAH. Après de premiers dégâts constatés dès novembre 2023, le musée - et avec lui tous les artefacts y étant encore exposés - a finalement été complètement détruit en février 2024 à la suite de plusieurs bombardements israéliens [4]. La dernière exposition sur le patrimoine historique gazaoui, organisé par le MAH de Genève, remonte à 2007 [5] et avait vu la participation de Mahmous Abbas [6], président de l’Autorité palestinienne. En 2000, l’IMA avait déjà accueilli l’exposition « Gaza méditerranéenne » qui présentait le résultat des fouilles archéologiques entreprises à Gaza par les archéologues palestiniens en partenariat avec les équipes de l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem (EBAF) et du CNRS.
L’exposition est organisée dans deux grandes salles : la première regroupe les artefacts archéologiques et la deuxième expose les destructions et dommages causés par la guerre depuis octobre 2023.
Les pièces sont présentées par période historique. Les vestiges les plus anciens remontent à l’âge du bronze (2300-800 av. J.-C.) ; on y retrouve un manche de poignard à décor géométrique incisé découvert à Tall al-Sakan, un scarabée typiquement égyptien en stéatite émaillée exhumé à Gaza ou encore une figurine de femme dansant et portant un tambourin, une représentation traditionnelle de la religion cananéenne où musique et danse occupent une place fondamentale. Ces pièces témoignent, dès l’âge de bronze, de la place géographique et culturelle qu’occupe Gaza et des échanges au centre desquels elle se trouvait. De fait, la région où se trouve la ville même de Gaza - qui aurait été fondée au IIIème millénaire avant notre ère -, le passage stratégique du gué du Wâdî Ghazza, se trouve sur la route reliant l’Egypte à l’Asie mineure.
A l’âge de bronze succède la période philistine, assyrienne, perse et hellénistique, qui se montrera particulièrement riche : au début du XIIème siècle avant av. J.-C., le littoral levantin voit en effet l’arrivée de vastes contingents de nouveaux arrivants (les « peuples de la mer »), parmi lesquels les Philistins dont Gaza devient l’une des plus importantes cités-états. Au fil des siècles, le territoire gazaoui tombe aux mains des Assyriens en 734 avant J.C. puis des Perses en 539 avant J.C., contribuant à sa prospérité et faisant de Gaza, selon les termes de l’IMA, la « perle de la Méditerranée ». Finalement, la conquête de la ville par Alexandre le Grand en 332 avant J.C., qui rasera Gaza et en massacrera les habitants, pousse la ville à être reconstruite sous influence grecque ; Lagides et Séleucides continueront à s’en disputer le contrôle à la mort du roi macédonien. De nombreuses pièces archéologiques viennent donner un aperçu de la richesse de cette période ; la tête d’un cavalier perse retrouvé à Khan Younis, en date du VIème ou du Vème siècle avant J.C., en est l’un des exemples les plus éloquents, tout comme un fragment de casque de hoplite corinthien dont la caractéristique pointe nasale est parfaitement conservée.
L’une des périodes les plus fastes que connaîtra Gaza reste toutefois celle de l’époque romaine et byzantine (de 97 avant J.C. à 637) : les pièces de cette époque exposées à l’IMA sont, de fait, parmi les plus remarquables de l’exposition. Après la destruction de Gaza par le royaume juif des Hasmonéens en 97 avant J.C., Rome s’en empare 36 ans plus tard et contribue à la restauration de son opulence, construisant par exemple un théâtre ou encore un hippodrome. Les habitants resteront fidèles à l’Empire romain et à ses divinités, y compris alors que ce dernier se christianisait : la fermeture en 402 du temple de Zeus Marnas - sorte de syncrétisme entre le Jupiter romain et une divinité araméenne - par l’évêque Porphyre de Gaza nécessitera l’intervention de l’armée romaine en raison du mécontentement d’une partie de la population. Ce temple, le Marneion, sera remplacé par une basilique byzantine, l’Eudoxia. Gaza continue en effet de prospérer durant l’Empire byzantin : la ville se pare de nombre de nouveaux édifices tels que l’Ecole de rhétorique de Procope, un palais épiscopal, des thermes ou encore une école de mosaïstes. L’une des pièces phares de l’exposition est ainsi l’immense pavement de mosaïque byzantine datant de 579 et prélevé dans le quartier de Dayr al-Balah, à l’emplacement d’une église disparue, exposée au centre de la première salle et qui représente, en cinq rangées de trois motifs, un ensemble d’animaux, d’humains et d’éléments mobiliers parfaitement conservés. Citons également la statue en marbre d’Aphrodite en appui sur un Hermès ithyphallique, d’une conservation tout à fait admirable, retrouvée en mer un pêcheur palestinien au large de Blakhiya.
Enfin, la dernière période étudiée est celle de la présence islamique et ottomane (637 à 1917) ; la ville de Gaza est en effet conquise par les armées musulmanes en 637 et connaît, à partir de ce moment, une islamisation progressive malgré le respect, par les nouveaux maîtres de la ville, du statut des communautés juives et samaritaines locales. Gaza deviendra même un centre de pèlerinage musulman, des rumeurs de l’époque affirmant que le grand-père du Prophète Mahomet s’y trouvait enterré. Riche de son artisanat et de ses diverses activités agricoles et commerciales, la ville continuera de se développer et de se caractériser par une prospérité à laquelle viendront mettre fin les Croisades au XIIème siècle puis, un siècle plus tard, l’arrivée des Mamelouks. La place de pôle commercial majeur de Gaza sur la façade méditerranéenne du Levant s’effacera progressivement durant l’ère ottomane (à partir de 1516) en raison de la création de nouvelles routes commerciales ne rendant plus indispensable le transit par le territoire gazaoui. De nombreuses pièces viennent illustrer cette période, qu’il s’agisse d’ustensiles du quotidien (mortier et son pilon, petite jarre, gourde…) ou de stèles funéraires et linteaux. Si elle n’est pas islamique, l’une de ces stèles funéraires se distingue tout particulièrement : initialement une colonne byzantine en marbre, celle-ci a été remployée en 1917 comme stèle funéraire et placée sur la tombe du lieutenant britannique des Lanciers du Bengale, Fas Lasdowne, décédé le 14 août 1917 durant la Première guerre mondiale ; ses éléments biographiques ont été sculptés à même la colonne qui a été retrouvée sur une dune côtière à Gaza.
La dernière salle de l’exposition est dédiée à la destruction du patrimoine culturel de Gaza depuis le 7 octobre 2023. En s’appuyant sur les travaux de l’UNESCO, et notamment une analyse d’images satellitaires en date du 17 février 2025, l’IMA rappelle que 76 sites culturels de la bande de Gaza ont été endommagés depuis le début du conflit ; recourant à la procédure d’urgence prévue dans la Convention du patrimoine mondial, l’UNESCO a par exemple inscrit le monastère de Saint-Hilarion sur la liste du patrimoine mondial en péril le 26 juillet 2024. Divers sites et les dommages qu’ils ont subis sont ainsi présentés dans cette salle, en exposant des photos prises avant et après le début des affrontements. Qu’il s’agisse du palais du Pacha Qasr al-Basha, de l’église Saint-Porphyre, de la mosquée Al-Umari, du musée de Gaza et de ses dépôts, ou encore du monastère Saint-Hilarion et du complexe ecclésiastique byzantin de Mukheitim, tous ont subi des dommages irréversibles pour la plupart, participant dès lors d’une destruction de la mémoire culturelle du territoire de la bande de Gaza. Un accent tout particulier est mis sur le travail que continuent de mener des Palestiniens pour sécuriser et sauvegarder le patrimoine culturel de la bande de Gaza, bien souvent aux côtés d’associations ou d’organisations de solidarité internationale comme l’ONG Première urgence internationale (avec son projet « Intiqal » [« Transmission »] en partenariat avec le ministère du Tourisme et des Antiquités de Palestine et l’EBAF) ou l’Alliance international pour la protection du patrimoine (ALIPH).
L’exposition « Trésors sauvés de Gaza-5000 ans d’histoire » apparaît ainsi comme une opportunité unique de découvrir la richesse culturelle de la bande de Gaza et la complexité de son histoire, tout en sensibilisant aux menaces pesant aujourd’hui sur son héritage. Le visiteur gagnera par ailleurs à réserver une visite guidée : celle-ci, assurée par des spécialistes de l’IMA, apporte une plus-value informationnelle de grande qualité. L’exposition, riche en explications et en artefacts de grande valeur archéologique, historique et culturelle, apporte une matière à penser indispensable et pourtant quasi-absente depuis le début de la guerre à Gaza en 2023 : des éléments de compréhension historiques apolitiques, non-partisans et scientifiques sur la bande de Gaza depuis les premières apparitions de son nom (en l’occurrence sous le règne de Thoutmosis III, de 1504 à 1450 avant notre ère) permettant d’appréhender l’histoire de ce territoire en s’affranchissant des biais identitaires et politiques véhiculés par les protagonistes du conflit.
A lire sur les Clés du Moyen-Orient :
– Entretien avec Suzy Hakimian, Conservatrice du Musée des Minéraux de Beyrouth : « Le danger est perpétuel d’effacer une mémoire à chaque fois qu’il y a destruction »
– Le trafic d’antiquités au Moyen-Orient : du nettoyage culturel au financement du terrorisme international
– Osman Hamdi Bey, protecteur du patrimoine historique de l’Empire ottoman
– Compte rendu de la table ronde « Les usages de l’Antiquité dans le présent, l’archéologie du Proche-Orient ‘en guerre’ », Les rendez-vous de l’histoire du monde arabe, Institut du Monde arabe, vendredi 25 mai 2018
– Intervention de Daniel Rondeau prononcée lors du colloque sur la « mobilisation pour le patrimoine : Irak, Syrie et autres pays en conflit », le 6 mai 2015 à l’Unesco
Sitographie :
– Trésors sauvés de Gaza - 5000 ans d’histoire, Institut du monde arabe
https://www.imarabe.org/fr/agenda/expositions-musee/tresors-sauves-gaza-5000-ans-histoire
– The Battle to Protect Archaeological Sites in the West Bank, Sapiens, 22 janvier 2025
https://www.sapiens.org/archaeology/west-bank-heritage-looting-destruction/
– Israel’s military campaign in Gaza seen as among the most destructive in recent history, experts say, AP News, 11 janvier 2024
https://apnews.com/article/israel-gaza-bombs-destruction-death-toll-scope-419488c511f83c85baea22458472a796
– The Gaza Strip : Tiny, cramped and as densely populated as London, AP News, 6 décembre 2023
https://apnews.com/article/israel-gaza-hamas-war-90e02d26420b8fe3157f73c256f9ed6a
– Museum Offers Gray Gaza a View of Its Dazzling Past, The New York Times, 25 juillet 2008
https://www.nytimes.com/2008/07/25/world/middleeast/25gaza.html?_r=1&scp=2&sq=archaeology&st=cse&oref=slogin
– Bande de Gaza, une mémoire détruite, Le Quotidien de l’Art, 19 mars 2024
https://www.lequotidiendelart.com/articles/25371-bande-de-gaza-une-m%C3%A9moire-d%C3%A9truite.html
– L’IMA va montrer le patrimoine gazaoui conservé à Genève, Bilan, 15 février 2025
https://www.bilan.ch/story/ed-gazaparis-927687544151
Emile Bouvier
Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.
Notes
[3] https://www.nytimes.com/2008/07/25/world/middleeast/25gaza.html?_r=1&scp=2&sq=archaeology&st=cse&oref=slogin
[4] https://www.lequotidiendelart.com/articles/25371-bande-de-gaza-une-m%C3%A9moire-d%C3%A9truite.html
[5] Il s’agissait de l’exposition « Gaza à la croisée des civilisations ».
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