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Après la réalisation de la phase initiale du plan Trump, l’avenir de Gaza reste incertain

Par Ines Gil
Publié le 14/10/2025 • modifié le 14/10/2025 • Durée de lecture : 6 minutes

Camp de Noor al shams, en Cisjordanie. Destructions dans les combats entre des groupes palestiniens locaux et l’armée israélienne.

Crédit photo : Ines Gil

Libération des otages israéliens et des prisonniers palestiniens

Sur la place des Otages, à Tel-Aviv, des milliers d’Israéliens ont veillé toute la nuit de dimanche à lundi. Entre larmes et euphorie, ils ont attendu les premières nouvelles, suspendus au sort de leurs compatriotes. Ce jour marque un tournant. Depuis près de deux ans, la captivité des otages israéliens à Gaza paralysait le pays, empêchant tout véritable reconstruction morale après le 7 octobre. Tout au long de la journée, les images de retrouvailles des vingt otages vivants avec leurs proches ont défilé dans les médias. Ce moment ouvre une brèche dans le récit national : celle d’un retour au réel. La société israélienne va désormais devoir se confronter à un double bilan - celui du 7 octobre, jour d’un effondrement sécuritaire, et celui de la guerre qui s’en est suivie, marquée par une répression militaire d’ampleur, qualifiée de génocide par les Nations unies. Alors que les élections sont annoncées pour l’automne 2026, cette libération agit comme un prélude à une recomposition politique majeure.

Pour les Palestiniens, ce lundi est aussi un jour de soulagement immense. Près de 2 000 prisonniers ont été libérés : parmi eux, environ 250 purgeaient des peines de réclusion à perpétuité, relâchés à Ramallah, en Cisjordanie ; 1 700 autres, détenus sans charge ni procès dans le cadre d’un régime proche de la détention administrative, ont été relâchés à Khan Younès, dans le sud de Gaza. Par ailleurs, 154 prisonniers ont été transférés vers l’Égypte, selon le Bureau des médias des prisonniers. À Gaza, les bombardements se sont tus pour la première fois depuis près de deux ans (hors trêves). Dans ce territoire ravagé, le bilan est terrible : plus de 60 000 morts, dont au moins 83 % de civils, selon les chiffres mêmes de l’armée israélienne. À ces pertes s’ajoutent des conséquences humanitaires dramatiques, la destruction quasi totale des infrastructures et l’effondrement de la société gazaouie. Une autre urgence pour les Palestiniens de Gaza demeure : l’entrée massive d’aide humanitaire dans le territoire et sa bonne distribution parmi la population.

Le plan de paix de Trump

Cette première étape est accueillie comme un immense soulagement, tant du côté israélien que palestinien, car elle répond aux urgences immédiates. Mais l’incertitude demeure sur la suite du plan Trump, dont les étapes suivantes suscitent déjà de vives interrogations. Une fois l’ensemble des otages libérés - y compris les dépouilles de ceux décédés, dont certaines n’ont pas encore été remises à Israël -, l’État hébreu devra amorcer un premier retrait de la bande de Gaza, dont la moitié est aujourd’hui sous contrôle militaire israélien. Ce désengagement est prévu en trois phases, selon le document présenté par Donald Trump. Même une fois le retrait achevé, Israël conservera une présence militaire à Gaza, tout le long de la bordure avec Israël : une force d’occupation chargée de contrôler une zone tampon encerclant l’enclave, incluant tous les points de passage - y compris la frontière sud avec l’Égypte. Le texte précise que l’armée israélienne devra se retirer « à mesure que la force de stabilisation internationale établira son contrôle sur le territoire », mais sans calendrier détaillé.

Le plan de paix impose au Hamas une démilitarisation complète, incluant la destruction des tunnels et des infrastructures de production d’armement. Mais en fin de semaine, un haut responsable du mouvement palestinien, s’exprimant sous couvert d’anonymat auprès de l’Agence France-Presse, a déclaré que cela était “hors de question”. Selon les termes du plan, les membres du Hamas acceptant de déposer les armes pourraient bénéficier d’une amnistie. Ceux qui choisissent de quitter Gaza auront la possibilité de le faire. Mais du côté du leadership, le ton reste ferme. « Les dirigeants du Hamas présents dans la bande de Gaza se trouvent sur leur terre, celle où ils ont vécu, parmi leur famille et leur peuple. Il est donc naturel qu’ils y restent », a affirmé Hossam Badran, porte-parole du mouvement à l’international. Ces déclarations reflètent des lignes de fracture internes au Hamas, entre les dirigeants en exil, ceux restés à Gaza, et même au sein des cadres encore présents sur le territoire palestinien. Des divergences qui pourraient compliquer la mise en œuvre concrète de l’accord de paix.

Les dispositions du plan Trump concernant la gouvernance future de Gaza figurent parmi les plus controversées par les chercheurs spécialisés sur la question palestinienne. Selon le texte, la bande de Gaza serait placée sous l’autorité d’un comité de transition composé de technocrates palestiniens, supervisé par un “Comité de la paix” présidé par Donald Trump, avec la participation de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair. Ce schéma est perçu par une partie de la presse arabe et occidentale, mais aussi des chercheurs spécialisés sur la question palestinienne, comme une mise sous tutelle internationale privant les Palestiniens de leur souveraineté politique. Une gouvernance qui soulève des inquiétudes concernant une approche guidée davantage par des intérêts économiques - notamment autour de la reconstruction - que par les besoins et aspirations des Gazaouis [1]. La société de conseil de l’ancien Premier ministre britannique, l’Institut Tony Blair, a notamment travaillé pendant des mois avec Jared Kushner et Steve Witkoff à l’habillage politique du projet de transformation de Gaza en « Riviera du Moyen-Orient » [2].

À terme, la gouvernance de Gaza serait transférée à l’Autorité palestinienne, à condition que cette dernière ait “achevé son programme de réformes” - un objectif encore flou, tant dans son contenu que dans son calendrier. Or, difficile d’imaginer l’Autorité palestinienne, affaiblie et discréditée, mener à bien une telle transition : son président Mahmoud Abbas, très impopulaire, ne contrôle qu’en partie la Cisjordanie, morcelée par l’occupation et la colonisation israélienne. Le Hamas, quant à lui, serait entièrement écarté de la gouvernance - directe ou indirecte - du territoire de Gaza.

Le temps des recompositions

Ce plan de paix porté par Donald Trump réaffirme la centralité des États-Unis dans la redéfinition du Proche-Orient. Il semble que ce plan écarte les Palestiniens de la gouvernance de Gaza et passe sous silence la question de la Cisjordanie occupée, absente du texte. En cela, le plan tranche avec la ligne franco-saoudienne défendue dans la Déclaration de New York, qui prône une solution politique incluant la solution à deux Etats sur les frontières de 1967 et la souveraineté palestinienne sur l’Etat de Palestine.

L’acceptation du plan par Israël marque un tournant. Plus isolé que jamais sur la scène diplomatique, l’État hébreu a cédé à la pression américaine, au prix d’un renoncement symbolique : celui de l’objectif de “victoire totale” contre le Hamas, martelé depuis deux ans par Benjamin Netanyahou. Mais ce revirement a un coût politique. Le Premier ministre doit désormais composer avec les tensions internes à sa coalition, en particulier avec les factions d’extrême droite (Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir) qui rejettent frontalement le compromis. À un an des prochaines élections législatives, cette fragilité pourrait précipiter un basculement sur la scène politique israélienne.

L’acceptation partielle du plan de paix par le Hamas illustre l’isolement croissant du mouvement palestinien. Pour rappel, le Hamas a accepté la libération des otages, qui a commencé ce lundi, et le transfert de l’administration de Gaza à un corps technocratique palestinien, mais le groupe souhaite renégocier la question de son armement et la création du “comité de la paix” présidé par Donald Trump. Sous pression intense - non seulement de la part des États-Unis, mais aussi de l’Égypte et du Qatar, ses principaux interlocuteurs régionaux - le Hamas n’a eu d’autre choix que de s’aligner. Sur le terrain, le groupe cherche à réaffirmer son autorité. Ces derniers jours, des unités armées et des policiers affiliés au Hamas ont été déployés dans plusieurs secteurs de Gaza. Sur les canaux Telegram liés au mouvement, des messages ont revendiqué des actions contre des « traîtres » et « collaborateurs », en référence à des milices soutenues par Israël dans l’enclave. Dans le même temps, des affrontements violents ont opposé les combattants du Hamas à la famille Dughmush, l’une des plus puissantes de Gaza, dans le centre de Gaza City au cours du week-end. Cette résurgence d’autorité, mêlée à des règlements de comptes, s’inscrit dans un contexte de désordre sécuritaire profond. Depuis deux ans, les pillages menés par des gangs organisés ou des groupes désespérés ont considérablement entravé l’acheminement de l’aide humanitaire. Les grandes ONG internationales, déjà limitées par les restrictions israéliennes et les opérations militaires, peinent à opérer efficacement dans ce climat d’instabilité et de fragmentation croissante du tissu social gazaoui.

Conclusion

Ce lundi 13 octobre, un sommet international consacré à la paix à Gaza s’est tenu en Égypte, réunissant une vingtaine de pays. L’événement, co-présidé par Donald Trump et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, vise pour Washington à rallier un large soutien autour du plan américain pour l’après-guerre. Ce plan soulève de nombreuses questions sensibles : l’avenir politique du Hamas, le calendrier et les modalités du retrait israélien, ainsi que le futur mode de gouvernance de l’enclave palestinienne. En parallèle, plusieurs pays européens ont présenté une initiative concurrente baptisée Imagine Gaza, qui propose une gouvernance plus inclusive, dans laquelle les Palestiniens joueraient un rôle plus conséquent.

Publié le 14/10/2025


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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