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Palmyre, cité antique inscrite au Patrimoine mondial de l’Humanité en 1980 et aujourd’hui nommée Tadmor, fait depuis quelques mois tristement parler d’elle dans les médias. Le 21 mai 2015, l’Organisation de l’Etat islamique (OEI) est entrée dans Palmyre. S’est ensuivie la mise en scène des crimes perpétrés contre les habitants du site, contre l’ancien directeur des Antiquités Khaled al-Asa‘ad, et de la destruction des bâtiments les plus emblématiques du passé glorieux et cosmopolite de la ville caravanière. Le temple de Baalshamin, le temple de Bêl, les tours funéraires ont été dynamités ou rasés au bulldozer. Du temple de Bêl, il ne reste plus que poussière. Les autres bâtiments pourront peut-être être remontés et restaurés si les éléments qu’il en reste ne sont pas trop endommagés. Les dégâts causés par le pillage systématique des tombeaux sont irrémédiables et nécessitent d’être comptabilisés.
Dans ce contexte d’émoi international, des journalistes ou auteurs ont rédigé des articles sur Palmyre sans se documenter précisément. Dans ce contexte, Annie et Maurice Sartre ont publié aux éditions Perrin au printemps 2016 un ouvrage qui tente de rétablir la vérité et de distinguer le vrai du mythe. Annie Sartre-Fauriat est professeur émérite d’histoire ancienne à l’université d’Artois. Elle est historienne, épigraphiste et spécialiste de l’archéologie de la Syrie gréco-romaine. Son mari Maurice Sartre est professeur émérite d’histoire ancienne à l’université de Tours et est spécialiste du Proche-Orient hellénisé. Tous deux sont auteurs de plusieurs ouvrages sur Palmyre, notamment Zénobie. De Palmyre à Rome (Perrin 2014) et Palmyre. La cité des caravanes (Gallimard, 2008).
En s’appuyant sur les découvertes archéologiques les plus récentes (datant nécessairement d’avant 2011-12, années auxquelles le site a cessé d’être accessible) et sur les derniers courants historiographiques et interprétations historiques, les auteurs donnent au lecteur une vision actuelle, des plus sérieuses et hautement documentée de la « Perle du désert ». La majeure partie de l’ouvrage se consacre à la Palmyre antique. Toutefois, les derniers chapitres démontrent aussi que Palmyre est restée un centre de vie pendant plus de mille ans après la prise de la ville par Aurélien en 272 ap. J.C. ; se penchent sur le rôle que prennent Palmyre et la Syrie antique dans la propagande du parti Baath ; dressent un tableau des stigmates causés par le régime baathiste sur l’éducation des Syriens et leur rapport au patrimoine ; et soulignent le rôle du régime de Bachar al-Assad dans la destruction de la cité. L’objectif est donc de contrer de nombreuses idées reçues sur Palmyre, véhiculées par des mythes populaires, par la littérature, par les médias et par certains auteurs, tout en apportant des clés de lecture essentielles pour comprendre la situation actuelle en Syrie.
La majeure partie du livre se consacre à la ville de l’Antiquité. On apprend dans les premiers chapitres que Palmyre n’a pas été construite par Salomon, et que la vie est attestée autour de la source Eqfa depuis le VIIe millénaire av. J.C. Sur la question de l’origine des Palmyréniens, de leurs langues et de leurs religions, les auteurs s’attachent à démontrer le multiculturalisme intrinsèque à la cité. Les Palmyréniens auraient été essentiellement des Araméens, c’est-à-dire des Sémites, à l’instar de l’essentiel de la population sédentaire de la Syrie intérieure. Les Araméens ont peut-être cohabité avec des Arabes, un peuple sémite également mais parlant une langue différente, toutefois aucune inscription en arabe ne le prouve. Mais les Palmyréniens étaient également Grecs car Palmyre était une cité grecque, une polis, c’est-à-dire une ville au « mode d’organisation spécifique des communautés locales dans le monde méditerranéen oriental, hérité de la Grèce classique et répandu dans toute la partie hellénophone de l’Empire romain à l’exception de l’Egypte ». D’ailleurs, la langue officielle de la ville était le grec, alors que l’araméen était plutôt utilisé dans la vie courante. A partir de la conquête de la ville par Rome au Ier s. ap. JC, des citoyens romains ont vécu à Rome. Sous les Sévères, la ville obtient le statut de « colonie romaine ». A partir de 212 donc, les Palmyréniens étaient à la fois Araméens, Grecs et citoyens romains, et non pas Arabes comme le laissent penser les discours ultranationalistes du parti Baath. Palmyre n’a de plus jamais été une principauté contrairement à une idée largement répandue, mais une ville de l’Empire romain.
Les Palmyréniens étaient influencés par la culture grecque, romaine, parthe, perse, arabe et bien sûr araméenne. Ce multiculturalisme se retrouve dans l’architecture des lieux, dans les sculptures, la décoration des maisons, les objets retrouvés dans les tombeaux. C’est ce cosmopolitisme qui a rendu la ville si célèbre. Les temples sont également le reflet de cette diversité, car les recherches démontrent une variété de cultes importante et plus de soixante dieux différents célébrés à Palmyre, de toutes origines, y compris grecque et romaine.
Palmyre a tiré sa richesse d’un trafic caravanier fructueux entre la Méditerranée et les vallées de l’Euphrate et du Tigre d’une part, et le Golfe persique d’autre part. Il semblerait que les Palmyréniens organisaient la traversée du désert et agissaient comme armateurs auprès des marchands venus d’autres villes et que peu de choses étaient produites à Palmyre même. D’importants revenus étaient aussi tirés de la taxation des biens passant par Palmyre. Mais la route était dangereuse et, à partir du IIIe siècle, les caravanes préférèrent éviter le désert et passer plus au nord, ce qui entraîna le déclin de la cité caravanière.
Plusieurs chapitres sont dédiés à démonter les fantasmes qui entourent la reine Zénobie. Les romanciers lui ont attribué des amours augustes, les nationalistes arabes en ont fait la pionnière du soulèvement du Proche-Orient arabe face aux colonisateurs européens, les journalistes ont répandu le mythe de la reine de Palmyre. Les Sartre s’appliquent à démontrer que Zénobie, aussi grande soit elle, ne fut rien de tout cela. Son mari Odainath était un grand notable de Palmyre et sénateur romain. A la suite d’une victoire contre le roi des Perses lors d’une bataille en 259 ap. J.C., il acquière le titre de « roi des rois », qui ne lui donne aucun pouvoir mais un grand prestige. Il ne règne sur personne. C’est en tant qu’épouse du roi des rois que Zénobie est reine. Mais ce titre ne s’applique pas à Palmyre spécifiquement, on peut donc dire que Zénobie fut reine à Palmyre, mais pas de Palmyre comme cela a été longtemps répété.
A la mort de son mari, Zénobie et son fils relevèrent la situation économique déclinante de Palmyre et conquirent une grande partie des provinces romaines d’Orient. L’objectif était de faire acclamer Wahballath, le fils de Zénobie et Odainath, comme empereur de l’Empire romain, pas de s’opposer à Rome. Selon les nationalistes syriens, Zénobie est une Arabe menant une guerre d’indépendance face à l’Occident romain. Or, elle était araméenne, grecque, romaine et voulait faire de son fils l’empereur d’un empire méditerranéen fondamentalement multiculturel. Elle tenta de marcher sur Rome mais ses troupes furent arrêtées par Aurélien à Antioche puis à Emèse. Zénobie fut ensuite capturée et elle figura au triomphe de l’Empereur Aurélien victorieux à Rome en 274 ap. J.C.
De nombreux ouvrages présentent la destruction de Palmyre en 272 ap. J.C. par Aurélien comme la fin de la ville. Pourtant, les fouilles archéologiques montrent tout d’abord que la ville n’a sans doute pas été détruite mais se serait rendue pacifiquement, et qu’elle est de plus restée habitée pendant plus de mille ans ensuite. Palmyre avait connu son âge d’or qu’elle ne retrouverait plus par la suite, mais n’était pas rayée de la carte pour autant. La ville est devenue chrétienne, comme l’ensemble de la Syrie, puis musulmane. Elle fut fortifiée à plusieurs époques différentes pour surveiller les routes du désert. Au cours des siècles suivants, les habitants sédentaires se sont faits moins nombreux et les Bédouins ont peu à peu considéré l’oasis comme leur propriété. Le site est redécouvert par les voyageurs étrangers au XVIIe siècle, habité par quelques familles bédouines.
Palmyre passionne les voyageurs et les archéologues en raison de son cosmopolitisme dont nous avons déjà parlé. Mais aussi parce que le site archéologique est d’une rare richesse, d’autant plus que, selon les archéologues, seulement 80% du site a été fouillé.
Les derniers chapitres de l’ouvrage sont particulièrement intéressants parce qu’ils replacent l’histoire de Palmyre dans le contexte plus large de la Syrie, de la gestion du patrimoine, du discours politique syrien par rapport à son histoire nationale, et de la guerre civile qui a débuté en 2011-2012. Selon les auteurs, le régime de Bachar al-Assad a commencé à piller et détruire le site de Palmyre dès 2012, lors de la bataille de Homs. La pratique du pillage des antiquités pour les revendre est courante et avalisée par le régime depuis la mise en place du parti Baath en 1963. Les auteurs indiquent que ni le régime, ni les Russes, ni la coalition menée par les Etats-Unis n’ont ensuite empêché Daesh de pénétrer dans la ville le 21 mai 2015. L’OEI y a causé des dommages irréparables et des massacres humains. La reprise du site à l’été 2016 a été une grande campagne de communication par le régime et par les Russes, alors qu’en parallèle des sites moins médiatiques étaient et sont toujours détruits et pillés.
Les autorités syriennes tiennent un discours dual concernant leur patrimoine historique. Devant les étrangers ils prônent sa protection, sa valorisation et son exceptionnalité. Pourtant, rien n’a été fait depuis les années 1960 pour éduquer les Syriens à la protection de leur histoire et de leurs vestiges. Les autorités ont de plus fermé les yeux sur le pillage des sites historiques lorsque celui-ci était commis par des clients du régime. Selon les auteurs, des villes et des vestiges à la richesse historique inestimable sont en outre détruits par le régime au prétexte qu’ils sont tenus par des rebelles. La ville d’Alep a ainsi perdu presque l’intégralité de son patrimoine historique sous les bombes gouvernementales et russes depuis le début du conflit, et le musée des mosaïques de Ma‘aret en-Noman a été dynamité par le régime en même temps que Palmyre était détruite par l’OEI.
Annie et Maurice Sartre évoquent enfin minutieusement la rhétorique baathiste qui tente de recréer l’histoire, de faire de la Syrie une nation arabe et musulmane depuis toujours. Ils illustrent la contradiction du discours officiel, qui décrit l’Antiquité comme une époque glorieuse pour la Syrie, et pourtant une époque compliquée puisque coloniale. Ils contredisent ceux qui affirment que les Syriens se moquent de la destruction de leur patrimoine. Enfin, ils combattent l’idée que la Syrie est un Etat artificiel créé par les puissances mandataires et hérité des fameux accords Sykes-Picot de 1916. Leur ouvrage prouve que la Syrie correspond à une réalité historique et culturelle depuis plus de deux mille ans.
L’objectif des auteurs était ainsi de rendre les résultats scientifiques des recherches les plus récentes sur la « Perle du désert » accessibles à tous. Leur objectif est atteint avec cet ouvrage érudit rédigé d’une plume limpide. Le livre revient sur l’histoire de Palmyre en démontant tous les grands mythes et en corrigeant les imprécisions à l’aide de preuves archéologiques, scientifiques et historiques. Il est particulièrement intéressant pour sa contextualisation en 2016 et le regard porté sur la population et le régime syriens. En effet, le propos ne se concentre pas uniquement sur Palmyre, puisqu’il évoque également la politique du Baath, les Antiquités syriennes dans leur globalité, la guerre civile actuelle, la situation à Alep, etc. Cet ouvrage offre ainsi des clés de compréhension essentielles de l’histoire et de l’actualité syriennes.
Annie et Maurice Sartre, Palmyre, vérités et légendes, Paris, Perrin, 2016, 261 pages.
Oriane Huchon
Oriane Huchon est diplômée d’une double licence histoire-anglais de la Sorbonne, d’un master de géopolitique de l’Université Paris 1 et de l’École normale supérieure. Elle étudie actuellement l’arabe littéral et syro-libanais à l’I.N.A.L.C.O. Son stage de fin d’études dans une mission militaire à l’étranger lui a permis de mener des travaux de recherche sur les questions d’armement et sur les enjeux français à l’étranger.
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