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Une saga égyptienne est le récit écrit par Cherifé Kurhan Hanem Effendi (1894-1973), arrière petite-fille de Méhémet Ali Pacha, vice-roi d’Egypte de 1804 à 1849, « Napoléon égyptien, fondateur d’un Etat moderne et puissant qui avait osé défier le Sultan ». Il est à l’origine de la dynastie qui régna en Egypte jusqu’en 1952. Ce récit a été publié à l’initiative du petit fils de Cherifé Kurhan Hanem Effendi, Ali Kurhan, et de son épouse Caroline, qui ont également écrit des ouvrages sur Méhémet Ali et sur l’histoire de l’Egypte. Ce récit, vivant et très riche en anecdotes sur la famille royale, sur la vie quotidienne et sur le contexte historique de l’Egypte, du Moyen-Orient et des relations de cette région avec l’Europe, est illustré de nombreuses photos.
Cherifé Kurhan Hanem Effendi relate le lien unissant Méhémet Ali et ses descendants : « Méhémet Ali était toujours parmi nous. Il veillait sur nous tous, ses descendants. Comment expliquer ce lien intemporel, intangible qui nous reliait à lui, à notre besoin constant de se rapprocher de lui ? ». Elle livre également sa perception des événements qui se déroulèrent en Egypte.
La vie de Méhémet Ali est rappelée, ses origines et ses actions, ses liens avec la France : « Il aimait avant tout la France à qui il devait en 1840 sa vice-royauté à titre héréditaire. Il recommanda à tous ses descendants de parler français comme un devoir sacré en signe de reconnaissance ». Un chapitre est ensuite consacré à Halim Pacha (1831-1894), fils de Méhémet Ali et grand-père maternel de Cherifé Kurhan Hanem Effendi. Elle relate en particulier son voyage en France, accompagné de trente jeunes égyptiens, envoyés faire leurs études à l’école polytechnique. Au cours de son séjour en France, « il était la coqueluche du tout Paris. Les gazettes rapportaient tous ses faits et gestes. C’était un prince accompli et la diplomatie française misait à long terme sur lui. N’avait-il pas une chance un jour de devenir vice-roi d’Egypte ? ». Elle raconte également son retour en Egypte, la succession de Méhémet Ali et les pressions européennes, les rivalités entre la France et la Grande-Bretagne, l’exil de son grand-père à Constantinople. Un portrait de Saïd Pacha Le Kurde (1822-1907), grand-père paternel de Cherifé Kurhan Hanem Effendi est également dressé.
L’histoire des parents de Cherifé Kurhan Hanem Effendi est ensuite retracée. Sa mère est la princesse Emina Halim (1868-1926), fille de Halim Pacha et son père est Chérif Pacha (1868-1951), fils de Saïd Pacha Le Kurde. Chérif Pacha était saint-cyrien, aide de camp du sultan Abdul Hamid II, et fut nommé ambassadeur de l’Empire ottoman à Stockholm en 1894. Cherifé Kurhan Hanem Effendi se souvient ainsi de ses premières années à Stockholm : « En Suède, mon enfance fut heureuse, j’appris à parler suédois et ainsi j’eus de nombreuses amies suédoises », elle est ensuite envoyée dans un pensionnat en Angleterre. Viennent ensuite les années passées à Paris, où ses parents s’installent en 1908, leurs liens avec les responsables politiques français, l’opposition de son père aux Jeunes Turcs, qui « lui vouaient une haine mortelle et l’avaient condamné à mort par contumace en juin 1913 », la création de son parti « L’entente libérale » et la tentative d’assassinat dont il fut victime en 1914 à son domicile parisien. Il s’engage également pour la cause des Kurdes et est nommé représentant de ces derniers en 1919, lors de la conférence de la paix.
Cherifé Kurhan Hanem Effendi se marie en 1912 à Salih Bey, lieutenant dans l’armée turque et fils du général Hüsnu Pacha, gouverneur militaire de Kirkouk et de Mossoul. Ils ont un fils en 1914, Méhémet Emin.
Elle fait également part des souvenirs qu’elle a du sultan Hussein, fils du khédive Ismaël, et qui règne en Egypte de 1914 à 1917. A la suite du protectorat britannique « imposé » par les Anglais en décembre 1914, le sultan Hussein analyse : « Je suis prisonnier de guerre ! », et attend la fin de la guerre afin de se rendre à Londres « pour mettre fin à cet état de chose ». Il meurt avant d’avoir pu réaliser son projet le 9 octobre 1917. Le prince Fouad lui succède.
Cherifé Kurhan Hanem Effendi raconte ensuite son retour en Egypte en 1915, la naissance de son second fils Méhémet Ibrahim cette même année, la révolution de 1919, le règne du roi Fouad, qui meurt en 1936 : « Ce fut un roi craint mais non aimé de son peuple. Ami et protecteur des Arts et des Lettres, il avait exercé le pouvoir sans faiblesse. Jaloux de ses prérogatives, il avait du composer avec une Constitution et un parti le Wafd dont il avait cherché tout au long de son règne à rogner les pouvoirs et les droits ». Elle raconte également les difficultés de leur installation en Egypte : « Notre installation en Egypte ne passa pas inaperçue. Le Haut-commissaire, Lord Maxwell s’étonna qu’un officier turc vienne s’y installer en ces temps troublés de Première Guerre mondiale. Il voulut l’expulser. J’alertais mon père qui joignit Churchill qu’il connaissait bien (…). Mon mari resta en Egypte avec un statut d’apatride ».
Suivent le portrait de la princesse Chivékiar, épouse du prince Fouad dont elle divorça, puis la narration de plusieurs événements : le décès de ses parents, le règne du roi Farouk. A ses débuts, il est acclamé par le peuple égyptien : « Un peuple entier le portait pour libérer le pays du joug anglais. Sa jeunesse, sa beauté, grand blond aux jeux bleus avec un désarmant sourire, sa simplicité lui firent immédiatement gagner la sympathie de son peuple. Il était chéri par son peuple, il était Farouk le bien aimé. Il était le premier roi parfaitement arabophone ». Est ensuite rapporté son mariage avec la reine Farida : « il y eut un mariage royal avec une couverture médiatique comme ceux qui se passaient en Europe ». Cherifé Kurhan Hanem Effendi relate aussi la vie quotidienne de sa famille en Egypte.
Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale divise les Egyptiens, les uns étant en faveurs de l’Axe, les autres en faveur des Alliés. Les interventions britanniques dans la politique égyptienne, avec la nomination de Nahas Pacha au poste de président du Conseil, porte un rude coup à Farouk, qui « ne fut plus jamais le même ».
A la suite de la guerre, la vie de la famille de Cherifé Kurhan Hanem Effendi reprend son cours, tandis que le pouvoir du roi Farouk vacille. Selon elle, « il commit à mon avis trois fautes ; afficher une solidarité panislamique dans laquelle l’Egypte avait peu à gagner, engager son pays dans la guerre de 1948 et se proclamer roi du Soudan. Tout cela, à bien y regarder, était considéré comme autant de provocations par les Britanniques. Churchill disait ouvertement qu’il fallait se débarrasser du roi Farouk ». Outre cette politique, « la monarchie souffrait (…) des écarts du roi ». Le coup d’Etat des Officiers libres du 22 juillet 1952 met fin au règne de Farouk, qui part pour l’exil. En 1953, la république est proclamée et Nasser prend le pouvoir. A la suite du départ du roi Farouk, les biens de la famille royale sont confisqués. C’est la loi dite de la Confiscation. Le mari et l’un des fils de Cherifé Kurhan Hanem Effendi quittent l’Egypte, « le premier en se faisant expulser, le second en signant un engagement selon lequel il ne reviendrait plus ». Cherifé Kurhan Hanem Effendi, son autre fils Méhémet Ibrahim, sa belle-fille et leurs enfants restent en Egypte, « car nous n’avions nulle part où aller. Si nous avions pris la décision de partir, on ne nous aurait pas autorisés à revenir. Tous nos bien étaient en Egypte et le fol espoir de les récupérer un jour nous habitait ». Son mari meurt en exil à Istanbul en 1973.
Une nouvelle vie s’organise alors : « on se construisit alors une nouvelle existence mais partout le vulgaire triomphait », et Cherifé Kurhan Hanem Effendi devient alors « une exilée de l’intérieur ». D’autres portraits de la famille clôturent ce récit, ainsi que les initiatives de Cherifé Kurhan Hanem Effendi afin que ses petits enfants étudient en France. Elle meurt en 1973. Son fils Méhémet Ibrahim et son petit fils Ali tentent alors, jusqu’à aujourd’hui, de récupérer ce qu’ils ont perdu.
Caroline et Ali Kurhan, Une saga égyptienne (1805-2010), Paris, Riveneuve éditions, octobre 2010, 247 pages.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.
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