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En dix ans, l’image d’Israël est devenue presque indissociable de son Premier ministre, Benyamin Netanyahou. Qu’il soit adulé ou détesté, il est au centre des débats dans le pays. Preuves en sont les dernières élections, cristallisées autour du vote pour ou contre « Bibi » (1). D”un côté, ses partisans, dont les plus fervents admirateurs ont cousu un lien charnel avec « King Bibi » : pour eux, un Israël fort, sécuritaire et rayonnant n’est possible qu’avec Benyamin Netanyahou. D’un autre côté, ses opposants, choqués par les affaires de corruption, fatigués de son discours de showman américain, parfois adeptes d’une politique économique moins libérale ou encore, c’est vrai pour les Arabes israéliens, exaspérés d’être la cible d’attaques racistes.
Critiqué et même parfois moqué à l’International (2), Benyamin Netanyahou est aussi considéré comme un dirigeant incontournable. Vu de France, il est avant tout associé à l’avancée de la politique coloniale d’Israël à Jérusalem Est et en Cisjordanie, aux guerres à Gaza, à des annonces anti-justice, anti-médias et anti-police aux accents populistes, et surtout à une politique implacable contre Téhéran. Mais connaît-on vraiment Benyamin Netanyahou ? Dans une biographie détaillée, Bibi : The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu, Anshel Pfeffer, Senior Correspondent et éditorialiste pour le quotidien israélien Haaretz et correspondant à Jérusalem pour The Economist, nous fait traverser la vie de ce dirigeant étonnant. Il débute l’ouvrage avec l’héritage idéologique familial, en passant par sa double identité américaine et israélienne, son ascension politique, et achève le récit par les affaires de corruption. Avec en toile de fond, l’histoire de l’Etat hébreu depuis la naissance de B. Netanyahou. « Bibi » est né « sept mois après l’Etat d’Israël » (3). Jusqu’à aujourd’hui, il est donc « le seul Premier ministre israélien qui n’ait pas connu l’avant Israël » (4). Il a grandi et évolué avec cet Etat. Pour l’auteur, « Ce livre raconte l’histoire d’un homme. Il raconte aussi l’histoire d’une nation » car « il est impossible de comprendre Israël sans comprendre l’homme qui le dirige » (5).
Deuxième fils de Benzion Netanyahou et Tzila Segal, Benyamin Netanyahou voit le jour en 1949, à Tel-Aviv (Israël). Son nom de famille, « Netanyahou » a été imaginé quelques décennies plus tôt, par son grand-père, Nathan Mileikowsky. Issu de la communauté juive lituanienne, Mileikowsky né en 1879 à Kreva, dans l’actuelle Biélorussie, « un an avant le début des pogroms dans l’Est de l’Europe » (6). Il grandit avec le développement du mouvement sioniste, réponse à l’intensification de l’antisémitisme dans l’Empire russe. Devenu rabbin, il est supporter du mouvement Hovevi Zion (« les amoureux de Sion »). Contrairement à de nombreux sionistes, dits « pragmatiques » (7), Nathan Mileikowsky est issu d’une tradition sioniste religieuse et s’oppose donc radicalement à tout projet de création d’un Etat israélien hors de Palestine (8). Le grand-père de Netanyahou « voyage à travers l’Empire russe pour défendre les idées sionistes » (9) et acquiert une certaine réputation. Après son mariage avec Sarah Lurie, il « publie dans divers journaux, sous le nom de Netanyahou » (10) (« Don de Dieu » en hébreu). Un nom repris par certains de ses enfants, dont son premier fils, Benzion Netanyahou, le père de Benyamin Netanyahou. Dans les années 1920, Nathan Mileikowsky met à bien son projet sioniste, en s’installant en Palestine mandataire. Il ne rencontrera pas son petit-fils Benyamin Netanyahou, car il pousse son dernier souffle en 1935. Cependant, il va « considérablement influencer ses descendants » par la ferveur de ses idées sionistes. Reprenant son flambeau, son fils Benzion Netanyahou « s’engage dans l’Union mondiale des sionistes révisionnistes » (11). Historien, il devient le secrétaire de Zeev Jabotinsky, le père spirituel de la droite israélienne. Il laisse de son côté un héritage révisionniste à son fils, Benyamin Netanyahou.
Né dans la mégalopole côtière de Tel-Aviv, Benyamin Netanyahou grandit à Jérusalem, mais « quitte Israël à l’âge de 8 ans avec ses parents, pour New York » (12). Son enfance est marquée par les déménagements successifs entre les Etats-Unis et Israël. Quand il a 10 ans, les Netanyahou reviennent en Israël, puis repartent aux Etats-Unis, à Philadelphie, deux ans plus tard. Ces déplacements vont profondément marquer B. Netanyahou, qui possède alors la double nationalité. Très attaché à Israël, il connaît aussi parfaitement la société américaine. Tout au long de sa carrière politique, cette double culture a été un atout. D’abord, parce qu’il a puisé avec succès dans les codes culturels américains pour élaborer son style politique. Ensuite, parce qu’il a utilisé ses réseaux américains pour obtenir des soutiens, notamment financiers, lors des campagnes électorales israéliennes.
Le père et le grand-père de Benyamin Netanyahou étaient « des intellectuels, des orateurs et des écrivains », ils « n’étaient pas dans l’action, contrairement à Benyamin Netanyahou » (13). De retour en Israël en juin 1967 (14), il fait son service militaire, premier pas vers « l’action » pour Bibi (15). Il débute ses faits d’armes à Tsahal comme combattant dans l’unité d’élite des forces spéciales, Sayeret Matkal. Au « front » lors de la Bataille de Karameh (16), et durant l’attaque de l’aéroport de Beyrouth en 1968, il a aussi participé à l’opération anti-terroriste contre septembre noir en 1972, lors d’une prise d’otage à l’aéroport de Lod et à l’Opération Crate, menée par Ehud Barak, au Liban. Comme le note Anshel Pfeffer, il a combattu dans des batailles majeures « qui ont influencé la trajectoire de l’Etat hébreu dans les décennies à venir » (17), même si l’auteur n’hésite pas à souligner la tendance de B. Netanyahou à exagérer son rôle dans chacune de ces actions militaires. Tout au long de sa carrière, Benyamin Netanyahou ne cessera d’utiliser ses faits d’armes pour s’imposer en politique. Car en Israël, difficile de devenir une figure politique (18) sans un brillant passé militaire.
Après son service militaire, Benyamin Netanyahou retourne aux Etats-Unis et entame des études d’architecte. Marié à l’ambitieuse Miriam Haran, il vit à Boston et fait régulièrement le tour des synagogues américaines pour donner des conférences sur sa vision - révisionniste - d’Israël. Après être revenu brièvement en Israël en 1973, pour participer à la guerre du Kippour, il retourne aux Etats-Unis et commence à se désintéresser du métier d’architecte, pour se tourner vers le business. A l’époque, « même s’il souhaite défendre l’Etat d’Israël, il ne se voit pas encore en politique » (19).
La guerre du Kippour, humainement et politiquement coûteuse pour les Israéliens (20), a ouvert une nouvelle ère politique dans le pays. Les « travaillistes au pouvoir depuis 1948 ont déçu la population » (21) qui commence à chercher des alternatives. La même année, le Likoud est créé. Il commence à enregistrer ses première avancées au Parlement (22), même si le parti de droite ne prendra le pouvoir qu’en 1977, avec l’arrivée de Menachem Begin comme Premier ministre.
Alors que les révisionnistes grimpent l’échelle du pouvoir, Benyamin Netanyahou traverse un drame familial qui va marquer sa vie personnelle et professionnelle : en 1976, son frère ainé Yonathan Netanyahou, dont il était très proche, est tué dans l’opération Entebbe, en Ouganda. Mené par l’Etat hébreu, ce raid visait à libérer 248 passagers du vol de la compagnie israélienne El Al, pris en otage par deux Palestiniens membres du Front Populaire de Libération de la Palestine, et deux Allemands membres de Revolutionäre Zellen. Selon Anshel Pfeffer, « la mort de Yoni (23) lui [Benyamin Netanyahou] a imposé de nouvelles responsabilités et lui a ouvert de nouvelles opportunités ». Il noue alors des liens avec des cercles républicains et multiplie les interventions dans les médias (24). À la fin des années 1970, il est propulsé à la tête d’un l’Institut anti-terroriste du nom de son frère, Yonathan Netanyahou (25).
De retour à Jérusalem, Benyamin Netanyahou commence à travailler comme Directeur de Marketing d’une entreprise de fourniture. C’est à cette époque qu’il se marie avec Fleur Cotes, une Britannique convertie au judaïsme. Une « césure professionnelle » avant l’éclosion de sa carrière politique, au milieu des années 1980.
En 1982, Benyamin Netanyahou « devient le numéro 2 de Moshe Arens », tout juste nommé ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis. Il doit abandonner la nationalité américaine (26). Un premier pas dans la diplomatie qui permet à « Bibi » de devenir ambassadeur d’Israël aux Nations unies à partir de 1984. Pendant quatre ans, il utilise la tribune de l’ONU pour se faire connaître, multiplier les contacts (27) et peaufiner ses interventions télévisées, devenant notamment une « star des conférences organisées par l’AIPAC » (28). Il profite du contexte politique interne en Israël : ambassadeur pendant la rotation entre Pères et Shamir - sous un gouvernement affaibli - il a « plus de liberté » pour représenter l’Etat hébreu aux Nations unis. Pendant cette période, « Bibi » a aussi « acquis le goût de bien vivre, avec un chauffeur, en mangeant dans de bons restaurants » (29). Un goût du luxe qui l’aurait poussé à franchir les limites de la légalité quelques décennies plus tard, menaçant son futur politique. Depuis novembre 2019, il est notamment mis en examen dans l’affaire 1000, dans laquelle il aurait reçu des cadeaux d’une valeur de 701 146 shekels (180 000 euros) du producteur américain Arnon Milchan, « en échange de faveurs » (30).
Dans le contexte de la Première Intifada, Benyamin Netanyahou revient en Israël, où il est nommé Vice-ministre des Affaires étrangères par Yitzhak Shamir (Likoud). Un poste qui ne lui laisse pas beaucoup de pouvoir. Mais il va tout de même réussir à en tirer profit. En pleine guerre du Golfe (août 1990-février 1991), il mène une interview pour la CNN avec un masque à gaz sur la tête. Un show à la « Bibi » qui marque un « pivot » (32) pour sa notoriété. Il profite aussi de la crise que traverse le Likoud pour s’imposer. Son style, qui tranche franchement avec la vieille génération du parti de droite, attire les nouveaux électeurs. En 1993, alors que le gouvernement Rabin et l’OLP d’Arafat signent les accords d’Oslo, Benyamin Netanyahou est élu à la tête du Likoud, faisant preuve d’une ascension exceptionnelle.
Lire la partie 2
Notes :
(1) Son surnom, chez ses partisans comme chez ses opposants.
(2) Notamment en 2012, lorsqu’il a prononcé un discours sur l’Iran en illustrant ses propos avec des dessins représentant l’enrichissement atomique de Téhéran, ou encore en mai 2018, sur le même thème.
(3) Anshel Pfeffer, “Bibi : The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu”, Hardcover – International Edition, May 1, 2018.
(4) Idem.
(5) Idem.
(6) Idem.
(7) Idem.
(8) Le mouvement sioniste naissant est traversé par de nombreux débat sur le choix d’un lieu pour la création de l’Etat juif. Certains plaident pour l’Ouganda ou, dans une moindre mesure, l’Argentine.
(9) Anshel Pfeffer, “Bibi : The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu”, Hardcover – International Edition, May 1, 2018.
(10) Idem.
(11) Idem.
(12) Idem.
(13) Idem.
(14) Idem.
(15) Surnom utilisé depuis son enfance, notamment dans sa famille. C’est aussi un surnom utilisé tout au long de sa carrière politique, par ses partisans comme par ses opposants.
(16) Avec un rôle mineur cependant.
(17) Anshel Pfeffer, “Bibi : The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu”, Hardcover – International Edition, May 1, 2018.
(18) Hormis pour les partis arabes.
(19) Anshel Pfeffer, “Bibi : The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu”, Hardcover – International Edition, May 1, 2018.
(20) Plus de 2000 tués côté israélien (beaucoup plus de victimes côté arabe, mais les Israéliens ne sont pas habitués à un tel nombre de morts), et l’Egypte récupère le Sinaï occupé depuis 1967.
(21) Anshel Pfeffer, “Bibi : The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu”, Hardcover – International Edition, May 1, 2018.
(22) Lors des élections de 1974, les Travaillistes forment de nouveau un gouvernement, cette fois mené par Yitzhak Rabin, mais le Likoud remporte ⅓ de la Knesset
(23) Surnom de Yonathan Netanyahou
(24) Participe notamment à l’Advocates show.
(25) Ce poste lui offre une importante vitrine médiatique.
(26) Diplomate israélien, il ne peut pas avoir une autre nationalité.
(27) C’est à cette époque qu’il rencontre le père de Donald Trump.
(28) Anshel Pfeffer, “Bibi : The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu”, Hardcover – International Edition, May 1, 2018.
(29) Idem.
(30) Dans l’affaire 1000 (une des trois affaires dans lesquelles B. Netanyahou est mis en examen depuis novembre 2019), « le procureur général Avichai Mandelblit affirme que le producteur Arnon Milchan a offert au couple Netanyahu des cadeaux d’une valeur de 701 146 shekels (180 000 euros), principalement en cigares et champagne, en échange de faveurs » : https://fr.timesofisrael.com/netanyahu-milchan-offre-des-mers-de-champagne-et-des-tonnes-de-cigares/
(31) Sous-titre issu de la biographie.
(32) Anshel Pfeffer, “Bibi : The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu”, Hardcover – International Edition, May 1, 2018.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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