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Par Emilie Polak
Publié le 18/03/2014 • modifié le 27/02/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

EGYPT, Aswan : A general view of the hydroelectric plant in Aswan, Egypt, December 1970. The construction of the Aswan High Dam was initiated by Gamal Abdel Nasser and designed to control the Nile River, to create hydro-electricity for Egypt and to increase arable land in Egypt by one third, more than double its current power resources and create the world’s largest man-made lake, Lake Nasser. The project, financed with Russian help, began in 1960 and the Aswan High Dam was inaugurated in 1971, the year after the death of President Nasser.

AFP

Inauguré le 15 janvier 1971 par le président égyptien Anouar al-Sadate et par le président du Soviet suprême Nikolaï Viktorovitch Podgorny, il permet à l’Egypte de réguler le cours du Nil. Il a été construit à sept kilomètres d’un ancien barrage, bâti par les Britanniques au début du XXème siècle. Depuis l’inauguration du haut-barrage d’Assouan en 1971, les périodes de grande sécheresse comme celles des crues abondantes sont régulées. De plus, sa construction a permis au pays d’accroître considérablement son rendement agricole. Enfin, la production hydroélectrique du barrage couvre environ 10% des besoins de l’Egypte en électricité. Néanmoins la construction du barrage et son existence même sont vivement critiquées par un certain nombre d’acteurs.

La nécessité d’un barrage pour réguler le cours du Nil

Selon la formule d’Hérodote, « l’Egypte est un don du Nil ». Seul fleuve qui parcourt le pays, le Nil est également la seule ressource en eau de l’Egypte. Hormis les abords immédiats du fleuve, le reste du pays est un vaste désert. En effet, dans ce désert qui compose plus de 96% de la surface du pays, la pluviométrie n’est que de 100mm par an [1]. Ainsi la vallée du Nil, qui correspond à 4% de la superficie de l’Egypte, accueille-t-elle la majorité de la population depuis des milliers d’années. Contrairement aux autres pays méditerranéens, selon les géographes, l’Egypte doit sa forte densité de population à une seule « cause naturelle » : le Nil. La richesse en eau de la vallée du Nil profite à l’agriculture et à la population et pallie au fait que le désert égyptien, contrairement à ses voisins, ne possède pas de ressources naturelles, comme le pétrole.

La vallée du Nil est une région qui connaît une grande crue une fois tous les dix ans environ. Dès l’Ancienne Egypte, les habitants de la région ont tenté de réguler le cours du fleuve : la rive gauche du Nil est ainsi aménagée dès 3200 avant Jésus-Christ. Fleuve nourricier, le Nil draine nutriments et minéraux qui forment un limon fertile. C’est le limon déposé par le fleuve lors des crues qui explique la grande fertilité des sols dans la vallée du Nil. Toutefois, si les crues permettent au limon de se déposer dans les terres les plus éloignées du Nil, elles nuisent également à l’agriculture en inondant les récoltes. Par ailleurs, le débit du Nil était assez aléatoire dans la mesure où les fortes crues alternaient avec de grandes sécheresses. Les progrès techniques dans le domaine hydraulique ont rapidement conduit à la nécessité de bâtir un barrage sur le Nil afin de réguler les crues et les sécheresses. En 1902, les Britanniques avaient déjà bâti, lors de leur occupation de l’Egypte, un premier barrage en aval de l’actuel, situé au niveau de la première des six cataractes [2] du Nil. Ce barrage, qui a été surélevé en 1912 et en 1933, stockait alors 6 milliards de mètres cubes d’eau, contre 169 milliards de cubes d’eau pour le barrage actuel. Il permettait aux Britanniques de favoriser la culture du coton. Enfin, dans les années 1950, devant l’augmentation de la population, les dirigeants ont du trouver le moyen de répondre à son besoin accru en nourriture et en électricité. Dès lors, stabiliser la production agricole, en évitant crues et sécheresses, et accroître le rendement des terres étaient devenus crucial. Toutes ces raisons expliquent la nécessité de bâtir un barrage sur le Nil, en plus de celui construit par les Britanniques en 1902. Ce sera l’œuvre du gouvernement de Nasser.

Un barrage comme symbole de la guerre froide ?

Gamal Abdel Nasser nait le 15 janvier 1918 à Alexandrie. En 1952, il fait un coup d’Etat avec son parti politique des Officiers libres et s’empare du pouvoir. Il place à la tête du pays Neguid, qu’il écarte pour diriger lui-même l’Egypte en 1954. En 1956, Nasser est élu président de la République égyptienne avec 99,9% des voix. Il reste au pouvoir jusqu’à sa mort en 1970. La politique de Nasser vise à garantir l’autonomie égyptienne. Dans ces circonstances, la construction du barrage permettrait une autonomie agricole et électrique vis- à-vis d’autres pays. Par ailleurs, la construction du barrage d’Assouan, dont les plans avaient été dessinés dès 1945 par Daninos, un ingénieur égyptien, s’inscrit directement dans le contexte de la guerre froide. A l’origine, l’Egypte fait partie des non-alignés, c’est-à-dire que le pays ne prend parti ni pour les Etats-Unis, ni pour l’URSS. Toutefois, le passé colonial égyptien [3] et l’influence persistante des Britanniques dans le pays incitent le gouvernement égyptien à se tourner vers le bloc américain. C’est pourquoi, lorsqu’en 1954, Nasser décide d’amorcer la construction d’un barrage sur le Nil en complément de l’ancien, il se tourne vers la Banque internationale pour la reconstruction et le développement mais également vers les Etats-Unis. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis acceptent d’aider l’Egypte sur le plan technologique et financier afin de conserver leur influence sur le pays.

Cependant, en 1956, la rupture entre l’Egypte et la Grande-Bretagne est consommée. Cette séparation s’inscrit dans le contexte de la crise de Suez, ainsi que par plusieurs facteurs comme le rapprochement progressif de l’Egypte et de l’URSS mais aussi de l’achat d’armes en provenance du bloc soviétique. Ces faits poussent les Etats-Unis à refuser d’aider au financement du barrage d’Assouan. Face à cette opposition, Nasser décide de nationaliser le canal de Suez, ce qui lui permettra de financer les travaux du barrage et de mettre fin à la tutelle britannique.
Le barrage d’Assouan a été présenté par Nasser comme un monument important qui serait source de fierté pour l’Egypte, au même titre que les bâtiments pharaoniques. Nasser a mené une politique d’indépendance mais aussi de renforcement du nationalisme égyptien : l’inscription de grands projets comme le barrage d’Assouan dans le passé pharaonique du pays atteste de cette volonté de faire de l’Egypte un Etat spécifique au passé glorieux. Toutefois, la construction du barrage a sans doute entériné la séparation de l’Egypte et du Soudan, précipitant son indépendance. Le barrage a alors formé une sorte de barrière entre les deux pays : le Soudan en amont et l’Egypte en aval. En dépit du souhait de Nasser, de ce point de vue-là, l’Egypte s’est trouvée affaiblie sur le plan géopolitique puisque l’amont du Nil se situe au Soudan.

Critiques à l’encontre du barrage 

Dès sa construction, le barrage d’Assouan a été vivement critiqué, deux raisons principales étant mises en avant. La première critique est d’ordre écologique. Le barrage retient le limon, mélange de nutriments et de minéraux, sorte d’engrais naturel. Le limon ne passant plus, la quantité de limon contenue en aval du barrage s’appauvrit d’années en années. Auparavant, la fertilité des sols était renouvelée à chaque nouvelle crue du Nil. Le barrage empêche certes les crues, mais il empêche également le passage du limon, qui demeure au fond du lac Nasser, le lac artificiel résultant de la construction du barrage. Au niveau du delta, l’eau salée pénètre plus loin à l’intérieur des terres, le limon ne faisant plus office de filtres à sa pénétration dans le fleuve. En outre, pour maintenir la productivité des sols, des engrais chimiques sont utilisés à la place du limon. L’Egypte utilise ainsi autant de produits chimiques que les Pays-Bas. En 1999-2000, toute l’exportation égyptienne de pommes de terre s’est vue refuser l’entrée du marché européen en raison de la trop grande quantité de produits chimiques contenue dans ces tubercules [4]. Par ailleurs, le barrage, en fabriquant de l’électricité, a attiré un certain nombre d’industries : c’était d’ailleurs le but de Nasser. En effet, les industries profitent à l’économie du pays en favorisant la croissance mais cela s’effectue au détriment des eaux du fleuve qui sont extrêmement polluées. Cependant, selon Habib Ayeb, cela n’est pas tant imputable au barrage qu’à la manière dont sont pratiquées agriculture et industries.
La seconde critique est d’ordre historique et patrimonial. Elle justifie notamment la longueur des travaux du barrage. Le barrage d’Assouan, comme tout barrage, a engendré l’apparition d’un lac artificiel – le lac Nasser – qui s’étend sur 500 kilomètres de long entre l’Egypte et le Soudan. Sous les eaux du lac artificiel se trouvent quantité de vestiges archéologiques remontant à l’Egypte antique. Dans les années 1960, l’Unesco a lancé un vaste chantier de sauvetage des temples nubiens de cette région de la vallée du Nil. Les temples d’Abu Simbel, construits sous Ramsès II ont ainsi été démontés de leur site originel et remontés pierre par pierre, sur une colline factice au bord du lac afin de le protéger de la remontée des eaux.

La construction du barrage d’Assouan a permis à l’Egypte de gagner son autonomie et de nourrir sa population en accroissant le nombre de terres cultivables mais aussi en limitant les crues et les épisodes de sécheresse grâce à la régulation du débit du Nil. Toutefois, la construction du barrage a suscité des critiques, sur le plan écologique et patrimonial. Enfin, le lac Nasser, qui résulte de la construction du barrage, se situe à cheval entre l’Egypte et le Soudan. Les tensions liées au manque d’eau sont importantes dans la région et peuvent expliquer en partie les relations tendues entre les deux pays, le Soudan menaçant parfois l’Egypte de la priver des ressources en eau du Nil.

Bibliographie :
 http://lesclesdumoyenorient.com/Nasser-Gamal-Abdel.html
 http://www.lesclesdumoyenorient.com/Crise-de-Suez-de-1956.html
 http://lesclesdumoyenorient.com/Le-protectorat-britannique-en.html
 http://www.universalis.fr/encyclopedie/haut-barrage-d-assouan/
 AYEB Habib « L’Egypte et le barrage d’Assouan », Hérodote 4/ 2001 (N°103), p 137-151.
 CLOAREC Vincent, LAURENS Henry, Le Moyen-Orient au 20è siècle, Paris, Armand Colin, 2005.
 LACOUTURE Jean, Nasser, Paris, Editions du Seuil, 1971.

Publié le 18/03/2014


Emilie Polak est étudiante en master d’Histoire et anthropologie des sociétés modernes à la Sorbonne et à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm où elle suit également des cours de géographie.


 


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