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Le général Catroux, proche collaborateur du maréchal Lyautey au Maroc mais également du général de Gaulle, fut une personnalité marquante de l’histoire coloniale. Gaulliste convaincu, rallié dès l’été 1940, il s’est illustré par sa politique favorable aux attentes des nationalistes et à leurs aspirations à l’indépendance, en particulier au Levant, estimant nécessaire de s’appuyer sur eux et de négocier plutôt que de les combattre. Cette politique s’est appuyée sur sa perception des populations et sur ses connaissances linguistiques, acquises au cours de ses nombreuses affectations au Levant et en Afrique du Nord.
Georges Catroux est né en 1877. Son père, René-Michel, militaire, se marie le 11 décembre 1871 avec Félicité Solari, d’origine génoise. Ils ont quatre enfants, dont Georges Catroux. Le colonel René-Michel Catroux donne à son fils la vocation militaire. C’est ainsi qu’après des études primaires au lycée d’Anger, Georges Catroux entre au Prytanée militaire de La Flèche, puis après son baccalauréat obtenu en 1896, prépare le concours d’entrée de Saint-Cyr. Il y est admis la même année. A sa sortie de Saint-Cyr, il entre pour deux ans, de 1898 à 1900 au 12 eme régiment de chasseurs alpins à Grenoble, puis demande à être envoyé en Algérie où il apprend l’arabe. Il épouse en 1902 la fille de l’ancien maire de Mascate, Marie Pérez.
Après son affectation en Algérie, Catroux demande à être envoyé en Indochine et arrive à Hanoi en octobre 1902. En 1905, Catroux quitte l’Indochine, puis retourne en Algérie au début 1906, dans la légion étrangère. Le commandant Catroux sert ensuite sous les ordres de Lyautey, au Maroc, et participe à la reconquête du pays. A la suite du départ de Lyautey en France en 1910, Catroux demande à être affecté en Algérie où il reste de 1911 à 1914, dans les bureaux de l’administration algérienne. Le déclenchement de la guerre de 1914 le rappelle en France, mais il est fait prisonnier dès le début du conflit, qu’il passe dans un camp de prisonnier en Allemagne. Lors de sa captivité, il fait la connaissance de Charles de Gaulle, alors capitaine.
En février 1919, le commandant Catroux arrive à Beyrouth, puis se rend en Arabie, à Djeddah, où il dirige la mission française, chargée des relations diplomatiques de la France avec le chérif hachémite Hussein. Catroux doit user de diplomatie avec les Hachémites, dans le contexte de la correspondance Hussein-MacMahon et des accords Sykes-Picot, mais également avec les Britanniques, dont la politique consistait à jouer à la fois sur les Hachémites et sur la famille Saoud. Il quitte Djeddah à l’été 1920, à la suite de la décision du gouvernement français de fermer la mission.
Il est ensuite appelé au Levant par le général Gouraud, haut-commissaire à Beyrouth, dont il devient un très proche collaborateur. La Syrie et le Liban viennent en effet d’être placés par la Société des Nations sous le mandat de la France, à la suite de la Première Guerre mondiale et de l’éclatement de l’Empire ottoman. Avec le secrétaire général du haut-commissariat Robert de Caix, ils travaillent à organiser le mandat de la France en Syrie et au Liban. Alors que Robert de Caix est favorable au morcellement de la Syrie, Catroux, partisan de l’unité syrienne, préfère aller dans le sens du nationalisme en associant notamment les nationalistes au pouvoir. En ce sens, la création d’un Liban indépendant par Gouraud le 1er septembre 1920 et la politique de la France favorable aux chrétiens lui semblent être des erreurs d’appréciation. Il est nommé en août 1920 délégué du haut-commissaire à Damas, poste qu’il occupera jusqu’en décembre 1922. Au cours de ces deux années à Damas, il œuvre à mettre en place en Syrie un gouvernement composé de nationalistes modérés et travaille également à faire adhérer les druzes au mandat français : « Ce même hiver 1920-1921 devait voir également se produire l’adhésion des Druzes au mandat français au terme d’une négociation passionnante d’intérêt pour moi, en raison de son caractère mouvant et de ses alternatives » [1]. A la suite de la démission du général Gouraud, Catroux décide de rentrer en France avec lui en 1923.
Il est alors promu lieutenant-colonel, devient attaché militaire à l’ambassade de France en Turquie, puis revient au Maroc, à la demande du maréchal Lyautey. En 1925, alors que la France fait face à la révolte druze en Syrie, il est invité par le ministre des Affaires étrangères Philippe Berthelot à se rendre au Levant, aux côtés du nouveau haut-commissaire Henry de Jouvenel, afin de participer au règlement de la crise. Il œuvre également à l’établissement d’une constitution au Liban en mai 1926, réorganise et dirige le service de renseignements du deuxième bureau. Catroux conserve ce poste lorsque le nouveau haut-commissaire Henri Ponsot est nommé à l’été 1926. Il demande à rentrer en France en novembre 1927, puis est affecté en Algérie. A son départ du Levant, il est persuadé de l’échec de la politique mandataire française et estime que la seule solution est de donner l’indépendance au Levant, tout en conservant des liens économique et culturel par un traité. Il livre ainsi son analyse, comparant la politique menée par la France avec celle de la Grande-Bretagne, puissance mandataire en Irak : « La Grande-Bretagne allant au-devant des aspirations nationalistes de l’Irak, se préparait à reconnaître l’indépendance de ce pays et à substituer à son mandat un statut de rapports de caractère contractuel, établi par traité. (…) Jugeant prématurée et dangereuse l’initiative de ses alliés et désireux de demeurer maître de sa politique, le gouvernement français se refusa à suivre les Britanniques. Il résista aux pressions que le nationalisme syrien, appuyé par le monde arabe tout entier, exerçait sur lui directement et indirectement. Il en résulta (…) un raidissement progressif des positions respectives et une tension croissante des rapports » [2].
Catroux est nommé colonel en mars 1927, retourne au Maroc, puis en France où il suit la formation du C.H.E.M. De 1931 à 1934, il est en poste à Marrakech où il participe à l’achèvement de la conquête du Maroc. Catroux devient alors général et quitte l’Afrique du Nord au printemps 1935 pour Mulhouse. Il retourne ensuite à Alger où il a pour mission de faire face aux troupes italiennes entrées en Tripolitaine.
Répondant à l’appel du ministre des Colonies Georges Mandel, il est nommé gouverneur général de l’Indochine à l’été 1939. La Seconde Guerre mondiale est alors déclenchée, suivie de la défaite française et de l’armistice. Le général Catroux décide alors de ne pas suivre le gouvernement Pétain et de rester dans la mouvance des Britanniques. Seul militaire en charge de l’Empire à refuser la défaite, il est destitué le 26 juin 1940 par Vichy, rejoint la Grande-Bretagne et se rallie à de Gaulle.
Pendant la guerre, le général Catroux est le plus proche collaborateur du général de Gaulle. Il est tout d’abord nommé par de Gaulle le 14 novembre 1940 délégué général de la France libre au Moyen-Orient, jusqu’au 6 juillet 1941. Il assure également les fonctions de commandant en chef des forces françaises libres au Moyen-Orient. Installé au Caire, centre militaire et diplomatique de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient, Catroux a pour mission de vérifier les possibilités pour la France libre de rallier les Etats du Levant. Sa première idée est de rallier le Levant de façon pacifique, mais il se rend vite compte que le haut-commissaire Gabriel Puaux s’est rangé du côté du gouvernement de Pétain. L’intervention armée en Syrie et au Liban paraît alors la seule façon de rallier le Levant : « Je considérais le problème du Levant sous l’angle des nécessités stratégiques. De ce point de vue, la remise au combat de ce pays, aux côtés des Alliés représentait une grande importance car, en cessant la lutte, l’armée du général Mittelhauser avait grevé d’une lourde hypothèque la défense du Moyen-Orient. (…) Le Levant s’offrait, sous le système de Vichy, comme une proie dont Hitler pourrait se saisir pour déborder la Turquie et marcher sur le Golfe persique et sur l’Egypte » [3]. En parallèle, la révolte en Irak, le soutien allemand aux Irakiens et les atterrissages d’avions allemands en Syrie font craindre une mainmise de l’Allemagne sur cette région stratégique pour le pétrole et les voies de communication. Afin de sauvegarder cette région stratégique, Français libres et Britanniques organisent une opération militaire conjointe en Syrie et au Liban, sous administration de Vichy : la guerre du Levant est déclenchée le 8 juin 1941, opposant les troupes de Vichy aux troupes de la France libre et aux troupes britanniques. Le jour même, Catroux proclame l’indépendance de la Syrie et du Liban. Le 21 juin, de Gaulle et Catroux entrent à Damas, reprise par les troupes alliées. La guerre se termine le 12 juillet et l’armistice de Saint-Jean-d’Acre est signé le 14 juillet. Les négociations de l’armistice mettent en évidence les rivalités entre Français libres et Britanniques, ces derniers cherchant à obtenir le Levant aux dépens des Français.
A la suite de la guerre du Levant, le général Catroux devient délégué général et plénipotentiaire au Levant et conserve également ses fonctions de commandant en chef des forces françaises libres au Moyen-Orient. Il s’installe à Beyrouth et exerce les fonctions de haut-commissaire. Catroux est alors confronté à la manière de gérer l’indépendance proclamée le 8 juin. Il s’y emploie en mettant en œuvre une politique plus souple que celle de ses prédécesseurs et en remettant aux gouvernements syrien et libanais une partie de leurs prérogatives : « En même temps que j’organisais les services directeurs de ma Délégation Générale, je mis en place ma représentation auprès des Gouvernements de la Syrie et du Liban. Je pris soin d’en conformer le rôle et les attributions à la situation d’Etats indépendants que j’avais reconnue à ces pays, en lui donnant le caractère d’un organe politique et diplomatique et, en aucune façon, administrative. L’administration était devenue, en effet, par suite de la levée du Mandat, la prérogative des Gouvernements » [4]. La nouvelle administration de la France libre se heurte cependant aux nationalistes et aux actions des Britanniques, à la fois alliés dans le conflit mondial et concurrents au Levant, qui interviennent dans plusieurs sujets, dont celui de la tenue des élections. Catroux propose alors d’organiser des élections en Syrie et au Liban ainsi que de remettre en marche les constitutions suspendues par Gabriel Puaux en 1940, afin d’aller dans le sens des nationalistes. Les élections se tiendront finalement à l’été 1943. Les difficiles relations avec les Britanniques se poursuivent et se renforcent en février 1942 à la suite de la nomination du général Spears à la fonction de chef de la mission britannique au Levant.
Mais les jours de la France au Levant sont comptés, comme l’a compris le général Catroux, et comme le confirment les événements de 1943 au Liban : « En novembre 1943, le Comité de la Libération Nationale eut à surmonter une crise survenue dans les rapports franco-libanais, crise dont on mesurera la gravité aux conséquences extrêmes qu’elle faillit entraîner. Cette crise fut, en effet, sur le point de consommer définitivement la rupture des liens séculaires qui attachaient le Liban à la France et la ruine de l’alliance franco-britannique » [5]. Mais avant que ne se déclenche la crise de novembre 1943, Catroux est nommé à d’autres fonctions et quitte le Levant : en juillet 1943, il est nommé par de Gaulle commissaire d’Etat aux Affaires musulmanes et gouverneur général de l’Algérie. Jean Helleu, ancien ambassadeur de France à Ankara, lui succède au Levant. Les élections organisées en Syrie en juillet et au Liban en août-septembre 1943 portent au pouvoir des nationalistes. Elu à la présidence de la République libanaise, le nationaliste Bechara Khoury demande l’indépendance immédiate. Dans les faits, le gouvernement libanais décide de retirer de la constitution tous les articles ayant trait à la France et au mandat et le 8 novembre 1943, le Parlement libanais adopte une nouvelle constitution qui met fin au mandat. Jean Helleu réagit le 11 novembre par l’arrestation du Président libanais Bechara Khoury, du Premier ministre Solh et de six ministres. Le général Catroux est alors envoyé au Liban afin de dénouer la crise et pour lui, la seule solution consiste à libérer le gouvernement. Mais les ingérences britanniques et l’ultimatum anglais demandant de libérer le gouvernement pour le 22 novembre obligent Catroux à obtempérer, afin d’éviter une intervention militaire de la Grande-Bretagne au Liban et l’établissement de la loi martiale. Cette gestion des événements est contraire à celle de de Gaulle, qui ne veut pas donner le sentiment de céder aux Britanniques, et qui, à la différence de Catroux, ne considère pas les nationalistes comme une réelle force politique. Catroux décide alors, de sa propre initiative, de libérer le gouvernement libanais. Il organise ensuite la succession de Jean Helleu et prépare également les étapes de l’indépendance syrienne, puis retourne à Alger : « La crise était close. Elle se soldait pour nous par l’abandon de ce qui nous restait des pouvoirs mandataires et par la reconnaissance implicite de l’indépendance complète de la Syrie et du Liban » [6].
Le général Catroux poursuit alors sa mission en Algérie en tant que gouverneur général puis est nommé par de Gaulle ambassadeur de France à Moscou, fonction qu’il prend fin février 1945 jusqu’en avril 1948. Il est alors nommé conseiller diplomatique, puis invité par de Gaulle à rejoindre le RPF, est envoyé en mission pour le gouvernement français au Maroc et en Algérie, et remplace en 1957 Edouard Herriot à la direction du Centre de politique étrangère. Il meurt le 21 décembre 1969 au Val de Grâce.
Bibliographie :
Général Catroux, Deux missions en Moyen-Orient, 1919-1922, Paris, Plon, 1958, 241 pages.
Général Catroux, Dans la bataille de la Méditerranée, Egypte, Levant, Afrique du Nord, 1940-1944, Paris, Juillard, 1949, 443 pages.
Henri Lerner, préface de Jean Lacouture, Catroux, Paris, Albin Michel, 1990, 432 pages.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.
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