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Cléopâtre : de l’Histoire à la légende

Par Emilie Polak
Publié le 11/03/2014 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 10 minutes

Limestone relief of Cleopatra VII, 51-30 BC, wearing the crown of Hathor and a vulture headdress and holding a staff and the ankh sign of life, Temple of Hathor, Roman period, c. 60 BC, Dendera, Egypt

The Art Archive / AFP

L’Empire romain s’est progressivement étendu dans tout le bassin méditerranéen et menace l’autonomie égyptienne. Sur fond de guerres civiles romaines, d’abord entre César et Pompée, puis entre Octave et Marc-Antoine, Cléopâtre tente de gouverner l’Egypte, d’abord aux côtés de ses frères et époux Ptolémée XIII et Ptolémée XIV, puis de Marc-Antoine.
Cléopâtre est une reine dont la particularité est d’avoir traversé les siècles. A une époque où les femmes occupent rarement le pouvoir, Cléopâtre est parvenue à être pharaon d’Egypte et à créer une nouvelle dynastie avec Marc-Antoine, jusqu’à leurs morts, après leurs défaites dans la guerre civile. La légende s’est emparée de cette figure du vivant même de Cléopâtre et jusqu’à nos jours.

Une princesse grecque, pleine de charme

Cléopâtre est née pendant l’hiver -68/-69, sans doute à Alexandrie. Elle est la fille du pharaon Ptolémée XII Aulète (le joueur de flûte) et probablement d’une concubine. Cléopâtre a entretenu le mystère sur ses origines maternelles au cours de sa vie. Son surnom, « Philopator », signifie « qui aime sa patrie » et marque le profond attachement de Cléopâtre à l’Egypte. Ce surnom permet également de supposer que la mère de Cléopâtre était égyptienne. Les Ptolémée se sont toujours défendus d’avoir du sang égyptien et ont revendiqué leurs origines grecques.
L’enfance et l’adolescence de Cléopâtre sont assez mal connues, en raison du manque de sources. Cependant, la situation politique égyptienne est assez mouvementée à cette époque. En effet, en -58 avant Jésus-Christ, Bérénice, demi-sœur de Cléopâtre et seul enfant légitime de Ptolémée XII renverse son père et s’empare du pouvoir. Ptolémée XII récupère son trône, avec l’aide de Pompée, en -55 et entame alors une répression terrible envers ses détracteurs. Bérénice, seule fille légitime est alors condamnée à mort. Dès lors, ce sont les enfants illégitimes de Ptolémée XII qui seront amenés à régner. Dans les règles de succession égyptiennes, un enfant illégitime peut régner, Ptolémée XII lui-même était un bâtard. C’est dans ces circonstances que Ptolémée XII – le père de Cléopâtre – meurt en 51 avant Jésus-Christ alors que Cléopâtre est âgée de dix-sept ans.
A dix-sept ans, Cléopâtre est mariée à son frère cadet Ptolémée XIII, alors âgé de onze ans. Les légendes qui circulent autour de Cléopâtre décrivent une femme d’une grande beauté. Pourtant, peu de descriptions physiques de Cléopâtre sont parvenues jusqu’à nous. La plupart de ces descriptions sont faites par des historiens romains, comme Plutarque, qui écrivent pratiquement un siècle et demi après la mort de Cléopâtre. Celui-ci insiste moins sur la beauté de la reine que sur son charme et sa maîtrise des langues : « on dit que sa beauté en elle-même n’était pas incomparable ni propre à émerveiller ceux qui la voyaient, mais son commerce familier avait un attrait irrésistible, et l’aspect de sa personne, joint à sa conversation séduisante et à la Grâce naturelle répandue dans ses paroles, portait en soi une sorte d’aiguillon. Quand elle parlait, le son même de sa voix donnait du plaisir. Sa langue était comme un instrument à plusieurs cordes dont elle jouait aisément dans le dialecte qu’elle voulait, car il y avait très peu de barbares avec qui elle eût besoin d’interprète [1] ». De fait, les témoignages de la beauté de Cléopâtre résident essentiellement en une pièce de monnaie, conservée au Cabinet des médailles à Paris. L’effigie de la reine sur la pièce de monnaie semble aller dans le sens d’une beauté quelconque : Cléopâtre arbore des traits peu fins et un nez proéminent. Cependant, si la beauté de Cléopâtre semble plutôt appartenir à la légende, son charme est quant à lui, bien réel. Par ailleurs, la maîtrise des langues et la grande intelligence de la reine lui ont permis de jouer un rôle central dans la politique romaine.

L’implication politique d’un pharaon

S’il est difficile de connaître avec précision le physique de Cléopâtre, cerner son caractère se révèle encore plus ardu. En effet, les sources à ce sujet doivent être prises avec précaution. Dans le contexte des guerres civiles romaines, Cléopâtre a pris le parti d’Antoine et a subit une lourde défaite. Après la mort d’Antoine et Cléopâtre, Octave, vainqueur des guerres civiles et empereur des Romains, a mis en place une propagande anti-Antoine et anti-Cléopâtre. Ainsi, les auteurs romains des années qui suivent la mort de Cléopâtre ont développé une légende noire de la reine. Cléopâtre est alors décrite comme une séductrice sans états d’âme et Marc-Antoine comme un homme entièrement soumis à la reine. Dion Cassius, dans son Histoire Romaine 48, 24, 2 écrit ainsi : « Alors, tombé amoureux de Cléopâtre qu’il [Antoine] avait vue en Cilicie, il n’eut plus aucun souci de son honneur, devint esclave de l’Egyptienne et consacra son temps à sa passion ».
Au-delà de la légende, Cléopâtre a participé aux querelles politiques des Romains. Elle a été la maîtresse de Jules César, puis de Marc-Antoine – dont elle fut également l’épouse légitime. Tout commence en 48 avant Jésus-Christ. Cléopâtre est en désaccord avec son frère-époux, Ptolémée XIII. Pompée vient d’être vaincu par César lors de la bataille de Pharsale, au mois de juin. Il décide alors de se rendre en Egypte où il pense qu’il sera soutenu, mais à peine a-t-il poser un pied sur le sol égyptien, le 30 juillet -48, qu’il est assassiné. Ptolémée XIII, en ordonnant l’assassinat de Pompée, espérait obtenir les faveurs de César. La réaction de l’Imperator est totalement opposée à celle escomptée : César est furieux. César tente alors d’intervenir dans les affaires égyptiennes : si l’Egypte n’est pas une province de l’Empire romain, elle est officieusement sous protectorat romain. De plus, l’Egypte est le grenier à blé de l’Empire romain et sa possession s’avère essentielle pour qui veut mener des guerres. César permet donc à Cléopâtre de retrouver le trône duquel son frère-époux l’avait éloignée. Sans doute, leur rencontre, dont Plutarque fait état dans la Vie de César, fut déterminante dans ce choix. Plutarque relate que Cléopâtre, mandée secrètement par César, s’était enveloppée dans un tapis afin de parvenir discrètement jusqu’à lui. Il ajoute : « Cette ruse de Cléopâtre fut, dit-on, le premier appât auquel César fut pris ; il en conçut une idée favorable de son esprit, et, vaincu ensuite par sa douceur, par les grâces de sa conversation, il la réconcilia avec son frère, à condition qu’elle partagerait le trône ». Néanmoins, au-delà des qualités de Cléopâtre, peut-être que le fait que celle-ci ait été d’une trentaine d’années moins âgée que César a joué dans l’attirance de celui-ci. César lui enjoint également, après la mort accidentelle de Ptolémée XIII en -47, d’épouser son plus jeune frère Ptolémée XIV. Si César et Cléopâtre ont eu une liaison, celui-ci ne l’a jamais épousé, la loi romaine ne permettant pas à un Imperator d’épouser une non-romaine. Sans que les motivations de César soient connues, celui-ci fait venir Cléopâtre à Rome en -46. Elle y séjourne deux ans, jusqu’à la mort de César. Au cours de son séjour à Rome, Cléopâtre rencontre de nombreux hommes politiques, dont Cicéron (qui déclare, dans une lettre à Atticus : « Je déteste la reine »). Aux yeux des Romains, bien que reine d’Egypte, elle demeure la Regina meretrix, c’est-à-dire la "reine putain" qui ne doit pas donner de descendance à Rome. Pour autant, Cléopâtre et César ont un fils ensemble, prénommé Ptolémée XV mais que les Romains surnomment « Césarion ».

Après l’assassinat de César, le 15 mars -44, les guerres civiles reprennent entre partisans de César et ses assassins, puis entre Antoine et Octave, les deux héritiers désignés par César. Cléopâtre retourne alors à Alexandrie, où elle fait assassiner son frère-époux Ptolémée XIV afin de régner seule. Les péripéties des guerres civiles conduisent, dans un premier temps, à une partition de l’Empire romain entre Orient – qui revient à Antoine – et Occident – qui revient à Octave. Antoine se rend donc en Orient où il fait la connaissance de Cléopâtre. Tous deux se sont probablement déjà rencontrés à Rome, puisqu’ils étaient dans l’entourage de César. Lorsqu’ils se revoient en Egypte, vers -41, Cléopâtre semble connaître le goût du faste d’Antoine. Elle vient à sa rencontre à bord d’un navire à la poupe dorée et aux voiles pourpres. Elle invite Antoine à bord pour un superbe banquet. C’est alors que débute une liaison qui durera dix ans, jusqu’à leurs morts. Antoine, pris dans les guerres civiles et dans une guerre avec les Parthes – un peuple qui vit en Iran actuel –, rêve de réorganiser l’Asie à partir d’Alexandrie. Il entreprend alors de fonder une dynastie qui descendrait des enfants qu’il a eus avec Cléopâtre. Celle-ci est proclamée « reine des rois ». Par ce titre, Antoine affirme la supériorité de l’Egypte sur le reste de l’Orient.

Les actions d’Antoine et sa générosité envers Cléopâtre déconcertent les Romains. De plus, la politique et la propagande anti-Antoine d’Octave renforcent le mécontentement de la population romaine à l’égard d’Antoine. Il est perçu comme entièrement soumis à la reine et incapable de prendre une décision. La guerre civile, jusqu’ici latente, éclate. Octave se rend en Egypte où il parvient à vaincre Antoine et Cléopâtre lors de la bataille d’Actium, le 2 septembre -31. En août, la ville d’Alexandrie, où s’étaient réfugiés Antoine et Cléopâtre est prise. L’apogée de la légende de Cléopâtre réside dans la mort tragique qu’elle choisit de se donner le 12 août 30 avant Jésus-Christ.

Cléopâtre : mythes et légendes

La mort de Cléopâtre est relatée par divers historiens latins. Il est parfois difficile de connaître la vérité entre les différentes versions. La plus répandue raconte comment Antoine a mis fin à ses jours, au moyen de son épée, après avoir entendu la rumeur du suicide de la reine, sa dépouille est conduite ensuite dans le tombeau que Cléopâtre avait fait bâtir pour elle-même. Octave est alors entré dans Alexandrie et a laissé Cléopâtre se retirer avec ses servantes. Là, les récits divergent : Octave a-t-il laissé Cléopâtre sans surveillance afin de lui permettre de se suicider et d’accréditer les rumeurs la disant lâche ou bien l’a-t-il fait sans supposer l’intention de la reine ? Suétone, dans Auguste, affirme qu’Octave ne souhaitait pas le suicide de Cléopâtre. Plutarque donne le récit le plus complet de la mort de la dernière reine d’Egypte, non sans souligner le fait qu’elle a, une dernière fois, tenté de préserver son royaume. En effet, d’après Plutarque, Cléopâtre aurait essayé de négocier le maintien de sa dynastie auprès d’Octave : c’est l’échec de cette négociation qui conduit Cléopâtre au suicide. La version de Plutarque, empreinte de la propagande octavienne, fait du suicide de Cléopâtre une action politique et non romantique. Pourtant, les thématiques du texte de Plutarque seront reprises et feront de la mort de Cléopâtre un sujet romantique. Plutarque explique le suicide en ces termes : « On prétend qu’on avait apporté à Cléopâtre un aspic sous ces figues couvertes de feuilles ; que cette reine l’avait ordonné ainsi, afin qu’en prenant des figues elle fût piquée par le serpent, sans qu’elle le vît : mais l’ayant aperçu en découvrant les figues : ‘’Le voilà donc !‘’s’écria-t-elle ; et en même temps elle présenta son bras nu à la piqûre. D’autres disent qu’elle gardait cet aspic enfermé dans un vase, et que l’ayant provoqué avec un fuseau d’or, l’animal irrité s’élança sur elle, et la saisit au bras. Mais on ne sait pas avec certitude le genre de sa mort. Le bruit courut même qu’elle portait toujours du poison dans une aiguille à cheveux qui était creuse, et qu’elle avait dans sa coiffure. Cependant il ne parut sur son corps aucune marque de piqûre, ni aucune signe de poison ; on ne vit pas même de serpent dans sa chambre : on disait seulement en avoir aperçu quelques traces près de la mer, du côté où donnaient les fenêtres du tombeau. Selon d’autres, on vit sur le bras de Cléopâtre deux légères marques de piqûre, à peine sensibles : et il paraît que c’est à ce signe que César ajouta le plus de foi ; car, à son triomphe, il fit porter une statue de Cléopâtre dont le bras était entouré d’un aspic. Telles sont les diverses traditions des historiens [2]. »

La mort de Cléopâtre est peut-être la partie de son histoire qui a le plus retenu l’attention de la postérité. Sa mort est devenue un sujet artistique maintes fois développé. Shakespeare s’est ainsi inspiré du texte de Plutarque et des amours d’Antoine et Cléopâtre pour écrire, en 1663, l’une de ses tragédies historiques, Antoine et Cléopâtre. Dans cette pièce, il fait de la reine d’Egypte une héroïne tragique qui meurt pour l’amour d’Antoine, et non pour la perte de son royaume. Les dernières répliques de Cléopâtre sont évocatrices de cette modification dans le traitement du suicide : « Je sens en moi des désirs impatients d’immortalité : c’en est fait ; le jus de la grappe d’Égypte n’humectera plus ces lèvres. Vite, vite, bonne Iras, vite ; il me semble que j’entends Antoine qui m’appelle : je le vois se lever pour louer mon acte de courage, je l’entends se moquer de la fortune de César, Les dieux commencent par donner le bonheur aux hommes, pour excuser le courroux à venir. - Mon époux, je viens ! - Que mon courage prouve mes droits à ce titre. Je suis d’air et de feu, et je rends à la terre grossière mes autres éléments. - Bon, avez-vous fini ? - Venez donc, et recueillez la dernière chaleur de mes lèvres [3] ».

Plus récemment, le cinéma s’est emparé de cette figure mythique. Dès 1899, Georges Méliès fait jouer le rôle de Cléopâtre à une Française, Jeanne d’Alcy. Le film, d’une durée totale de deux minutes, a été considéré comme perdu dans les années 1930, puis a été retrouvé en 2005. On y voit la profanation du tombeau de la reine. Toutefois, le film le plus connu est celui réalisé par Joseph Mankiewicz en 1963 et dans lequel Elizabeth Taylor incarne Cléopâtre. La médiatisation du film est telle que pendant longtemps, le visage de l’actrice et celui de Cléopâtre ont été associés. Ainsi, dans l’imaginaire, Cléopâtre est une reine d’Egypte aux cheveux noirs. Or, d’après les contemporains, la reine est blonde.

Cléopâtre a été une figure de légende, y compris de son vivant. La propagande menée par Octave à son encontre sur fond de guerres civiles explique la difficulté des historiens d’aujourd’hui à cerner le personnage. Par ailleurs, au-delà du mythe romantique de l’amour d’Antoine et de Cléopâtre, les motivations réelles de la reine demeurent indéterminées. Acte d’amour ou acte politique ? L’identité de la reine d’Egypte reste mystérieuse. Néanmoins, la figure de Cléopâtre a traversé les siècles et sa vie a servi de modèles pour de nombreux artistes, écrivains, dramaturges et compositeurs.

Bibliographie :
 http://lesclesdumoyenorient.com/L-Egypte-au-coeur-des-guerres.html
 http://lesclesdumoyenorient.com/L-Egypte-au-coeur-des-guerres-1506.html
 CHAVEAU Michel, Cléopâtre, au-delà du mythe, Paris, 1998.
 DION CASSIUS, Histoires romaines.
 PLUTARQUE, Vie de César.
 PLUTARQUE, Vie d’Antoine.
 SHAKESPEARE, Antoine et Cléopâtre.
 SUETONE, Auguste.

Publié le 11/03/2014


Emilie Polak est étudiante en master d’Histoire et anthropologie des sociétés modernes à la Sorbonne et à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm où elle suit également des cours de géographie.


 


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