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La reconstruction du centre-ville de Beyrouth après la guerre civile (1975-1990) est le principal symbole de la renaissance de la ville et de la réconciliation nationale. « Plus que tout autre lieu, il incarne la promesse d’un nouveau départ pour le pays ».
La reconstruction du centre-ville a été attribuée par le pouvoir libanais à une société privée, Solidere, qui a élaboré un vaste plan de modernisation autour de grandes infrastructures commerciales. Mais, malgré les réussites indubitables du projet en ce qui concerne l’amélioration de l’image du centre, il subsiste de nombreuses limites qui ne manquent pas d’attiser les contestations.
Lire la partie 1 de l’article : Beyrouth (1) : la reconstruction à l’échelle métropolitaine
Carte : Les principaux aménagements du projet de reconstruction du centre-ville
Le projet de reconstruction du centre obéit à deux objectifs principaux, selon Debié et Pieter (2003) :
- Sur le plan social, il s’agit de recréer un espace de rencontre entre les habitants, de retrouver les pratiques de tolérance et de coexistence sociale et communautaire qui existaient dans les anciens souks.
- Sur le plan économique, il s’agit de moderniser la ville en développant le secteur des services, dans le but de renforcer l’attractivité de Beyrouth et de lui donner ainsi une place de premier ordre dans la compétition entre les villes de la région pour attirer les capitaux. Autrement dit, l’enjeu est de créer un pôle régional tourné vers la finance, les affaires et le tourisme, comme le notent Brunot Marot et Serge Yazigi (2012).
Le gouvernement choisit d’attribuer la reconstruction au secteur privé. Ainsi, la société Solidere est créée en 1994 par Rafic Hariri, le Président du Conseil. Cette collusion des intérêts politiques et économiques suscitera de nombreuses critiques.
Solidere est créée sur le modèle d’une gigantesque AFU (Association Foncière Urbaine) où les propriétaires et ayants droit du centre-ville deviennent actionnaires de la société, en contrepartie de la cession de leurs propriétés. Au final, 2/3 du capital est détenu par les ayants droit et 1/3 par des investisseurs extérieurs, nécessaires pour le financement des gigantesques infrastructures.
La société reçoit pour mission de réaliser des travaux conformément à un schéma approuvé par les autorités, sur un espace de 4,7 millions de m² et sur une durée de 25 ans.
Les principaux secteurs visés sont les services, en particulier le tertiaire directionnel et financier, le commerce (notamment de luxe), le secteur hôtelier et touristique. On observe une mutation des fonctions du centre-ville : les souks traditionnels, symbole de mixité sociale, mais durement touchés par la guerre, sont remplacés par des activités de bureaux et des centres commerciaux. 40% des surfaces doivent normalement être consacrées au secteur résidentiel, visant surtout les classes moyennes supérieures et les classes aisées (expatriés européens, hommes d’affaires du Golfe …). La réalisation majeure est la construction d’un énorme remblai de 64 ha sur la mer, constitué à partir du traitement des ordures rejetées dans la baie durant le conflit. Le programme de réalisation du projet est toutefois indicatif. Il s’adapte à la conjoncture économique : récession de 1998-2000 ; reprise des activités après le 11 septembre 2001 (où de nombreux capitaux sont rapatriés de pays arabes considérés comme instables vers le Liban).
La première phase du projet dure de 1994 à 2004. La principale réalisation est la réhabilitation du quartier du mandat français, avec ses ensembles architecturaux en pierre ocre et leurs motifs néo-levantins. Des rues piétonnes sont créées dans les quartiers Foch-Allenby et Maarad, aux alentours de la place de l’Etoile. De nombreux restaurants, hôtels et commerces sont ouverts. Puis l’aménagement atteint les quartiers résidentiels d’Abu Jamil et de Saïfi, où des immeubles d’habitation sont réhabilités ou reconstruits. D’autres aménagements en revanche, tels que la construction en 2000 (à la suite de surenchères confessionnelles) de l’énorme mosquée Al-Amin sur la place des Martyrs, écrasant de sa taille la cathédrale maronite, écornent un peu l’image d’une réconciliation confessionnelle exemplaire.
La deuxième phase a débuté en 2005 et devrait s’achever en 2030 selon le site internet de Solidere. Les aménagements se poursuivent dans le centre, et gagnent le front de mer. Par exemple, à l’Ouest du centre-ville, le complexe de « Zaitunay Bay » est aménagé selon un projet touristique et immobilier. Une marina pouvant accueillir plus de 100 bateaux a été construite. Autour de la baie, des complexes commerciaux et des gratte-ciels ont été construits, faisant grimper les prix de l’immobilier.
Si la reconstruction du centre-ville fait état de nombreuses réussites en ce qui concerne la modernisation du bâti, l’implantation d’activités économiques dynamiques et l’attrait de capitaux, le projet connaît certaines limites.
La concession, au départ limitée à 25 ans, a été prolongée de 10 ans. Par ailleurs, une grande partie des terrains restent en attente d’investissements et sont utilisés comme parkings ou activités temporaires. L’utilisation du remblai (qui a coûté 230 millions de dollars) est indécise. L’idée d’y construire un circuit de Formule 1, pour récupérer les recettes des droits télévision, a été finalement abandonnée, et c’est plutôt l’idée d’un parc qui a été retenue.
Aidée par la puissance publique, Solidere exproprie les propriétaires du centre pour acquérir les terrains nécessaires à son projet. En échange, ces propriétaires deviennent actionnaires de Solidere. Cependant, les indemnisations sont souvent jugées insuffisantes. Certains se disent qu’ils auraient fait de meilleures affaires en gardant leur propriété. Hervé Dupont, ancien Directeur de Solidere, note que cependant : « si Solidere fait des profits, ce qui est le cas, ce sont les propriétaires-actionnaires qui en profitent. Avec une action à 23 $ contre 10 $ à l’origine, l’indemnisation des propriétaires est déjà multipliée par 2,3. Ceci sans compter les dividendes versés. ». Les conséquences d’un renversement du cours de l’action ne sont en revanche pas évoquées.
Par ses réalisations de complexes commerciaux ou hôteliers, le projet contribue à réduire de plus en plus les espaces publics, dans lesquels les Beyrouthins peuvent circuler librement. Par exemple, une opposition à ce modèle de développement urbain privatisé est visible autour du nouveau front de mer de « Zaitunay Bay ». L’association citoyenne « Masha3 » dénonce la progressive privatisation de la baie, mais aussi la fermeture d’autres espaces publics du centre comme la Place des Martyrs.
Les démolitions du tissu urbain traditionnel (villas de style ottoman ou vénitien du XIXème siècle, maisons au style colonial datant du mandat français,…) et des vestiges archéologiques sont importantes. Heiko Schmid (2002) publie une carte de la destruction du bâti selon les années. Les démolitions jusqu’à la fin de la guerre civile sont moins importantes comparées à celles survenues après l’arrêt des combats en 1991. Le plan initial ne prévoit que de conserver le bâti situé autour de la place de l’Etoile, ainsi que quelques blocs au Nord Est et à l’Ouest de celle-ci. Ainsi Brunot Marot et Serge Yazigi (2012) peuvent citer le porte-parole de l’association « Save Beirut Heritage » Y. Bou Melhem : « Beyrouth a plus été défigurée et détruite en temps de paix qu’en temps de guerre ».
Des associations de défense du vieux patrimoine bâti se constituent, comme « Save Beiruth Heritage ». Leur pression a permis de modifier en partie le plan initial, et de conserver certains bâtiments anciens. D’après cette association, sur les 2 400 maisons beyrouthines inscrites sur la liste nationale du patrimoine à préserver en 1986, seules 240 existent encore en 2012.
La reconstruction de bâtiments de haut standing entraine le renchérissement des prix du foncier et de l’immobilier. Ainsi, les populations pauvres ne peuvent plus rester habiter dans ces quartiers et sont repoussées en périphérie. Elles sont alors remplacées par des populations de la classe moyenne ou supérieure. C’est le phénomène de « gentrification ».
Si ce phénomène a lieu dans le centre-ville de Beyrouth, Brunot Marot et Serge Yazigi (2012) prévoient son extension dans les quartiers péricentraux, jouxtant immédiatement le centre, puis sa diffusion de proche en proche vers des quartiers plus éloignés du centre, repoussant toujours plus loin les populations pauvres. La mixité sociale est alors remise en cause.
Par exemple, Zokak el-Blat, quartier situé juste au Sud du centre-ville, est réputé pour être pauvre et peu attractif, mais abrite toutefois un patrimoine architectural et résidentiel remarquable, ainsi que d’importants équipements publics (écoles, lieux de culte). Il est, par ailleurs, marqué par un mode de vie original fondé sur une relative coexistence entre confessions religieuses. Mais la proximité du quartier avec le centre-ville reconstruit incite les promoteurs à y développer des appartements de standing, afin d’y attirer une population au pouvoir d’achat plus élevé, ce qui repoussera les populations pauvres vers les périphéries.
Bibliographie :
– Franck DEBIÉ et Danuta PIETER, La paix et la crise : le Liban reconstruit ?, PUF, Paris, 2003.
– MAROT Bruno et YAZIGI Serge, « La reconstruction de Beyrouth : vers de nouveaux conflits ? », Métropolitiques, 11 mai 2012.
– Heiko SCHMID, Der Wiederaufbau des Beiruter Stadtzentrums. Ein Beitrag zur handlungsorientierten politisch-geographischen Konfliktforschung, Heidelberg, 2002.
– Eric VERDEIL, Ghaleb FAOUR et Sébastien VELUT, Atlas du Liban. Territoires et société, Institut français du Proche-Orient, CNRS Liban, 2007.
– Eric VERDEIL, Beyrouth et ses urbanistes. Une ville en reconstruction, Thèse de géographie soutenue à l’université de Paris I le 4 décembre 2002, sous la direction de Pierre Merlin, professeur des universités, UMR Ladyss/Cnrs (654 p.).
Hervé Amiot
Hervé Amiot est Docteur en géographie, agrégé et ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (Ulm). Après s’être intéressé aux dynamiques politiques du Moyen-Orient au cours de sa formation initiale, il s’est ensuite spécialisé sur l’espace postsoviétique, et en particulier l’Ukraine, sujet de ses recherches doctorales.
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