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Le long des escaliers de Gemmayze, au Nord Est de Beyrouth, un petit atelier borde la chaussée. A l’intérieur, des peintures représentent la capitale libanaise sous toutes ses facettes. C’est ici que le peintre libanais Brahim Samaha trouve son inspiration. Installé depuis 12 ans dans le quartier historique beyrouthin, il dédie toute ses peintures à la capitale libanaise, dans laquelle il a passé la majeure partie de sa vie : « je ne sais pas comment expliquer rationnellement mon envie de peindre cette cité. Elle est centrale dans ma vie et donc très présente dans mon esprit. Et Beyrouth, c’est l’histoire de mes ancêtres. C’est une évidence pour moi de la peindre. » Né dans un village aux abords de la capitale, il développe très jeune l’envie de s’exprimer par l’art : « quand j’étais petit, j’avais un grand besoin de m’exprimer, de faire sortir des choses en les représentant sur des matières, quelles qu’elles soient. Cela m’a fasciné. On peut exprimer beaucoup d’idées sans parler. » L’artiste ne se réalise pas seulement dans la peinture : « j’ai commencé en réalisant des installations et puis j’ai évolué. J’ai ensuite décidé de me tourner vers la peinture. » Malgré le regard posé par la société libanaise sur le monde artistique, il décide de vivre de ses œuvres : « dans l’esprit de la population libanaise, artiste-peintre, ce n’est pas un travail », affirme-t-il.
Pour se former, il se rend à Rome : « j’étudie pendant quatre ans aux Beaux-Arts, je me spécialise en gravure et je fais un peu de sculpture. Des amis ouvrent alors une galerie-atelier au centre de Rome, je décide de me greffer à leur projet. » Après l’Italie, il revient au Liban : « je voulais être auprès de ma famille et j’avais beaucoup de projets en tête. J’ai trouvé cet atelier idéal pour les mettre en œuvre. »
Situé à Gemmayze, son atelier est niché non loin du port de Beyrouth. Le 4 août 2020, il est soufflé par l’explosion. Bouts de verres incrustés dans les cadres, dessins défigurés, ses œuvres représentant Beyrouth sont ébréchées. Elles illustrent tristement les blessures de la ville au lendemain de la catastrophe. Quelques mois plus tard, l’artiste libanais décide d’exposer ses peintures abimées par l’explosion. Son atelier prend des airs de galerie temporaire. Baptisée « SHE », l’exposition rend hommage à la ville : « même si mes peintures n’avaient pas été abimées, je les aurais exposées, car toutes mes œuvres représentent la capitale libanaise. Elles lui rendent hommage. Il était impossible pour moi de ne pas faire quelque chose pour les victimes, pour notre communauté. » L’exposition est une occasion de faire parler de la ville et de ses blessures après l’explosion : « la vente des tableaux a d’ailleurs permis de soutenir des ONG locales et l’Agenda Culturel [1] » assure-t-il.
Toutes les peintures de Brahim Samaha représentent des quartiers de la capitale libanaise qui l’ont marqué au court de sa vie : Gemmayze, Mar Mikhael, Furn el Hayyek, et parfois, la capitale dans son ensemble.
Dans son travail, il met en avant les discordances qui dessinent la ville, faite de mélanges improbables et d’intenses contradictions. Des antagonismes qui font son charme, comme dans cette peinture représentant la rue du Musée Sursock :
Historiquement rempli de petites habitations, le quartier du Musée d’art contemporain a rapidement changé ces deux dernières décennies. Un jour, des travaux sont enclenchés pour construire un immeuble moderne, côté à côté avec des petites bâtisses anciennes. Brahim Samaha est interpellé, il décide de peindre le contraste : « je veux montrer comment l’architecture est constamment remodelée à Beyrouth » dit-il. Ce conflit entre des différences a priori inconciliables est central dans son travail : « c’est la plus belle ville bipolaire au monde. C’est cette bipolarité qui donne son charme à Beyrouth. On retrouve ce contraste illogique dans toutes les facettes de la capitale libanaise. » Ces contrastes illustrent d’ailleurs les disfonctionnements du Liban selon lui : « Beyrouth représente en quelque sorte ‘’l’absurdité’’ du pays. » L’artiste ajoute : « Si on peut véritablement parler d’un pays… »
Au Liban, les identités s’entremêlent, se complètent et entrent parfois en contradiction. Plutôt que de parler d’une identité libanaise à part entière, l’artiste préfère mettre en avant les identités citadines : « il est difficile d’écrire l’histoire libanaise. Il est plus aisé de décrire l’histoire de chaque cité. C’est ce que je tente de faire avec Beyrouth. »
Lire les parties 1 et 2 :
– Beyrouth bouleversée - La métamorphose d’une capitale (1/3). Entretien avec Caecilia Pieri sur l’évolution de l’architecture à Beyrouth : « L’explosion a réalisé en deux minutes ce dont les promoteurs immobiliers rêvaient : détruire des immeubles charmants habités par des familles modestes »
– Beyrouth bouleversée - La métamorphose d’une capitale (2/3). Entretien avec Rita Bassil sur l’évolution de l’art au Liban : « après l’explosion, on remarque un retour vers la ruine de l’après-guerre civile (1975-1990) dans les œuvres »
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
Notes
[1] Depuis 1994, « l’Agenda Culturel est le seul magazine imprimé et en ligne spécialisé dans la promotion des activités culturelles au Liban » : https://www.agendaculturel.com/
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