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Par Louise Plun
Publié le 06/02/2015 • modifié le 14/03/2018 • Durée de lecture : 11 minutes

Edmund Allenby, 1st Viscount Allenby (1861-1936) a British soldier. Served in Second Boer War, and in World War I commanded the Egyptian Expeditionary Force in Palestine and Syria. General Allenby (1861-1936). World History Archive

ANN RONAN PICTURE LIBRARY, PHOTO12, AFP

Enseignement militaire et début de carrière

A la suite d’une scolarité à l’internat Haileybury, Edmund Allenby se présente à l’examen d’entrée du Indian Civil Service (la plus prestigieuse formation pour les officiers de l’Empire britannique), mais il échoue, ce qui l’empêche de servir en Inde. Il intègre finalement la Royal Military Academy Sandhurst, école spécialisée dans la formation des officiers de l’Armée de terre britannique (qui accueillit également Winston Churchill). En 1882, Allenby est attaché au régiment de cavalerie des Inniskillings surnommé 6th Dragoons, qui constituait une unité prestigieuse depuis sa glorieuse participation à la bataille de Waterloo. A partir de 1884, il entame un service en Afrique du Sud. Il combat à Béchuanaland, protectorat britannique instauré également en 1884 en Afrique Australe, et en 1888 dans la région de Zouzouland (Zuzuland), toujours dans la même région africaine. Entre 1896 et 1898, il entreprend des études supérieures à l’école militaire Staff College de Camberley. Sa participation à la seconde Guerre des Boers, d’abord en tant que commandant d’escadrille auprès du commandant de la cavalerie française, puis en tant que commandant pendant la phase de guérilla, lui permet de monter en grade : capitaine de brigade dans un premier temps et finalement en 1909, major-général en tant qu’inspecteur général de la cavalerie, ce qui confirme sa réputation de bon cavalier forgée pendant la guerre de Boers.

Le début de la Première Guerre mondiale sur le Front Ouest européen

Au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale et de l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne contre l’Empire ottoman début novembre 1914, le général Allenby reçoit le commandement de la division de cavalerie française. Après un début de guerre difficile sur les fronts français et belge [1], marqué notamment par de lourdes pertes humaines, il participe en avril 1917 à la bataille d’Arras (offensive principalement britannique et canadienne) en tant que commandant de la IIIème Armée britannique et remporte son premier succès notable. Ce premier succès découle de sa tactique remarquablement efficace qui consiste à faire précéder chaque attaque d’un intensif usage de l’artillerie lourde contre l’ennemi. Edmund Allenby rentre cependant en Angleterre en raison d’un différend tactique avec son supérieur, Sir Douglas Haig, avec qui il entretient par ailleurs de mauvaises relations depuis ses études universitaires.

Arrivée au Moyen-Orient et réputation militaire

En octobre 1917, Allenby reçoit à Londres le commandement des forces anglaises stationnées en Egypte, The Egyptian Expeditionary Force (EEF). Il prend ainsi la succession du général Sir Archibald Murray, alors que le général Jan Christiaan Smuts décline cette charge de crainte de ne pas être à la hauteur des attendes de David Lloyd George, Premier ministre britannique de décembre 1916 à octobre 1922. L’enjeu pour le général Allenby se révèle donc de taille, il doit réussir là où Murray échoue à deux reprises en avril 1917 (à la première Bataille de Gaza le 26 mars 1917 et à la deuxième Bataille de Gaza du 17 au 19 avril 1917), c’est-à-dire percer le front ottoman ou la ligne de Gaza-Beersheba afin d’ouvrir la route vers la ville stratégique de Jérusalem.

Cultivé, chrétien, ne cédant jamais au sectarisme ni au sentimentalisme, Allenby est reconnu pour ses talents militaires et sa préparation des campagnes militaires - en particulier la nécessité de prendre en compte les températures, l’accessibilité à l’eau notamment - mais également pour ses qualités humaines. En effet, bien que réputé pour ses accès colériques durant la guerre des Boers, il est dit bienveillant envers ses soldats. Connu pour ses talents tactiques et d’organisateur, il entreprend également le remaniement de l’armée britannique stationnée en Egypte, qu’il divise en trois corps : le vingtième ; le vingt-et-unième ; un dernier nommé The Desert Mounted Corps.

A la fin de l’année 1917, le Premier ministre Lloyd George, désireux d’ouvrir un autre front pour soulager celui d’Europe, et après avoir mis en place dans cette optique une politique de propagande active présentant les forces ottomanes comme « l’occupant turc » avec pour principal slogan « The Turk must go », informe Allenby « qu’il attend Jérusalem pour Noël » [2].

Après une intense préparation logistique, le combat s’ouvre sur la ligne de Gaza-Beersheba, qui se trouve dans la zone de Gaza, encore sous contrôle ottoman où l’armée turque stationne à l’abri de tranchées : c’est la troisième Bataille de Gaza qui se déroule du 1 au 2 novembre 1917. Pour ce faire, Allenby décide de percer ce front par une tactique inattendue : il choisit d’attaquer par l’arrière les positions turques. De plus, sa capacité de frappe est nettement supérieure à celle de l’armée ottomane : son armée est en effet composée de 75 000 fantassins, 17 000 cavaliers, 475 canons et 6 tanks, selon les chiffres donnés dans les Mémoires de Lloyd George [3]. Combinant ses forces avec celle de l’armée bédouine de Faysal (fils du meneur de la révolte arabe le chérif Hussein de La Mecque) et futur roi d’Irak, et une rapidité de mouvement, leur action empêche les troupes turques de souffler et de recevoir tout soutien.

A la victoire de la troisième Bataille de Gaza viennent s’ajouter consécutivement celle de la Bataille de Beersheba du 31 octobre 1917 et celle de la Bataille de Mughar Ridge du 13 novembre 1917, qui permettent à Allenby de finalement prendre, le 16 novembre 1917, la ville de Jaffa. La prise de la ville portuaire permet aux Britanniques et à la Royal Navy d’établir une base d’opération maritime à proximité de Jérusalem, et permet à Allenby d’établir son plan pour la prise de Jérusalem. Il prévoit d’encercler Jérusalem et d’obtenir la reddition de la ville indemne. « Car, pas plus que Von Falkenhayn, [le maréchal allemand qui tenait la ville], Allenby ne veut être devant l’Histoire un moderne Titus. » [4] Allenby refuse en effet d’endommager la Ville sainte par des bombardements ou des assauts destructeurs.

La prise de la Ville sainte de Jérusalem

L’offensive sur Jérusalem est déclenchée le 24 novembre 1917, mais la première tentative d’encerclement échoue. Cet échec temporaire peut s’expliquer par le climat hivernal qui s’est installé et face auquel les forces d’Allenby ne sont pas équipées, ni accoutumées, on se souvient en effet que l’armée est composée de troupes étrangères. De plus, les voies de communications sont inexistantes dans le secteur à cette époque. Ce problème de communication conjugué aux intempéries rend la progression plus compliquée.

La ville tombe finalement le 9 décembre, les troupes allemandes et turques craignant d’être encerclées ayant fuit les poussant ainsi à la fuite. Les troupes britanniques y font leur entrée officielle le 11 décembre. Cependant, étant donné le statut particulier de la ville, et les enjeux que sa prise peut représenter pour les puissances européennes, il convient de préciser que l’armée qui entre dans Jérusalem sous le commandement d’Allenby est d’une composition tout à fait originale, qui reflète bien les tensions déjà présentes quand à cette région. L’armée est en effet composée de Britanniques, d’Australiens, de Canadiens, de Néozélandais, mais aussi de quelques bataillons de Juifs venant d’Angleterre et des Etats-Unis, faisant suite à la demande particulièrement énergique des partisans du mouvement sioniste de plus en plus influents. Sont également présentes des unités indiennes musulmanes et des petits détachements symboliques de soldats français et italiens.

Musulmane depuis 638 et turque depuis 1517 (hormis la période des croisades), Jérusalem passe pour la première fois depuis cette date sous la domination partagée et litigieuse de puissances européennes. Cependant, le général Allenby ne souhaite pas attribuer à la prise de la ville une connotation religieuse qui ancrerait celle-ci dans un conflit entre islam [5] et chrétienté, il refuse ainsi l’emploi du terme de « croisade » [6] pour qualifier son succès militaire.

La prise Jérusalem marque un tournant majeur dans le déroulement de la guerre mais aussi, selon une échelle plus large, dans l’histoire du Moyen-Orient. Ainsi des solennités sont organisées pour l’entrée officielle dans la ville le 11 décembre. C’est à cette occasion qu’intervient un autre acteur déterminant dans l’histoire du Moyen-Orient et plus spécifiquement dans celui de la Palestine mandataire, Sir Mark Sykes (1879-1919), parlementaire britannique, fervent catholique et co-négociateur des Accords Sykes-Picot de 1916. En effet, cédant aux intérêts prédominants que pouvait représenter la prise de la ville, le gouvernement britannique délègue l’organisation de ces solennités à Mark Sykes, également expert du Foreign Office pour le Moyen-Orient, pour donner le ton de l’occupation britannique de la ville, voire de la région.

Le général Allenby emprunte ainsi à pied la porte de Jaffa. Il est accompagné du français François Georges-Picot, homologue de Mark Sykes, présent selon les instructions du gouvernement français afin de défendre et de représenter les intérêts du pays. Allenby, en général avisé, juge bon d’affirmer son soutien à la cause arabe et à l’idée d’un royaume arabe (surtout si celui-ci se révélait être désireux de demeurer dans une orbite d’influence britannique). Sa position concernant la cause sioniste est beaucoup plus nuancée. Dans cette perspective, il est également accompagné lors de son entrée dans la ville de Thomas Edward Lawrence, symbole de la politique arabe britannique. Allenby souligne ainsi à la fois son intention de ne pas s’afficher en tant que champion de la chrétienté par la prise de Jérusalem et sa position quand à l’avenir de la région conquise dont il concevait la gérance au moyen d’une Administration Militaire des Territoires Occupés (OETA) [7].

A l’occasion de son entrée dans la ville, Allenby lit une proclamation officielle et solennelle garantissant le maintien de l’ordre dans les lieux saints (garantie notamment de la liberté d’accès). Cette déclaration, élaborée par Londres (dont Sykes), se déclina symboliquement en plusieurs langues : anglais, hébreu, italien, arabe grec…

Bien que le gouvernement britannique le destinait à assurer la gérance du pays avant la définition d’un accord entre les futurs vainqueurs de la guerre qui serait ensuite validé par la Société des Nations, organisation internationale naissante, Allenby ne s’attarde pas à Jérusalem et rejoint son armée stationnée sur la plaine côtière.

Suite et fin de la campagne dans les provinces arabes

En janvier 1918, le gouvernement britannique attend d’Allenby qu’il avance vers le nord pour repousser toujours plus les troupes ottomanes. Cependant, les exigences en hommes du front ouest dégarnirent les troupes du général. Ce n’est qu’à partir de septembre 1918, et après un renfort de troupes indiennes, que les offensives reprennent afin de percer la ligne Damas-Beyrouth. La tactique d’Allenby est la neutralisation des voix de communications ottomanes, c’est-à-dire principalement les chemins de fer. De plus, l’arrivée d’un renfort logistique venant s’ajouter à celui en hommes permet de donner un nouveau dynamisme à la conquête du général qui, en combinant sa vieille tactique de ruse (diversion de l’ennemi sur un autre front), permet d’écraser les Ottomans à la bataille de Megiddo dans la plaine de Sharon, région située au centre du littoral méditerranéen [8]. Celle-ci se déroule du 19 au 21 septembre 1918 et marque, en tant que dernière offensive alliée de la campagne de Palestine, un tournant dans le déroulement de la guerre au Moyen-Orient. En outre, l’Empire ottoman s’écroule consécutivement à une vitesse fulgurante, perdant ses dernières positions dans la région. En effet, les troupes d’Allenby prennent successivement Homs et Alep dans la province syrienne. En octobre 1918, elles font ainsi la jonction, tentée quelques temps plus tôt dans la région de Salt (région située au nord-est de la Mer Morte) avec les forces arabes hachémites de Faysal, secondées par Lawrence, à Damas, après que celles-ci aient pris la ville le 1er octobre 1918.

La prise des villes s’accompagnant de la capture de plus de 75 000 prisonniers et d’un armement important. L’Empire ottoman, à bout de souffle, demande l’armistice qui est négocié et signé à Moudros le 30 octobre 1918. Cet armistice consacre la perte des provinces arabes de l’Empire ottoman. Dès octobre 1918, le général Allenby divise les régions syro-palestiniennes occupées : la Palestine devient zone britannique, la zone entre Damas et Alexandrette est sous contrôle arabe, le littoral beyrouthin devient zone française. Alors que chaque entité, française, britannique, arabe, essaye d’établir sur les anciennes provinces ottomanes son autorité, le général Allenby demeure l’autorité suprême des zones établies, y établissant un régime d’occupation militaire, situation qui dure jusqu’à la répartition des provinces arabes, entérinée à la Conférence de Versailles en 1919.

En Egypte

La carrière d’Allenby ne s’arrête cependant pas avec la répartition officielle de ces territoires.
Grâce à la légitimité que lui confèrent ses victoires contre les forces ottomanes et allemandes, en Syrie et en Palestine principalement, et à son expérience dans la région, le gouvernement britannique le nomme maréchal et l’anoblit en octobre 1919. Allenby répond désormais au titre d’Allenby de Felixstowe [9] et de Meggido [10]. De plus, il est choisi le même mois pour devenir le haut-commissaire de l’Egypte (sous protectorat britannique depuis 1914) et du Soudan, remplaçant ainsi l’ancien haut-gommissaire Sir Reginald Wingate qui se révèle être incapable de régler la crise de la révolution égyptienne déclenchée dans le pays suite à l’arrestation des principaux dirigeants du Wafd [11]. Ces derniers revendiquaient une place pour un gouvernement égyptien dans les négociations d’après guerre, considérant en effet leur pays comme un acteur victorieux de la guerre, et par conséquent tout à fait légitime à revendiquer son indépendance. Allenby mène la répression de la révolution de manière très violente, celle-ci fait en effet des milliers de morts. Il parvient cependant à désamorcer le mouvement de contestation, grâce notamment à la libération du leader du Wafd, Sa’d Zaghlul, et de ses compagnons. Intimement persuadé de l’impasse que pouvait représenter la situation de protectorat instaurée en l’Egypte, et devant la difficulté des négociations engagées sur la question entre le Wafd et le gouvernement britannique depuis 1919, Allenby décide de proclamer l’indépendance de l’Egypte : le 28 février 1922, il présente la déclaration unilatérale consacrant l’indépendance du pays. Par la suite, il encourage la formation d’un premier gouvernement égyptien et l’élaboration d’une Constitution, finalement adoptée le 19 avril 1923 prévoyant l’établissement d’un régime parlementaire bicaméral. Finalement en juillet 1923, la loi martiale est levée. La stabilité politique du pays demeure cependant extrêmement fragile pendant les années suivantes. L’épisode de l’assassinat au Caire du gouverneur général du Soudan [12], Sir Lee Stack, le 19 novembre 1924, illustre parfaitement cette fragilité. Allenby est très touché par l’assassinat de son collègue et prend pour cible le gouvernement de Sa’d Zaghlul dont il avait auparavant reconnu l’importance et la nécessité au sein de la vie politique égyptienne. Allenby demande une large indemnisation pour le crime commis et impose de rigoureuses pénalités au pays, il lance ainsi un ultimatum au Wafd qui doit démissionner. Allenby prend également comme prétexte cet épisode pour obtenir le retrait irrévocable des troupes militaires égyptiennes du Soudan. S’opposant en cela à la politique du gouvernement britannique, Allenby renonce à son poste en juin 1925 et quitte l’Egypte pour retourner en Angleterre.

Fin de vie

S’étend découvert dans sa jeunesse une passion pour les voyages, il s’y adonne à partir de son retour, en voyageant entre autre en Patagonie et épanche son autre passion pour l’ornithologie.
Allenby meurt à Londres le 14 mai 1936. Ayant été incinéré, ses cendres sont actuellement conservées à l’abbaye de Westminster.

Le général Allenby fut un des artisans déterminants de l’expansion britannique au Moyen-Orient pendant la Première Guerre mondiale et plus particulièrement de celle en Palestine. Cependant, au vue de son action en tant que haut-commissaire en Egypte et au Soudan, Allenby reste considéré par l’historiographie contemporaine comme un des créateurs de l’Égypte moderne.

Bibliographie :

Sources littéraires :
 Henry LAURENS, La Question de Palestine, Tome Premier 1799-1922 L’invention de la Terre sainte, Paris, Fayard, 1999.
 The Blackwell Biographical Dictionary of British Political Life in the Twentieth Century, édité par Keith ROBBINS, Alden Press Oxford, 1990.
 Arthur GOLDSCHMIDT JR. et Robert JOHNSTON, Historical Dictionary of Egypt, The Scarecrow Press, Inc. Lanham, Maryland and Oxford, 2003 .
 Catherine NICAULT, Une Histoire de Jérusalem 1850-1967, CNRS Editions, Paris, 2008.
 Mériam N. BELLI, An Incurable Past, Nasser’s Egypt than and now, University Press of Florida, 2013.

Sources internet :
 http://www.nam.ac.uk/exhibitions/online-exhibitions/britains-greatest-general/edmund-allenby
 http://query.nytimes.com/mem/archive-free/pdf?_r=1&res=9400E0DB1F30EE3ABC4D53DFB5668389639EDE
 http://www.theguardian.com/books/2014/mar/14/lawrence-arabia-modern-middle-east-review

Publié le 06/02/2015


Louise Plun est étudiante à l’Université Paris Sorbonne (Paris IV). Elle étudie notamment l’histoire du Moyen-Orient au XX eme siècle et suit des cours sur l’analyse du Monde contemporain.


 


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