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Histoire du Liban, des origines à nos jours, de Xavier Baron, lauréat du prix Phénix 2018

Par Mathilde Rouxel
Publié le 09/02/2018 • modifié le 26/04/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

Une histoire de crises

L’histoire du Liban de Xavier Baron est remarquable en ce qu’il dénoue, de l’Antiquité aux dernières crises de 2015, les séries de crises politiques que le pays dut surmonter tout au long de son histoire. Il est difficile d’en faire un résumé détaillé, la richesse de chaque partie ne permettant pour seul compte rendu qu’un regard rapide et traversant. Xavier Baron retrace, sans insister, les périodes phéniciennes, mésopotamiennes, romaines, jusqu’à l’arrivée des Ottomans au XVIe siècle. L’auteur présente alors le statut privilégié de certaines souverainetés au Liban, qui s’opposaient déjà sur des prétextes religieux ou communautaires. En effet, contrairement à ses voisins, comme la Syrie ou l’Irak, le Liban n’a jamais été un État-nation. Il appartenait, jusqu’aux accords de Sykes-Picot, à la « Grande Syrie », bien que le territoire libanais ait détenu une certaine autonomie, de par sa gouvernance morcelée par des souverainetés locales, principalement druzes ou chrétiennes. L’affaiblissement de l’Empire ottoman au XIXe siècle a favorisé l’arrivée des Européens dans la région ; la forte présence chrétienne et l’entente entretenue par les Chrétiens avec les puissances européennes a facilité l’entrée des Britanniques et des Français en Orient.

Au XIXe siècle, alors que les villes étaient plongées dans le bouillonnement de la « renaissance » intellectuelle (Nahda en arabe) dont l’ouverture sur l’Occident permit l’émergence, les conflits intercommunautaires, appuyés par une armée ottomane en perte de puissance, continuaient de faire rage. Xavier Baron s’attarde particulièrement sur le conflit qui opposa dans le Mont Liban les Druzes et les Chrétiens suite à la partition du Mont-Liban en deux « caïmacanats », dirigés par les Druzes au Sud et les Chrétiens au Nord. Ce conflit conduisit au massacre d’environ 15 000 Chrétiens par les Druzes. Il présente aussi en détail les tenants de la grande famine de 1916, provoquée en partie par les Ottomans contre les Chrétiens, et à la suite de laquelle la France s’engagea dans la création, en 1920, d’un « Grand-Liban » autonome de la Syrie. Il réunit la montage, le littoral et la vallée orientale de la Békaa.

Les parties suivantes s’intéressent aux difficultés rencontrées par les différents présidents de cette jeune république libanaise à imposer leur légitimité et un exécutif fort dans le système institutionnel confessionnel imposé par les Français. Fonctionnant avec un pouvoir constitutionnellement divisé en fonction de la démographie communautaire, le Liban s’est retrouvé engagé dans une série de crises politiques, qui conduisirent tant à la guerre civile de 1975-1990 qu’au problème de gouvernance qu’il doit confronter encore aujourd’hui.

En revenant d’ailleurs avec précision sur le déroulement de « la » guerre civile libanaise de 1975-1990 et en analysant les entrées sur la scène libanaise des différents acteurs régionaux, Xavier Baron rappelle que les conflits de 1975-90 ne peuvent être compris autrement qu’en une succession de guerres civiles aux alliances en perpétuelle métamorphose. Confrontés au problème palestinien grandissant, les gouvernements successifs se retrouvent rapidement dans l’impasse, favorisant le développement des milices religieuses au sein de chaque communauté. La question palestinienne a en effet renforcé la fracture entre les Libanais, qui se sont beaucoup repliés dans des identités religieuses qui menaient de part et d’autres du Liban les idéologies du conflit. Mais les dissensions internes ont été doublées par l’ingérence des puissances voisines, Israël et la Syrie, qui se sont associés tout au long de la guerre à l’une ou l’autre des communautés, et par la difficile gestion de crise par la communauté internationale.

Les accords de Taëf signés en 1990 ont conduit l’élaboration d’un nouveau système politique, qui a connu, au fil des années, différents passages à vide. L’assassinat de Rafic Hariri en 2005, Premier ministre après la guerre, provoqua le départ des troupes syriennes qui occupaient le territoire libanais depuis 1990.

La crise continue, malgré l’élection en octobre 2015 d’un nouveau président de la République, Michel Aoun, à la tête de l’État : malgré une dépolitisation générale, les foules continuent de manifester contre la corruption et les inégalités sociales. L’exécutif, trop faible, doit faire face à l’archaïsme du système politique libanais hérité des accords de Taëf au lendemain de la guerre, et à la montée en puissance du Hezbollah, qui s’impose au-delà des frontières libanaises sur la scène régionale.

Des relations complexes avec la Syrie

On y comprend également toute la complexité des relations libanaises à la Syrie. Le partage du territoire né de Sykes-Picot a été refusé par la Syrie, qui a longtemps tenté de reprendre la main sur le Liban, au nom du refus du pouvoir de la puissance coloniale. L’influence, politique, mais avant tout économique - la ligne Beyrouth-Damas étant une route essentielle du commerce et du flux de travailleurs dans la région - de Damas sur les régions libanaises explique leur engagement dans les conflits qui ont déchiré le Liban. Lorsque les troupes syriennes se sont immiscées dans les problématiques de guerre civile à partir de 1976, les inimitiés avec certaines communautés au Liban se sont renforcées. Installée sur le territoire libanais à partir de 1987, elle acte la légitimité de sa présence au moment des accords de Taëf et occupe le pays du Cèdre pendant plus de quinze ans.

La question de la Syrie pose aussi celle de l’Iran allié, qui, par le biais du Hezbollah, gagne en influence au fil des décennies. Le démembrement du pays voisin provoqué par la guerre civile née des grandes manifestations menées par les populations civiles syriennes en 2011 contre le régime de Bachar al-Assad a provoqué de nouvelles complications, à l’intérieur même du système politique libanais, alors que les milices du Hezbollah partaient soutenir en Syrie le régime baasiste contre les révolutionnaires. Le Liban, coincé entre la Syrie et Israël, est particulièrement dépendant des fluctuations régionales, soumis aux grandes puissances orientales (Arabie saoudite comme Iran) et victime des répercussions des guerres civiles qui éclatent aux abords de sa frontière. Ayant dû recueillir plus d’1,7 millions de Syriens réfugiés sur son territoire, le Liban est depuis 2012 dans une situation économique dramatique, que les crises de gouvernance successives ne permettent pas d’endiguer.

Cette Histoire du Liban est la seule histoire disponible en langue française couvrant l’intégralité de l’histoire du Liban, de la préhistoire aux toutes dernières actualités. Elle est incontournable pour comprendre le fonctionnement politique et les gageures sociales auxquels le gouvernement libanais doit faire face aujourd’hui, et pour saisir l’enjeu régional de la stabilité de ce petit pays à la composition sociale et l’histoire politique si complexe.

Note :
(1) “Le 22e prix Phénix à Xavier Baron”, L’Orient-Le Jour, le 30/01/2018. URL : http://www.lorientlejour.com/article/1096980/le-22e-prix-phenix-a-xavier-baron.html

Xavier Baron, Histoire du Liban, des origines à nos jours, Paris, Tallandier, 2017, 589 pages.

Publié le 09/02/2018


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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