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Après le discours de Donald Trump sur l’Iran : l’accord nucléaire en sursis ?

Par Michel Makinsky
Publié le 23/10/2017 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Michel Makinsky

Le discours de Donald Trump (1), le 13 octobre 2017, précédé de la publication de la (courte) « stratégie » (2) américaine vers l’Iran, remet l’Accord nucléaire du 14 juillet 2015 (JCPOA) entre les mains du Congrès et pose un défi à la communauté internationale. C’est une question de rapports de forces. L’Union européenne, avec les propos courageux de Federica Mogherini, a vite réaffirmé que le JCPOA n’est pas la propriété de Washington (3), otage d’un débat politicien interne. La France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne ont réitéré dans un communiqué (4) leur attachement au JCPOA tout en se déclarant prêtes à adopter des « mesures » répondant aux préoccupations américaines sur les missiles balistiques et les « activités déstabilisatrices » de l’Iran dans la région. La réaction russe sera essentielle. Moscou est en train de regagner du poids au Moyen-Orient avec les contrats de missiles AS 400 pour les Saoudiens et les Turcs. Un game changer. De plus, Poutine ‘tient’ Trump. Toute aussi importante sera l’attitude des Chinois qui ont jusqu’ici sobrement invité les parties à respecter l’accord. Pékin est créancier du Trésor américain. La Chine est en position de force croissante avec des capacités de nuisance ou de facilitation dans le dossier coréen. Quitter le JCPOA affaiblirait la posture américaine à l’égard de Pyongyang et minera la crédibilité diplomatique de Washington.

Si le contenu de ce discours, à quelques exceptions près, correspond à ce à quoi on s’attendait (une option annoncée dans l’allocution de Nikki Halley, représentante américaine à l’ONU le 5 septembre), un point nouveau change la donne. Trump annonce que si un accord n’est pas trouvé avec le Congrès (qui doit se prononcer dans les 60 jours sur la réintroduction de sanctions) et les alliés (les Européens), l’accord est cassé. Le scénario qui prévalait jusqu’ici est qu’il se contenterait de décertifier sans donner de consignes, en dehors de fustiger l’Iran accusé de tous les maux. Il voulait surtout tenter d’échapper au carcan de l’obligation de se présenter tous les 90 jours (en otage) pour recertifier ou décertifier, et ce en proposant de remplacer l’actuelle loi qui lui en fait obligation par un texte demandant au président (quelle périodicité ?) de venir dresser le constat accablant de l’inconduite de l’Iran (« déstabilisant ») devant le Congrès. Les conseillers du président ont dû le convaincre que les congressmen ne le suivront pas. Aussi, bien que le discours soit peu clair à cet égard, Trump enjoint aux élus (avec l’assentiment des alliés européens) de durcir le JCPOA, notamment les ‘sunset’ clauses, et veut impérativement parvenir à juguler le programme des missiles. A l’évidence, son souhait profond est que le futur texte vise tous les griefs qu’il porte contre l’Iran, mais il entend que les vilenies « terroristes » puissent être traitées d’ores et déjà (en vertu du texte de sanctions CAATSA signé le 2 août) directement via le prononcé de sanctions par le Trésor (OFAC) dont le Secrétaire d’Etat Steve Mnuchin s’est déclaré prêt à le faire (5), (suivi du discours menaçant du Sous-Secrétaire d’Etat Sigal Mandelker devant les lobbyistes pro-Likoud de l’AIPAC (6) le 16 octobre). Sauf si une majorité en décide autrement.

Le chef de l’Etat a habilement déplacé la cible de la contrainte. C’est le Congrès, et surtout les alliés, qui sont au pied du mur : tout accepter ou nous nous retirons du JCPOA (7). Les sénateurs Tom Cotton (adepte d’une position dure) et Bob Corker (qui dit vouloir une concertation avec les Européens), préparent activement un projet de texte durcissant le JCPOA (au risque de causer sa fin) supposé, comme l’exige Trump, recevoir, en effet, l’assentiment des dits Européens (on se demande comment, si les diktats annoncés y figurent), et dont on ignore encore les chances d’adoption. Jean-Yves Le Drian, notre ministre des Affaires étrangères, a adjuré le Congrès de ne pas anéantir l’accord nucléaire (8).

Si les élus ont quelques atouts (dossiers russes, etc…) pour ne pas avaliser toutes les injonctions de Trump, les Européens sont plus démunis. Prêts à revoir les ‘sunset’ clauses (post 2025), le problème des missiles, ils ne suivront pas toutes les prétentions de Washington. Leurs divisions ne facilitent pas la tâche. Entre la posture ferme de Federica Mogherini (on ne renégocie pas le JCPOA) et la diplomatie française (il faut retravailler la période post-2025 de l’accord), il y a des nuances en dépit d’un attachement commun à ce dernier, réaffirmé par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 15 octobre. Signe d’un renforcement récent de la cohésion européenne (9), le Conseil des ministres de l’Union (10) a proclamé le 16 octobre, à la suite d’E. Macron, T. May et de A. Merkel (11), que le JCPOA ne peut être abandonné. La chef de la diplomatie européenne devrait en discuter à Washington en novembre (12). Mais l’idée que, sans remettre en question l’accord nucléaire, des discussions présentées comme indépendantes de ce dernier puissent être tentées, que ce soit sur la période post-2025, mais aussi sur la question des missiles, commence à se faire jour. Un texte séparé (dénommé « Phase 2 » du côté américain) pourrait être négocié. Pour les missiles, il s’agirait de garantir l’exclusion de tout lancement de charge nucléaire (13). On imagine aussi que plus de retenue iranienne sur le Hezbollah serait requise. Mais ceci suppose que Téhéran, qui répète que le JCPOA n’a pas besoin de « correctifs » (Moscou, officiellement, est sur la même ligne), reçoive quelque chose en échange. Ce n’est pas acquis. En sus, Rohani et Zarif, contraints d’afficher une solidarité sans faille avec les Gardiens de la Révolution (sous peine d’être accusés de trahison), sont obligés de faire chorus avec le flot de proclamations de soutien aux pasdarans qui se répandent en Iran après les attaques frontales de Trump contre les Gardiens qui exercent de redoutables pressions sur le président et son gouvernement. Toute concession à Washington aura un prix.

Pour le locataire de la Maison-Blanche, un autre enjeu de taille se joue au Congrès : celui des concessions que Trump pourrait ou non consentir par rapport à son menu. Fidèle à son habitude, il commence par frapper fort, ce qui n’exclut pas de changer de position. Il a déjà opéré sous contrainte des virages à 180° (il était revenu de façon rapidissime sur sa décision hâtive de changer de ligne sur la Chine unique). Le président ne croit qu’en une seule chose : les rapports de force, mais il est dépourvu de capacité d’évaluation stratégique. Les cartes pour faire bouger les lignes sont d’abord entre les mains de Moscou et Pékin. Nous devons suivre de près comment elles seront jouées.

La protection des intérêts européens, et surtout des entreprises (14), est un point crucial. Il dépend étroitement de la volonté politique et de la cohésion des européens. Il est indispensable que les entreprises françaises « montent au créneau » pour exiger d’être défendues au sommet de l’Etat par des gestes politiques forts. Les déclarations « rassurantes » du secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson ne sont pas suffisantes à la lumière des propos du même genre en direction des banques européennes sous l’administration Obama (15). De plus, notre gouvernement doit faire face à la très grande complexité de la mise en place des financements et crédits publics annoncés de façon optimiste. Il ne faudrait pas que les dossiers présentés en pâtissent abusivement. Il importe que des impulsions nécessaires soient diligentées.

En sus, une démarche de communication de décideurs publics et privés européens aux Etats-Unis dans des media américains serait utile, pour interpeller directement le public sur le thème « Enough is enough ». Il faut aussi engager les gouvernements à faire adopter par l’Union les mesures de protection (16) évoquées par son représentant à Washington, au-delà d’un refus de « tuer le JCPOA » et de transcrire de nouvelles sanctions américaines. En cas de menaces de sanctions américaines contre des entités européennes, il n’est pas sûr que Washington se laisse impressionner par un recours devant l’OMC, contrairement au précédent de 1995/1998 où un waiver avait été consenti au grand groupe pétrolier français qui avait associé la Russie à son implications dans le champ gazier de South Pars. Contrarier Moscou était plus gênant que l’Europe. Au récent forum de Zurich, Helga Schmid (numéro deux de la diplomatie européenne), a suggéré que la Banque européenne d’Investissements s’engage sur des financements vers l’Iran (17). Ce serait un signal fort pour la communauté des affaires. Les entreprises ne doivent pas céder précipitamment à la tentation du retrait du marché iranien, mais évaluer leur vulnérabilité selon les scénarios, et étudier des plans de poursuite de relations incluant le risque d’un divorce provisoire (en cas de nécessité) en attendant des jours meilleurs. Sans oublier de considérer des financements hors bancaires et des coopérations financières et industrielles, avec les asiatiques (dont des projets labellisés ‘Route de la Soie’), qui correspondent d’ailleurs à la posture GO EAST de l’Iran.

In fine, à l’exception de la non désignation des Gardiens comme Organisation terroriste étrangère (18), qui reflète la prise en compte d’un danger pour le personnel militaire américain, Trump fait une impasse sur les réactions iraniennes. Tout se passe comme s’il escomptait remettre à la raison un élève chahuteur qui rentrerait dans le rang après une punition sous peine de renvoi de l’école. C’est un peu court.

Notes :
(1) https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2017/10/13/remarks-president-trump-iran-strategy .
(2) https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2017/10/13/president-donald-j-trumps-nehttps://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage_en/33921/Statement%20by%20High%20Representative/Vice-President%20Federica%20Mogherini%20on%20the%20latest%20developments%20regarding%20the%20implementation%20of%20the%20Joint%20Comprehensive%20Plan%20of%20Action%20(Iran%20nuclear%20deal).
(3) https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/33921/statement-high-representativevice-president-federica-mogherini-latest-developments-regarding_en
(4) https://www.gov.uk/government/news/declaration-by-the-heads-of-state-and-government-of-france-germany-and-the-united-kingdom.
(5) Une première série de nouveaux « désignés » a immédiatement été publiée : https://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Pages/sm0177.aspx
(6) https://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Pages/sm0181.aspx
(7) Trump Says ’Total Termination of Iran Deal Possible’, AP, 16 octobre 2017.
(8) France Urges US Congress to Respect Iran Agreement, Iran Financial Tribune, 16 octobre 2017.
(9) Strong European Backing for 2015 Nuclear Accord, Iran Financial Tribune, 17 octobre 2017.
(10) http://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2017/10/16-iran-nuclear-deal-eu-jcpoa/
(11) Britain, France to work to enforce Iran nuclear deal :UK PM’s office, Tehran Times, 16 octobre 2017.
(12) No country can terminate nuclear deal unilaterally, Mogherini, Tehran Times, 17 octobre 2017.
(13) Peter Jenkins, New US Strategy on Iran Poses Dilemma for Allies, LobeLog, 16 octobre 2017.
(14) Bruno Lemaire, ministre français de l’Economie, a demandé à Robert Lighthizer, secrétaire d’Etat américain au commerce, que Washington apporte toute la clarté requise aux contraintes pesant sur les entreprises après la décertification et a plaidé pour une réciprocité des règles entre les USA et l’Europe qui devrait se doter d’un régime analogue à l’Amérique ; La Tribune.fr, 18 octobre 2017.
(15) Tillerson Assures Trump Administration Won’t Block European Trade With Iran, Wall Street Journal, 20 octobre 2017. Voir : Stuart Levey, Kerry’s Peculiar Message About Iran for European Banks, Wall Street Journal, 12 mai 2016. En visite à Riyad, Tillerson n’en a pas moins mis en garde les entreprises européennes qui font des affaires avec les Gardiens : elles encourent vraiment « un grand risque » : Tillerson Calls on Europe to Back Latest Sanctions on Iran, Bloomberg, 22 octobre 2017.
(16) Dont le Règlement du Conseil 2271/ 96 du 22 novembre 1996 sur la protection contre les effets de l’application extra-territoriale des législations adoptées par des Etats tiers : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A31996R2271.
(17) https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/33511/european-commitment-jcpoa-keynote-speech-eeas-secretary-general-helga-schmid_en
(18) https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Programs/Documents/sec_105_faqs_10132017.pdf

Publié le 23/10/2017


Outre une carrière juridique de 30 ans dans l’industrie, Michel Makinsky est chercheur associé à l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe (IPSE), et à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA), collaborateur scientifique auprès de l’université de Liège (Belgique) et directeur général de la société AGEROMYS international (société de conseils sur l’Iran et le Moyen-Orient). Il conduit depuis plus de 20 ans des recherches sur l’Iran (politique, économie, stratégie) et sa région, après avoir étudié pendant 10 ans la stratégie soviétique. Il a publié de nombreux articles et études dans des revues françaises et étrangères. Il a dirigé deux ouvrages collectifs : « L’Iran et les Grands Acteurs Régionaux et Globaux », (L’Harmattan, 2012) et « L’Economie réelle de l’Iran » (L’Harmattan, 2014) et a rédigé des chapitres d’ouvrages collectifs sur l’Iran, la rente pétrolière, la politique française à l’égard de l’Iran, les entreprises et les sanctions. Membre du groupe d’experts sur le Moyen-Orient Gulf 2000 (Université de Columbia), il est consulté par les entreprises comme par les administrations françaises sur l’Iran et son environnement régional, les sanctions, les mécanismes d’échanges commerciaux et financiers avec l’Iran et sa région. Il intervient régulièrement dans les media écrits et audio visuels (L’Opinion, Le Figaro, la Tribune, France 24….).


 


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