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Loin de l’imaginaire d’un Orient mythique des Milles et Une Nuits, le cinéma moyen-oriental, depuis quelques années maintenant, tend à s’ouvrir à des sujets de société, plus durs, mais bien plus réalistes. La femme tient une place importante dans ce renouveau cinématographique, qu’elle soit devant ou derrière la caméra. Comment analyser cette évolution ?
La question des femmes a très tôt attiré les cinéastes du Moyen-Orient. Suivant les revendications grandissantes des femmes dans les sociétés, les metteurs en scène, réalisateurs et producteurs se sont emparés du sujet, le mêlant d’abord à d’autres thèmes sociétaux. C’est le cas du film iranien Une séparation (titre original : Jodariye Nader az Simin), d’Asghar Farhadi sorti en 2011. Double histoire de séparation, séparation homme femme avec le divorce de deux des protagonistes, mais aussi séparation sociale, avec l’opposition entre classe aisée et classe populaire, ce film met en lumière tous les contrastes de la société iranienne. Par le passage subtil d’un affrontement privé à un véritable conflit social, Farhadi dépeint en effet la condition des femmes dans la société iranienne actuelle qui voit s’opposer des femmes accédant à l’indépendance à celles soumises aux décisions de leurs pères, maris ou fils. La femme comme sujet à la croisée des chemins avec d’autres problématiques sociétales : tel est le parti pris de ces cinéastes au masculin. Le film d’Eran Riklis, La fiancée syrienne (2004), en est l’illustration. L’histoire : une jeune fille d’origine druze, Mona, doit épouser un homme syrien, qu’elle n’a jamais vu. Or, Mona vit depuis sa naissance dans un village du plateau de Golan, région frontalière de la Syrie occupée par Israël depuis la guerre des Six Jours. Plusieurs thèmes s’entremêlent ici : les mariages arrangés, sur fond de traditions familiales, le déchirement à la terre d’origine puisque Mona ne pourra, une fois mariée, revenir dans son village natal, et enfin, le conflit israélo-syrien. Le cinéaste israélien, par cette œuvre, épingle toutes les formes d’intolérance, passant de la soumission des femmes aux haines engendrées par un contexte géopolitique sous tensions. La question des femmes, dans les œuvres des cinéastes moyen-orientaux, sert dès lors de base, de socle, à la mise en lumière de phénomènes bien plus généraux ; phénomènes qui finalement, en viennent peut-être à occulter le sujet féminin.
« Les femmes réalisent qu’elles souffraient d’une double menace : que les Occidentaux parlent pour elles, et que les hommes parlent pour elles. Alors elles se sont mises derrière les caméras ». Ces mots de la journaliste égypto-américaine Mona Eltahawy mettent en évidence le manque auquel a été confronté le cinéma moyen-oriental : celui des femmes comme réalisatrices et comme productrices de films. Pour palier à cela, les femmes elles-mêmes ont souhaité jouer un rôle dans la promotion de la femme dans le cinéma. Cet engagement n’est néanmoins pas nouveau puisque dès les années 1970 apparaissaient des cinéastes femmes, à l’image des Egyptiennes Nadia Hamza ou encore Inès Al-Dighidy. C’est l’enjeu qui change : il s’agit aujourd’hui de parler de la condition des femmes, mais d’une façon qui diffère de ce qui a déjà été fait par les cinéastes hommes ou par l’Occident. D’une manière moins brutale, plus personnelle, de nombreuses cinéastes passent derrière les caméras, et cela a deux conséquences majeures dans l’appréhension de la condition féminine. D’une part, dans le choix des thèmes, puisque ces cinéastes restent centrées sur la femme et sur son statut dans la société. D’autre part, et c’est là toute la différence, dans la vision plus intime de la femme, dans la mesure où la profusion de détails, plus réalistes les uns que les autres, permet d’observer et de comprendre la vie des femmes de l’intérieur, de leurs conflits internes, de leurs vies quotidiennes et de leurs luttes. En témoigne l’œuvre récente d’Haïfaa Al-Mansour, Wadjda (2013). L’histoire est simple, celle d’une petite fille de la banlieue de Riyad qui veut avoir un vélo. Mais au royaume wahhabite, les bicyclettes sont réservées aux hommes, car elles sont censées constituer une menace pour la vertu des jeunes filles. Critiquant le fondamentalisme et la polygamie dont est victime son pays, Haïfaa Al-Mansour signe un réquisitoire politique qui encourage la femme saoudienne, voire moyen-orientale, à être son propre chef. Peu de films nous parviennent d’Arabie saoudite, et encore moins des films réalisés par des femmes, c’est pourquoi son succès a dépassé les frontières du seul Moyen-Orient. Cependant encore marginalisés, ces films au féminin peinent à trouver un public régional. Les révolutions au Moyen-Orient, l’ouverture à la démocratie, et la participation des femmes à ces combats politiques sont-elles parvenues à changer la donne à ce sujet ?
Les « printemps arabes » ont permis une visibilité et une présence nouvelle des femmes en dehors de l’espace privé, et cela, le cinéma et les cinéastes femmes l’ont bien compris. Le nombre de femmes dans la rue, hors des champs d’action qui leur étaient alors réservés, a été révélateur d’une prise de conscience d’un nouveau rôle à jouer, de passer de passives à protagonistes de leur destin, de leur condition, de leur histoire. Le film La révolution au féminin (2012) de la cinéaste yéménite Khadija Al-Salami en est un des nombreux exemples. Après le soulèvement politique, le Yémen a été témoin d’une révolution silencieuse, acteur d’un bouleversement de sa société : des jeunes femmes, traditionnellement au foyer mais éduquées grâce à la volonté de leurs mères, prennent la parole. Pour la première fois dans le pays, les femmes sont sorties dans la rue et ont manifesté, revendiquant le droit au travail et refusant le mariage forcé. Galvanisées par le printemps arabe, les femmes yéménites vont-elles réussir à sortir le pays de ses maux les plus profonds ? La révolution au Yémen a permis aux femmes de faire entendre leur voix, et c’est à travers un regard croisé entre la cinéaste et ces femmes qui ont osé prendre la parole et la porter sur la place publique, que le cinéma du Moyen-Orient s’est emparé de la question. Cependant, pour garder l’accès à ces nouveaux espaces de liberté que sont la rue et le cinéma, les femmes doivent pourtant se battre, afin de défendre leurs acquis et conserver leur place dans la société post-révolutionnaire. En effet, les révolutions arabes, une fois l’euphorie des premiers temps passée, ont fait de la question des femmes un sujet minoritaire dans les agendas de processus nationaux de démocratisation, et cela, le cinéma n’en est pas encore le témoin visible.
Dans une région du monde où la femme a une place et un rôle négligés, le septième art est apparu et apparaît comme un moyen d’expression et comme un instrument d’émancipation des traditions, culturelle, de l’espace privé. Mais, si le cinéma oriental féminin est en pleine éclosion, les obstacles demeurent, comme le soulignait en 1991 Wassila Tamzali, responsable du programme des droits des femmes à l’Unesco : « Faire un film est une course d’obstacles. Faire un film dans un pays arabe est encore plus difficile. Faire un film dans un pays arabe, lorsqu’on est une femme arabe, est presque impossible. Et faire un film dans un pays arabe, pour une femme arabe qui choisit de parler de sa condition de femme dans une société arabe, c’est un authentique exploit ».
Bibliographie :
– BITTON, Simone, « Etre femme et cinéaste dans le monde arabe », Le Monde diplomatique, août 1991.
– CHAOUCH, Rebecca, « La révolution cinématographique des femmes dans les pays arabes », Al Huffington Post Maghreb, 19 novembre 2013.
– PASSEVANT, Christiane, « Cinéma, religion et condition des femmes au Maghreb et au Moyen-Orient », L’Homme et la société, n°142, avril 2001, pp.171-175.
Anaïs Mit
Elève à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Anaïs Mit étudie les Relations Internationales en master 2, après avoir obtenu une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers. Elle écrit actuellement un mémoire sur la coopération politique, économique et culturelle entre l’Amérique latine (Venezuela, Brésil et Chili) et les Territoires palestiniens.
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